09 avril 2009

Anniversaire…

Lettre écrite le 15 Avril 2004. Cinq ans après, je ne vois pas une virgule à déplacer…

"Chère Anne, Laninou,
Envie/besoin de t’écrire encore ce soir. Pour la première fois depuis qu’on se fréquente (j’aime ce verbe là bien qu’il ne soit pas approprié puisqu’il porte une idée de relation plus amoureuse que fut… qu’est la notre, mais se fréquenter, entre humains, reste une jolie perspective…) toi et moi, neuf mois, une durée qui ne t’est vraiment pas étrangère, pour la première fois de toutes, je t’en veux ce soir. Un peu.
Toulouse t’a accompagnée jusqu’à la dernière demeure de ton corps, celle du « reste » est maintenant en nous et tu nous laisses là, pantelants, hébétés, abattus, seuls avec notre route à poursuivre et notre immense chagrin. En plus, je suis certain que tu t’en voudrais à toi-même de nous causer tant de peine.
Chèranne, pourquoi nous as-tu fait ça ? Pourquoi t’es tu fait ça ?
Je me sens brisé ce soir Anne comme le sont tous ceux qui pleuraient aujourd’hui à Sainte-Claire. Toute cette douleur et nous ne pouvons pas même t’en vouloir ou alors juste le temps de la dire.
J’écoute Julien Clerc Les séparés, une chanson que je t’avais envoyée dès le début de notre « relation » et je pleure, je relis un passage de La plus que vive de Christian Bobin et je me dis qu’il devait te connaître lui aussi :
“Tu es adorée, adulée, comblée, choyée et tu n’as pas une vie facile. Personne n’a une vie facile. Le seul fait d’être vivant nous porte immédiatement au plus difficile. Les liens que nous nouons dès la naissance, dès les premières brûlures de l’âme au feu du souffle, ces liens sont immédiatement difficiles, inextricables, déchirants. La vie n’est pas chose raisonnable. On ne peut, sauf à se mentir, la disposer devant soi sur plusieurs années comme une chose calme, un dessin d’architecte. La vie n’est rien de prévisible ni d’arrangeant. Elle fond sur nous comme le fera plus tard la mort, elle est affaire de désir et le désir nous voue au déchirant et au contradictoire. Ton génie est de t’accommoder une fois pour toutes de tes contradictions, de ne rien gaspiller de tes forces à réduire ce qui ne peut l’être, ton génie est d’avancer dans la déchirure, par la déchirure, ton génie c’est de traiter avec l’amour sans intermédiaire, d’égal à égal, et tant pis pour le reste. D’ailleurs : quel reste ?
Avec le temps, bien des gens lâchent. Ils disparaissent de leur vivant et ne désirent plus que des choses raisonnables. Ils disent : « C’est la vie, c’est comme ça, il y a des choses impossibles, il vaut mieux ne plus en parler, ne même plus y penser puisque c’est comme ça, impossible. Toi, tu n’as jamais rien cédé. Tu as toujours tenu ton impatience serrée contre ta douceur. Désespérer de l’amour c’était pour toi une manière d’aimer encore. Tes yeux le disaient, ta voix le disait, ta vie entière le disait : tu n’étais qu’amour, à tel point que je me demande ce que la mort a pu saisir en toi, parce que « ça » elle ne peut pas faire main basse dessus. L’amour est fort comme la mort. Tu n’as jamais rien cru d’autre. »
A nous, il va nous falloir faire comme si tu étais encore là, comme si tu allais nous écrire demain, comme si nous allions nous voir bientôt, comme si nous nous attendions, comme si nous allions rire ce soir, nous embrasser à deux bras dans quelques jours, à nous, il va nous falloir continuer, en attendant….
Mais s’il te plait, Anne, laisse nous un peu de temps pour adoucir notre chagrin, pour nous vider de nos pleurs, laisse nous un peu de temps pour qu’on atteigne, tout en sachant que tu n’es plus là, le bonheur de savoir qu’on t’a connue et aimée et aussi celui de savoir qu’on a eu l’immense privilège d’être un peu aimé de toi …
Poutous, à deux bras.
S’il te plait Chèranne, Laninou, éclaire moi à propos de ce que je dois faire des 352 lettres reçues de toi… qui me restent là, sur le cœur et sous les yeux...
Anne était sage femme à Toulouse, elle avait mis au monde plusieurs milliers d’enfants, nous nous étions « croisés » en Juin 2003 sur internet, Anne souhaitait avoir des « discussions intimes ». Nous en avons eues. Nous devions nous voir en Novembre 2003. Anne se sentait trop fatiguée... Son cancer la minait déjà. Nous nous sommes vus, à Toulouse, un week-end de fin janvier 2004. Anne est morte le 11 Avril 2004 d’une embolie pulmonaire après un énième scanner...
Ce soir je pense aussi à ses filles..."


Cinq ans sans Anne, cinq ans avec ce sans...
C'est évidemment l'occasion rêvée, si l'on peut dire, d'avoir une pensée pour mes morts, ceux qui nous accompagnent, ceux avec qui nous devons faire sang.
Marie, Jeanne, Henri, Tony, Christine, Alain... et les autres, dont la triste liste qui, avec le temps, comme les ombres du soir, s'allonge, s'allonge...
Et, quand on retourne le cahier, celle des vivants nouveaux avec leurs joues gonflées de bouddhas heureux, qui s'étoffe, s'étoffe...




Ciel rose

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Toujours aussi belle et tendre, la lettre.
V.

Anonyme a dit…

La douleur sans esquive possible, et sa fidélité brute que tes mots convertissent en lumière permanente.
C'est bien ça, oui, nos morts n'ont pas d'ombre, qui survivent à l'absence d'un quelconque au-delà.

Slev

chri a dit…

Oui, Slev, heureusement que certains ont la grâce de se faire léger... Ils sont ainsi plus faciles encore à porter...

Véronique a dit…

lettre que j'aurais envie de lire à ... quelqu'un d'autre !
parce que nous avons tous nos dates de ces anniversaires là ...
et si le souvenir devenait presque doux aussi ?

chri a dit…

Slev, Ils se font légerS...
Véronique, d'une certaine manière tout cela s'adoucit comme un galet se ponce... C'est, bien sur, très long mais oui la douleur s'apaise et les angles s'arrondissent.

Véronique a dit…

je sais çà ...
j'aime bien cette image du galet que l'on polit

Anonyme a dit…

Cette lettre a été écrite pour Anne avec le coeur,Laninou était une personne fascinante que j'ai bien connu ,que j'ai beaucoup aimé,elle me manque,merci d'écrire d'aussi belles choses pour elle

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