09 juin 2016

Mon après-midi avec Jack N.


Je suis l'ami d'un gars qui, la belle saison venue, travaille comme maitre-nageur dans un des grands hôtels de Gordes. Un de ceux qu’on peut voir, sur la gauche, quand on prend la route qui descend du village. Un de ceux qui occupent une grande partie des anciennes restanques où, bien avant d’être un village pour riches touristes anglo saxons on cultivait essentiellement le blé pour la farine et les oliviers pour l’huile.
Sur l’une d’elle, la plus vaste, a été creusée une piscine pas loin d’avoir les dimensions olympiques mais à débordement latéral et lorsqu’on y nage en longeant le bord, on a l’impression de voler au-dessus de la Provence. Une sensation unique. Une merveille d’endroit où tout autour de l’immense bassin carrelé de mosaïque sans doute italienne, dans les tons gris bleu profond, sont posés des transats comme des lits king size, chacun protégé du soleil par un parasol de toile taupe. Une armée de serveurs déambule discrètement tout autour pour amener à des clients épuisés tout ce dont ils peuvent encore avoir envie. Et c’est là qu’on voit l’extraordinaire différence entre eux et nous. Ils ne se contentent ni du bassin, ni de la vue, ni des transats, il leur faut qui un cocktail, qui un journal qui des œufs brouillés à la truffe, qui un cigare, enfin il leur faut toujours quelque chose qui leur manque. C’est mon ami qui m’en parle. Lui, il est chargé de la qualité de l’eau. On l’a envoyé faire un stage de trois mois en Angleterre et un autre de trois mois en Floride pour le former à surveiller la qualité de l’eau. C’est dire si, dans l’établissement, le truc est pris au sérieux ! Il est aussi responsable de l’agencement des parasols et des transats et de donner des cours de natation aux clients qui profiteraient de leurs séjours pour apprendre le crawl, la nage indienne ou la papillon. Un joli nom de nage mais une tannée à apprendre. La plupart du temps, on lui fourre entre les pattes un ou deux enfants insupportables dont on se débarrasse ainsi une bonne demi-heure. Comme chaque demi-heure lui rapporte l’équivalent d’une semaine de travail d’un maître nageur municipal, il aurait mauvaise grâce à se plaindre et du reste il ne se plaint pas.
Pendant les périodes où la piscine est ouverte mais l’hôtel peu rempli, il a pris l’habitude de me passer un coup de fil et de me proposer de venir passer l’après-midi avec lui au bord du bassin si l’envie me venait.
Elle vient assez fréquemment quand l’occasion se présente, j’aime autant vous le dire.
Une demi-journée au paradis ne se refuse pas. Ou difficilement. On ne lui demande jamais rien sur mon éventuelle présence depuis le jour où il m’a présenté comme un ingénieur chimiste spécialiste des dosages à qui il faisait appel pour améliorer la qualité de ses traitements. Cette volonté de l’excellence qui, pour le coup, ne nous était pas contraire…
Et quand j’y suis, moyennant quelques manipulations d’éprouvettes l’air concentré, j’y passe des moments de rêve absolu pas seulement parce que les femmes y sont plutôt belles mais surtout que le cadre y est somptueux et les transats confortables.
Il m’avait appelé la veille et m’avait proposé : Si tu veux demain après midi tu peux venir.
Je ne m’étais pas fait prié, j’avais dit : Je viens. Et j’y étais allé.
Je m’étais installé en début d’après midi sous un des parasols, un peu à l’écart pour la tranquillité. J’avais apporté deux bons livres dont j’avais commencé la lecture une semaine avant.
Au bout d’une heure environ, entre les pages et les longueurs un type un peu âgé mais paraissant plus, barbu, les yeux cachés derrière des ray bans vintage noires, un cigare à la bouche, les cheveux coiffés à la bombe agricole, est venu s’allonger sur un des transats voisins. J’étais soufflé. C’était lui ou pas ? Oui, finalement c’était lui. LUI? Ici?Je l’ai salué, il m’a répondu d’un signe de tête. Et puis, je ne sais plus comment c’est venu, nous nous sommes mis à parler. Lui avec un accent à couper au couteau, moi pareil avec un anglais déficient mais au bout d’un instant on s’en est foutu, on a juste parlé en descendant deux trois verres qu’il avait commandés. Il devait s’emmerder ou je ne sais quoi pour être si disert, il a voulu savoir pas mal de choses sur le pays, il venait pour un film qui devait se tourner pas loin il en avait profité pour se prendre une semaine de vacances avant le début du tournage. Quitte à l'embarrasser, je ne me suis pas géné pour lui dire que Vol au-dessus d'un nid de coucou restait à ce jour mon plus grand émoi de cinéphile débutant et que, depuis, je ne pouvais pas voir une infirmière d'hôpital sans penser à l'épouvantable Miss Ratched.... Non, il n’avait jamais revu Shining, oui il aimait la France et y venait souvent, non il ne comprenait pas qu'on puisse voter Trump etc etc
Vers la fin, avant qu’il me serre la main et qu’il s’en aille je lui avais juré de ne jamais parler à personne de cette rencontre. Il voulait par dessus tout être peinard. Ce "peinard" avec son accent était irrésistible.
À personne ?

