17 avril 2018

Cette année.

Cette année, personne ne l’avait encore vu vraiment, mais il était là, pas loin.
Nous étions déjà à la mi-Avril et, au loin, là bas, tout en haut, le Grand Chauve avait sagement gardé son bonnet de neige. Chaque locomotive de nuages qui le frôlait lui en déposait une couche. La nuit, la fabrique de gel fournissait toujours à plein régime, comme s’il n’était pas encore sorti de dessous ses couettes, comme s’il ne s’était pas vraiment réveillé, comme s’il n’avait pas vu l’heure, comme si personne ne l'avait prévenu. Et pourtant nous le sentions arriver. Nos corps le sentaient arriver. Quelque chose dans l’air, aussi. Une lumière du soir, une douceur fugitive, des teintes vagues et tendres dans les touffus, la force d’un courant, une caresse bienveillante du midi. De petits signes, des mains levées discrètes, des sourires diffus. Oh ce n’était pas encore la poussée, l’éruption, le grand chambard, c’était une annonce, un pré, un avant, tout juste un bientôt.
En tous les cas, dans le pays, il était attendu, nous savions bien qu’il allait se pointer, il arrivait depuis si longtemps, mais comme un amoureux stratège, il faisait attendre, il repoussait, il différait, au fond, il faisait languir. Patientez un peu, quelques jours, quelques semaines. Ainsi, de me voir, enfin, je fais le pari que vous m’aimerez davantage. En bas, dans les jardins, les forces vives du Grand Renouveau s'étaient mises en ordre de bataille, les amandes, elles, étaient en belles formes, les figues au bout des branches déjà bien en rondeurs, les vignes en duvets soyeux, les boutons de roses claffis de pucerons en affaire, les arbres en petites feuilles repeignaient l’horizon du coin de vert tendre, les merlettes grattaient sous les cyprès, leurs petits piaillaient au dessus, dans les nids, en plein midi, les lézards musardaient sur les murs des terrasses, le pied de romarin en fleurs d'artifices bourdonnait comme une usine à abeilles, les couples se formaient à grands rrrou rrrou chez les tourterelles, comme des mines antipersonnelles, les boutons des iris et des rosiers allaient nous exploser aux yeux... Les pairies s'étaient enjaunies de fleurs de pissenlits, les muscaris bleuissaient en tâches, le vert de l'herbe. Les iris jaunes, en bord d’eau, eux, étaient déjà en fleurs et, le soir venu, les vols en points de suspension de quelques chauve-souris traçaient du noir sur le bleu nuit.
Il n’allait pas tarder, nous en étions tous quasi certains, mais ce sera quand ?
Cette année comme pendant celles qui ont précédé, depuis qu’il avait posé ses valises dans ce pays, c’est en guettant tout ces indices qu’il marchait dans les rues de la ville aux ceintures d’eau. En relevant ces signes et, en vrai, en la cherchant. Ou plutôt en espérant l’apercevoir. Sa famille habitait une maison sur les hauteurs. Une maison dans laquelle il était allé une fois ou deux. Il y avait même dormi une nuit mais sans qu’elle soit là. Il se souvenait de la grande piscine... Du temps où il la connaissait d’un peu plus près, il était passé, il était beaucoup de passage à cette époque là, dans l’ancienne maison. Pas loin. Dans la plaine. Là, avec elle et les autres, ils avaient vécu plusieurs jours. Suspendus. Un soir, ils étaient allé manger à la ville proche, sur une placette dans une ruelle. Ils avaient partagé un plat dont le goût, depuis, l’accompagnait.  Une reine, c'était une reine. Ou bien une quatre fromages. Il se demandait souvent s'il la reconnaitrait, il avait tellement changé! 
À partir de ce séjour, il s'était pas mal loupé. Dans les grandes largeurs, tous les angles,  les gros côtés, les petites longueurs, les petits côtés et les diagonales, aussi, pour faire bon poids. Désormais, quand, dans l'année, se pointait cette période de Grand Renouveau Général, d'Immense Bazar Hormonal, certains jours, il faisait trois ou quatre fois le tour de la ville, il cherchait à croiser les regards des gens, qui devaient le prendre pour un sociopathe,  il guettait l’apparition d’un fantôme au détour d’une terrasse, il s’asseyait à peu près là où ils s’étaient assis et il attendait, en espérant que quelque chose se passe, au fond, que le soir vienne. 
À cette heure, il ne l’avait encore jamais revue. C’était à croire qu’elle ne mettait plus le nez par ici, qu’elle ne venait plus dans le coin, qu’elle avait, comme déserté.

Lui, il resterait là, jusqu’au soir… 
Le soir revient vite quand on ne s’ennuie pas.


7 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est presque du Giono sauf la fin.
Papy

M a dit…

Mais c'est qu'il nous gâcherait presque le plaisir du printemps... Sauf le début !

Anonyme a dit…

Roooo... moi je prends. Le début la fin et le milieu.
Ps: montez aux ruines. Des fantômes y jouent qui ne sont pas méchants. Et peut être nous croiseront nous😊

chri a dit…

@ Papy et M Vous devriez vous rencontrer, vous vous complétez pas mal...

chri a dit…

@ Anonyme

Merci de tout prendre!

De quelles ruines parlez vous donc?

Anonyme a dit…

Je vous parle de Thouzon. Évidemment. ...
Lou

chri a dit…

@ Lou Ben oui, Thouzon, Thouzon!

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