Il avait
tout laissé en plan et il n'était venu là que pour elle.
Un peu pour lui, aussi.
Un peu pour lui, aussi.
Il l'avait
rejointe dans une petite ville des montagnes du sud. C'était
l'été. Normalement, il n'aurait jamais du être là, et pourtant il avait
fini par y débarquer. Alors, eux deux réunis, pendant quelques
jours, ils avaient tenté crânement l'impossible: Oublier le reste du monde. Ils se pensaient rocs, ils se rêvaient granit,
ils se voulaient indestructibles mais en vrai, ils n’étaient que plume.
Au plein
midi du troisième jour, ils avaient été rattrapés par tout ce qu’ils
avaient essayé de fuir. Le monde leur était revenu bien en face, droit dans ses
bottes, fracassant, puissant, violent. Alors, perdu pour perdu, il avait
filé, à l'anglaise, honteusement. Il s'était installé au volant de la
voiture, juste, tu parles, pour rouler un peu. Elle s'était arrêtée auprès
de la rivière Ubaye, tout près d'un pont de bois qui la franchissait
et qu’il connaissait bien pour y être déjà venu autrefois. Il était sorti,
il avait marché sur le pont, jeté un oeil dans le fond, sur les
bouillons du torrent serré comme une gorge par des mots qui ne pouvaient plus
venir. Le chemin, en face montait de traviole vers un lac, plus haut. Huit cent mètres
de dénivelé...
Il avait
laissé le serpent de terre derrière lui, puis tiré droit parmi les ronces
et les framboisiers sauvages se griffant les coudes et les genoux aux épines
des ronces, suant et soufflant comme un animal blessé il s'est mis à marmonner: avec le temps… arf arf blessé et fou, arf arf arf, écrasant
le rouge des fraises des bois et le mauve des digitales, avec le temps va, tout s'en va… arf, s'agrippant aux
racines des sapins, arf arf, rageant contre les pierres qui freinaient la
montée, arf, rugissant au passage des fossés, arf arf, se fracassant les épaules
et le crâne aux branches les plus basses, les
mots des pauvres gens arf, se raclant les coudes aux souches mortes des mélèzes morts, arf
arf, se zébrant les joues aux branches sèches, arf… Comme pour
s'encourager, il avait commencé doucement et pour finir il hurlait à tue-tête
et en vrac ... tout seul,
peut-être, mais peinard... floué par les années perdues... Alors, alors
vraiment… Le souffle lui manquait, ses poumons le brûlaient, son crâne explosait, ses
muscles durcissaient. Il se tordait les chevilles et les genoux mais
avançait, avançait. Les sauterelles, les abeilles et les autres qu’il
dérangeait le regardaient passer, affolés. Il avait grimpé là-haut d'une
traite comme un diable malfaisant à qui on aurait foutu tous les feux de l'enfer aux fesses...
Avec le temps, on n'aime plus...
Avec le temps, on n'aime plus...
Une heure
après, c'est épuisé, meurtri, trempé de sueur, les vêtements déchirés, la tête
en sang, mais vidé de sa toute rage qu’il a débouché,
hagard, vaincu, sur le pré du haut, celui qui bordait le petit lac large comme
deux paumes de mains. Il s’est laissé tomber sur le vert pâle de
l'herbe douce des rives du lac bleu. Il n'était plus qu'une plaie effondrée, étendue sur de la
mousse tendre. Il a laissé son regard s'alanguir sur la vallée qui se
préparait à accueillir le noir pointant de l'Est. C'est la fraîcheur du soir venant qui l'a sorti de là. Il est revenu à lui et malheureusement, il est également revenu au monde... Le noir gagnait déjà et, dans le fond, la retenue
du barrage de Serre-Ponçon ouvrait ses mains comme pour s'apprêter à
recevoir ses premières étoiles filantes. Il est redescendu par le chemin
forestier. En bas, vidé, exsangue, il est remonté dans sa bagnole et a rejoint la
ville. Juste après, avoir nettoyé les plaies ouvertes de ses avant-bras à la
fontaine, il a marché titubant dans la rue principale. C'est là qu'il l'a revue. Elle y était, plantée dans le plein milieu, comme un phare, parmi la foule, rayonnante et soulagée de l'y revoir. Au
visage, un sourire de Sainte Thérèse large comme l'avenue. Quand il s’est
approché d'elle, en lui prenant le cou de ses deux
mains tremblantes, elle lui a glissé dans l'oreille, d'un ton
impérieux et doux, avant de l'embrasser: "Tu ne me refais plus jamais ça..."
Il n’a
pu prononcer aucun mot mais qu’il s’est senti heureux… Et si
profondément triste… Et si vivant. C'est qu'il était si tant profondément amoureux. Il a mêlé quelques larmes au
doux de ses mains.
Il savait,
lui, à cet instant, qu'elle n'avait encore rien vu.
6 commentaires:
Gare aux digitales, ça peut tuer !
@ M Y a pas qu'elles! :-)
Non, mais les framboises, qu'est-ce-que c'est bon ! ;-)
@ M Comme chantait l'autre: Avanies et framboises sont les mamelles du destin... :-)
"C'est qu'il était profondément amoureux."
J'ai bien fait d'attendre pour commenter,
cette fois la fin est plus à ma convenance ;-)
@ Tilia Ouf... J'ai eu chaud! :-)
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