Vraiment ?



18 commentaires:

M a dit…

Un homme agréable en somme ! Et quel acteur ...

chri a dit…

@ M Sans doute...

Laurence Chellali a dit…

Bonjour cher Chri ! Au moins, il semblerait que les employés soient aux petits oignons ici. Faut-il faire venir des acteurs pour que ce soit le même cas dans les endroits un peu plus "populeux" ? Mon fils vient de refuser de continuer de travailler pour un hôtel en Sardaigne (job d'été pour un jeune de 20 ans). Au programme, pour 400 euros bruts par mois, il devait faire l'animateur 15h par jour, interdiction de s'assoir avec les clients sauf pendant les repas où le rôle d'animateur continue, logés à 8 dans une pièce semi enterrée de 25 m2 à 5km. Donc trajets à pied. Il devait signer pour 4 mois (après 3 jours d'essai non payés - enfin si ... 20 euros ...) et s'il ne faisait toute la période il devait rembourser (oui, oui !!!) le prorata des jours où il aurait dû travailler. Et j'en passe d'autres quíl serait trop long d'énumérer ... Et cerise sur le gâteau, le patron lui a lâché : "écoutes, déjà je te fais une fleur de te donner un boulot". Racontée à la manière de Chri, ça ferait une bonne histoire je trouve ;)

chri a dit…

@ Laurence Chellali Je suis content de te lire ici! Comme ton fils a bien fait de se respecter en les envoyant promener. J'avais refusé en son temps un job d'été de voiturier au casino de Juan les pins à cause du port du chapeau de groom... On a sa dignité ou pas!!! :-)

chri a dit…

@ Laurence Chellali

PS Il ne faut peut-être pas me faire tout à fait confiance...

Anonyme a dit…

t'façons nous on répètera rien alors...
Marie

chri a dit…

@ Marie Je compte sur vous!

M a dit…

Sans doute, sans doute... Typiquement la réponse qui le fait planer (le doute) ainsi le fils à Nicole ne viendrait pas tailler la bavette avec un éminent chimiste (je passe la rime en - miste, ben quoi me suis fait avoir et je suis mal vissée aujourd'hui)

chri a dit…

@ M Mal vissée? C'est à dire?

M a dit…

Lunée, vissée, pied gauche, chafouine, OU comme une ampoule qui le serait : pas une lumière (pour tout croire skiditici)comme on veut ! :-))

chri a dit…

@ M Il faut dire que j'ai fait beaucoup pour que ce soit lu tel que! A part le vraiment de la fin il n'y a que des fausses pistes!

Brigitte a dit…

Tu as bien raison de profiter de ce cadre quasi idyllique ...
j'espère que tu as bien fait les analyses de l'eau !!!

Tilia a dit…

Des fausses pistes ? oui, bien sûr. N'empêche, celle de la piscine panoramique a bien failli marcher :-)
Vérifications faites, ce n'est ni celle des Bories, ni celle de la Bastide.
L'idée étant séduisante, ce genre de piscine panoramique existe sans doute ailleurs en Provence.. si ce n'est actuellement, ce sera sûrement dans le futur !

chri a dit…

@ Tilia La piscine de la Bastide de Gordes aurait été refaite cet hiver et c'est comme je l'ai décrite qu'elle aurait dû être repensée...

@ Brigitte Oui, les analyses sont forcément impeccables, comme toujours dans ce genre d'endroit. On imagine assez mal une piscine de ce calibre un peu sale...

Xavier O. a dit…

Ce qui m'inquiète surtout dans cette histoire, c'est quand même de savoir si "all work and no play make Jack a dull boy" et aussi peut-être est-ce que la qualité de l'eau était à son goût?

chri a dit…

@ Xavier Oh oh On connait son Shining sur le bout des doigts! Je crois surtout que Jack N. est quelqu'un qui, dans le fond n'aime vraiment pas l'eau...

véronique a dit…

non ! pour de vrai pour avez papoté avec LUI ? vous lui avez serré la main ? j'y crois pas .. l'idée que j'ai de lui est plutôt sympa et vous confirmez tout ça ..
c'était une bonne journée en somme !

chri a dit…

@ Véronique Vous n'avez pas lu les commentaires, alors...

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