14 avril 2018

Vague à lame.

Nous nous étions bien embrouillés, lui et moi. 
Pour des broutilles, en plus. Mais c’était souvent comme ça, les conflits, enfin, ce qui pouvait les déclencher n’en était pas la vraie raison. La vraie était plus profonde, ancienne, enfouie. Elle ne demandait qu’à surgir.
J’étais peut-être crevé, ma citerne de patience à sec, lui particulièrement en forme ce jour là, va savoir. Nous n’avions pas su comment endiguer la querelle au tout début et elle avait fini par nous péter au nez. Nous n’étions pas beau à voir. Les gens exprimant leur colère sont rarement beaux à voir. Une écume blanche leur vient aux lèvres, leurs yeux sont injectés de haine, les mots qui sortent de leurs bouches tordues sont rarement les bons, tout ce qui s’échange, invectives, gestes, tout contribue à la faire grandir, rien à l’apaiser. Les deux s’enfoncent dans des impasses dont ils vont avoir un mal de chien à se sortir, ils le savent pourtant qu’ils ne devraient pas s’y engouffrer mais ils s’y plongent, c’est plus fort qu’eux.
En général, c’est au plus sensé, au plus adulte, au plus vieux, au plus sage des deux de prendre les choses en mains, d’attraper les rênes de leurs deux mustangs hystériques et à gentiment tirer dessus pour ramener tout le monde à la raison, au calme, au paddock. J’étais, ce jour là, censé être sensé. J’ai eu, ce jour là, tout faux. J’ai fini par le virer de l’endroit où nous étions enfermés.
Il l’a fait. Il a foutu le camp et il a disparu. Un temps.
J’ai fini tant bien que mal ce que j’avais commencé. J’avais du mal à me concentrer, revenaient sans cesse les tourments de l’affrontement qui venait d’avoir lieu. Ce que j’aurais dû faire, dire, ce que j’avais manqué, ce que je me reprochais, ce qui nous avait poussé à nous opposer, comment les choses allaient maintenant tourner, quoi dire à qui , que ce serait-il passé si j’avais été moins con. Tout ça faisait un beau potage dans ma cervelle affaiblie. Et puis nous sommes tous sortis.
Les autres ont filé devant, je suis resté un peu en arrière à fermer la porte à clé. 
Et j’ai commencé à descendre l’allée.
C’est là que je l’ai vu arriver d’un pas plus que décidé. Énervé. Il était encore énervé. Il montait vers moi. Ses narines fumaient toujours. Je me suis arrêté, il s’est approché de moi, très près.
Alors, ça va mieux j’ai demandé faussement souriant.
Si tu veux qu’on se batte, j’ai ce qu’il faut m’a-t-il balancé avant d’entre ouvrir son blouson et de me toiser du regard. Il avait, glissé dans son pantalon un couteau de cuisine. Le manche grand comme un avant bras et pourtant,  je n’ai pas eu peur. Je n’en tire aucune gloire mais je n’ai pas eu la moindre petite parcelle de peur. Je n’ai même pas envisagé qu’il puisse s’en servir. Je lui ai juste dit : Qu’est ce que tu fous avec ça ? Tu vas te couper. Et puis après un temps : Rassures toi, nous n’en sommes pas là, toi et moi. Range vite ton truc, fais surtout gaffe à ne pas te blesser avec. Je te laisse rentrer chez toi, reposer ce machin et reviens me voir à ton retour qu’on en parle mais fais attention, c’est pointu ces trucs là.
Et c’est moi qui l’ai planté, là. J'ai tourné le dos et j’ai continué mon chemin calmement. Je n’ai pas vu la tête qu’il a faite à ce moment.
Je l’ai juste vu s’en aller, passer la grille et disparaître au coin de la rue.

Et j’ai attendu qu’il revienne et qu’on se parle.


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