14 juin 2016

Mon repas avec Audrey T.

Il m’arrive assez souvent de, comme on dit quand on habite dans le sud, monter à Paris.
J’aurais beau vivre en Alaska ou à Mereni une charmante petite ville de la Moldavie profonde, quand je reviens à Paris, quand j'inspire son air Gare de Lyon, je me sens immédiatement chez moi. Je dois dire que c’est la ville où je suis né, au 26 du boulevard Sébastopol, on ne peut pas faire plus central. C'est donc celle où j’ai passé les toutes premières années de ma vie. Je sais presque tout de ses ciels gris plomb, de ceux bleus électrique, je connais par cœur l’odeur de ses rues, le rythme variant des battements de son cœur, j'en sens ses humeurs changeantes. J’y suis comme un poisson dans une immense bassine. Il arrive que ce soit parfois une eau trouble, vaseuse, épaisse, oui, mais c’est mon eau. Et quand j’y suis, j’y marche dans les rues, j’arpente les trottoirs en laissant faire le hasard comme un chien truffier parcourt les bois de chênes verts. Mais j’ai mes oasis. Des bars où j’aime aller, des brasseries que je fréquente, des endroits où je m’y retrouve avec plaisir. Parmi ceux là, il y a le Café Blanc qui est tout près du Palais Royal, du Louvre, des jardins des Tuileries, de la place de la Comédie Française, de la galerie Vero Dodat, des halles, du Ministère de la culture, de Saint Germain l’Auxerrois…. Quand je suis né, j’ai vécu un temps rue Saint Honoré, c’est dire si ce quartier là est mon quartier.
Et, donc, j’aime m’asseoir au Café Blanc qui se trouve au 10 de la rue croix des petits champs, un angle de rue où je me pose en terrasse si le temps le permet, en salle s’il pleut. Je suis assez souvent assis en salle. J’aime cet endroit parce qu’il est simple, ce qu’on y mange est bon et servi avec le sourire ce qui, pour Paris est déjà un bel exploit.
Cette fois là, cette mi-mars là, j’y suis arrivé un peu tard, vers treize heures, après un tour dans les jardins du palais Royal. L’endroit était bondé. Un coup de feu assez puissant. Le serveur qui a fini par me connaître au bout de toutes ces années de présence me montre une seule table disponible près de l’escalier qui descend aux jolies toilettes. Jolies et propres, ce qui, pour Paris est assez remarquable. Je m’installe et commande assez vite une escalope de veau saltimbocca qu’en général, ils réussissent plutôt bien et un verre de blanc. Après quelques minutes d’attente, François revient vers moi l’air ennuyé :
Je suis désolé de vous demander ça mais j’ai une cliente qui vient d’arriver, c’est une habituée, je n’ai plus que la place en face de vous disponible est-ce-que vous voulez bien me sauver la vie en acceptant de partager votre table ?
Demandé comme ça j’aurais eu mauvaise grâce à baisser le pouce.  En tentant une  plaisanterie je lui dis : D’accord mais seulement si elle est jolie. Alors, en m’adressant un clin d’œil, François me jette : De ce côté là, vous ne devriez pas être déçu…
Puis, il appelle la jeune femme et lui glisse : Ce monsieur accepte gentiment de partager sa table, je vous la propose, si cela vous convient et dès qu’une se libère, je vous y mets.
Elle me dit bonjour, je lui rends en faisant mine de me lever pour attendre qu’elle prenne place.
Nom d’un putois malade, c’est elle. Si, si, c’est elle tu n’as pas la berlue, c’est bien elle en train de s’asseoir en face de toi mon gars… Elle portait une petite robe noire sous un trench clair, elle était à faire un avc. (Accident Vasculaire Cardiaque).
Une fois assise, je lui dit : Vous allez avoir dix minutes pénibles mais j’espère m’en remettre, dans un petit moment je dois pouvoir redevenir fréquentable. En attendant, je vais bredouiller, être maladroit… Elle me coupe : J’ai l’habitude, vous savez. Et elle me sourit. Ce sourire…
Un quart d’heure après on était les meilleurs amis du monde et nous avons papoté. Nous avons passé trois heures à parler de ses rôles, de Vénus beauté, d’Amélie, bien sûr d'Amélie, des marins perdus, d’Izzo, de Giraudeau, des Poupées russes, de Vrais mensonges, de Hors de prix un de mes préférés, d’Audrey Hepburn à qui on ne pouvait manquer de l’associer. Elle était drôle, vive, pas ramenarde. Un vrai bonheur de compagnie. On s’est quitté, après deux derniers expressos, sur le trottoir du  Café Blanc en se claquant deux bises comme deux vieux potes qu'on était presque devenus.
Pas si souvent qu’on prend un tel plaisir en mangeant, même au Café Blanc.



À suivre: Mon voyage avec Romain D.

8 commentaires:

Tilia a dit…

Bravo !
« C'est un beau roman, c'est une belle histoire. C'est une romance d'aujourd'hui. » (air connu ;-))

Quand vous êtes en terrasse, au Café Blanc, comment trouvez-vous les toiles d’araignée sur l'immeuble d'en face ?..

chri a dit…

@ Tilia Oh non pas vraiment une romance, juste un repas très agréable en plutôt belle compagnie!

chri a dit…

@ Tilia La toile de l'araignée me plait bien!!!

M a dit…

Je confirme ! Avec tes mots c'est mieux : de gala !

chri a dit…

@ M Un vrai bouquet de personnalités!!!

M a dit…

Vivement le prochain voyage ! Quoique qu'il ne fasse pas souvent la une :-)

Brigitte a dit…

Moi j'dis juste formidable !
Quel chouette moment

chri a dit…

@ Brigitte Oui, il méritait d'être raconté...

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