10 décembre 2008

Bal à deux.




A peine débarrassés de nos écharpes, de nos bonnets, de nos gants, de nos manteaux, de nos pulls, enfin de tout ce qui pouvait nous éviter de vilaines engelures, elle a filé droit vers la chaîne, appuyé sur deux trois boutons et les premières notes de guitare ont rayonné dans la pièce..." Ya que quand le soleil se coucheu... que le gris de ses yeux s'iriseu... Suffit qu'un rayon la toucheu pour qu'elle rou ou gisse... Y a que quand le vent soufflau large sur l'océan de sa peau salée... Que mes mains s'attardent, que mon corps débarque dans ses baies..." Elle avait eu une envie soudaine d’entendre cette ballade là. Comme on entoure un cadeau d’un ruban quand on veut que ça soit plus joli, alors que sans, c'était déjà bien. Nous venions de passer deux bonnes heures le nez dans le mistral surgelé ponçant les hauteurs de Saumane.
Nous étions allés poser nos deux sur une pierre face au paysage, oh pas bien longtemps, à cause du froid qui régnait là-haut. Un froid à enrhumer un ours blanc. Pour voir. Pour voir et entendre le souffle du vent qui, déboulant de bien plus haut rebondissait sur le Ventoux et tombait en cascades agressives sur nos épaules fragiles et vulnérables. Nous y étions allés pour prendre de la hauteur et nous faire des souvenirs. Peut-être aussi, pour tuer ou bien blesser le temps afin qu’il passe moins vite ? Nos rires sous les assauts du vent, notre équilibre précaire sous les rafales, notre avancée pénible sous les gifles répétées...
Bien sûr, je me suis assis derrière elle pour la protéger du gel, moi qui allait, bientôt l’exposer à cœur fendre. A part nous, il n’y avait pas âne qui vive, là-haut, que nous, nos corps et nos chaleurs mêlés. J’avais posé mes lèvres sur le chaud de son cou, là, oui, dans la nuque, dans le doux de son odeur, j’avais serré les bras autour de ses épaules. Elle m’avait laissé faire, mais elle ne m’y avait pas invité. Tout mon corps lui disait : Je suis là. Tout son corps répondait : "Ben je le sens bien que tu es là". Mais, les nuages fichaient le camp à toute allure comme des moutons sous les poils d'un balai brosse. Nous avons déjeuné d'une ou deux pommes givrées...
On imagine mal, quand on y vient l’été, combien cet endroit peut être hostile en Février.
Les cigales y sont emmitouflées, les sauterelles en sommeil, les écureuils avaient levé l'ancre vers les Tropiques, les oiseaux avaient oublié de se poser. Ici, l'hiver, les pierres s’y fendent, les ciels s’y glacent, les cistes s’y rabougrissent, les bruyères s’y racornissent, les lavandes s’y sèchent, il n’y a que le thym sauvage et la sarriette qui semblent s’en tirer avec un peu de gloire.
La veille, j’étais arrivé par le train à la gare d’Avignon.
J’avais passé un coup de fil dans la matinée : " Si je viens, tu seras à la gare ?"
Elle avait répondu : " Tu verras bien. Essaye toujours..." De sa part, je ne m’attendais à rien d’autre, je savais que toute cette distance qu’elle posait était une manière d'éviter les pièges, puis après un instant :
"Mais si tu venais et si on se voyait tu repartirais quand?"
Droit dans ce qui fâche.
J’avais bredouillé : "Je ne sais pas, deux ou trois jours "
"Alors, épargnes toi le voyage..." Et elle avait raccroché. ELLE AVAIT RACCROCHE. On se sent bien bien couillon avec les bip bip dans les oreilles quand l’autre n’est plus là et qu'on sait qu'il a eu raison de le faire.(Au fait pourquoi dit-on raccrocher au nez? C’est bien aux oreilles qu’on raccroche, non ?)
J’avais rappelé, une fois remis, pour lui donner mon heure d’arrivée :"Et si tu n’es pas à la gare, ce sera tant pis pour moi, je reprendrais le train dans l’autre sens." Le souhait de ne pas perdre totalement la face?
Quand j’étais sorti du hall de gare déjà balayé par un mistral à défriser les taupes, il n’y avait personne. Même quand on y est préparé, cela reste désagréable.
Une heure après, j’étais toujours assis sur mon sac de voyage dans un coin, entre deux murs quand sa voiture a monté la rampe.
Elle est sortie et a juste posé sur le siège où j’allais m’asseoir : "Je voulais que tu vois ce que ça fait d’attendre."
Je n’ai su que bien plus tard le beau sourire à l’annonce de ma venue mais aussi, le terrible déchirement de mon départ. Avec elle, j’avais pu vérifier combien l’amour ce sentiment qu’on ne voudrait que magnifique peut, parfois, nous rendre misérables. Cela reste un abyssal mystère. Pourquoi la joie d'un possible n'est jamais à la hauteur de la déception d'un réél?
Toute notre histoire tenait là, dans le poing fermé de ces mots simples. Un mesclun de doux et de griffes, un mélange de bonheurs profonds et de peines absolues, un méli mélo d’encore et d’assez…
Quand l’eau avait bouillonné, elle avait servi un thé brûlant et j’avais même consenti à une tasse de cette boisson de fille, c’est dire dans quel état j’étais… Sans en ajouter, je crois bien en avoir bu deux. Et j'ai trouvé ça bon. Anéanti.
Dehors, le vent faiblissait, épuisé de sa colère, le jour était, comme lui, en train de mourir. Un de plus, un de moins, un, déjà? Il y a des instants, comme ceux là, où, à part le temps, rien ne se passe et pourtant tout arrive. Pour longtemps. très longtemps puisqu'il s'en parle encore aujourd’hui.
Dans la pièce, maintenant chauffée par le bois brûlant dans la cheminée, Lafontaine qui en avait fini de sa chanson venait de murmurer : " Sur son ventre là, je reste là où elle est… "
C’était sans doute ma place, à moi aussi.
Malheureusement, je n'allais pas y rester.

Nous le savions tous les deux.
(De Marseille).




2 commentaires:

Slevtar a dit…

Troisième matin que je me la refais celle-là, et toujours à me dire à la fin, c'est pas possible, mais c'est pas possible. Un peu la trouille au ventre.

chri a dit…

Slev: Ben oui, c'est possible mais c'était tellement pas possible...

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