22 mars 2016

La pluie, incertaine.

Pour Les impromptus littéraires de la semaine. Il fallait inventer un début de roman ayant pour titre: La pluie, incertaine.

On subissait le seizième jour d’affilée de grand beau. À dire vrai, au début, ça nous avait accroché aux visages de vagues sourires de benêts bienheureux mais depuis quelques jours nous nous étions crispés et les sourires avaient disparu. Ceux qui étaient, depuis longtemps persuadés que le climat et tout ce qui va avec était en train de foutre minablement le camp ne se réjouissaient même plus.
Le ciel restait désespérément bleu du lever au coucher et pas un souffle d’air pour apporter le moindre nuage. Au fond, si on regardait bien, il n’avait pas plu une seule goutte depuis la fin de l’automne. Les températures d’ordinaire clémentes à cette période de l’année affolaient les thermomètres, les météorologues et les vendeurs d’eau minérale. Après cinq, six nuits de ce régime, la canicule s’était amenée sans renâcler. Il faut dire que, dans les rues, le goudron commençait à fondre et que les morgues des hôpitaux se préparaient gentiment. La ville entière était accablée. Son air y était pesant, lourd, irrespirable comme si nous traversions un nuage de vapeurs toxiques. Ils étaient de plus en plus nombreux à se balader avec leurs brumisateurs portables, à longer les murs donnant une malheureuse ombre tiède, à se couvrir les têtes de chapeaux improbables qu’ils gardaient même dans les couloirs du métro. Si chacun espérait une pluie désormais plus qu’incertaine, tout le monde sentait que le pire était encore à venir. Comme souvent, quand on s'y attend à celui-là, il ne déçoit pas, il ne tarde pas. Il débarque.
C’est au beau milieu du cours de ces jours difficiles qu’elle a trouvé le moment et les mots pour me dire ces deux trois phrases qui, sur le coup, m’ont anéanti. À l’instant même où elle a osé les prononcer, j’ai senti que ma vie allait être bouleversée, que plus rien ne serait, maintenant, comme avant. Et si je n’ai pas été déçu, j’étais encore loin du compte.

Le soleil était encore assez haut dans le ciel, les ombres n’avaient pas commencé à grandir, on venait de rentrer du boulot, semi-liquides, en nage, dégoulinant de sueur, harassés de fatigue, les jambes gonflées, le cœur cognant. Sans verre, on avait descendu un bidon entier de trois litres d’eau gazeuse qu’elle avait sorti du frigo, on s'était échoué sur les deux petites marches de l’escalier de pierre qui menait au jardin, à l’ombre, à l’arrière de la maison, quand elle m’a lancé son regard le plus intense, en prenant sa voix grave, elle a dit: 
Il faut qu'on parle.
Je les connaissais bien, depuis le temps, j'avais payé assez cher pour savoir que quand une femme disait il faut qu'on parle ça voulait dire: Toi, mon gars tu vas m'écouter, j'ai des choses à te dire... 
Et généralement, ça n'annonçait rien de bon. Je me suis recroquevillé, tendu, prêt à recevoir.
À l’œil qu’elle m’a jeté, au ton de ses deux premiers mots, si mon sang s’est glacé, j’ai vite compris qu’il allait m’en cuire...
Décidément, on n’en sortirait pas…



10 commentaires:

M a dit…

Fastoche !
La suite pour bientôt ?

chri a dit…

@M Elle reste à écrire!

Tilia a dit…

Oui, décidément on n'en sort pas. Votre histoire pas gaie percute la triste actualité du jour

chri a dit…

@Tilia Ce n'est qu'une histoire, alors que la réalité du jour c'est la mort, le sang, la souffrance, la haine, la peur. Encore et encore...

Brigitte a dit…

Tristesse ambiante partout ...
La réalité pire que tout .

chri a dit…

@ Brigitte Oui, un printemps qui ne commence pas bien.

véronique a dit…

vous vous attendiez à une douche froide Christian !

chri a dit…

@ Véronique C'est ce qu'il a reçu, non? :-)

Pastelle a dit…

Dommage que ces mots ne présagent généralement rien de bon... Alors qu'on devrait parler tout le temps, non ?
Très joliment amené de toute façon, on sent l'ambiance qui devient de plus en plus lourde.

chri a dit…

@ Pastelle Vous avez raison mais même quand on parle tout le temps il se peut que l'autre ait davantage de choses à dire... Un jour.

Publications les plus consultées