27 avril 2009

Une main dans le sac.

Je finissais une balade en vélo quand je suis passé devant l’étalage. Je me suis arrêté. Leurs légumes, ici, semblaient plus frais qu’ailleurs, sans doute parce que j’avais très faim. J’ai appuyé mon engin contre la camionnette délabrée qui servait d’abri et, je me suis approché.

C’est une mamie hors d’âge qui servait. Un large sourire au visage, avenante, accueillante, drôle, gentille, courbée, tordue, indulgente.

Je lui prends trois artichauts violets, des petits neufs que je prévois de préparer crus avec des fèvettes et des tomates d’ici, rondes, le tout relevé d'une vinaigrette au pissalat. (Le pissalat c’est comme une purée d’anchois qui sale et donne un gout particulier. C’est ce qu’on met sur la pâte au-dessous des oignons cuits dans une pissaladière). Pour engloutir, vous gardez les feuilles d’artichauts les plus grosses et, comme avec une pelle, vous ramassez dans l’assiette les morceaux de tomates et quelques fèvettes nouvelles et si vous êtes un tant soit peu normal vous devez vous extasier.

Je lui prends aussi un concombre nouveau pour le mélanger à du fromage blanc et à des feuilles de menthe qui viennent à peine de mettre le nez dehors, elle sentent mille torrents… Le tout fera un joli plat.

Et, pendant qu’elle me pèse les tomates, en me tournant le dos, ma main droite, cette dingue incontrôlable, plonge dans la cagette des tomates cerises qui est juste à côté. Elle en ramène UNE que je glisse le plus discrètement possible dans ma poche pour plus tard, quand j’aurais repris route… Une seule, pas plus grosse qu’une bigarreau et presque aussi rouge.

Et, c’est à cet instant précis que le ciel s’est fendu en deux, que la foudre m'a traversé et que, de derrière la clôture un homme est arrivé, l’air maussade. Le type m’a foudroyé de son regard noir, luisant, venimeux, fumant (je n’ai pas bien vu…) Il s'est adressé à moi en disant d'une voix enclumée de reproches: “Vous pouvez reposer la tomate… (cerise, j’ai dit, pour diminuer l’ampleur du larcin?) que vous avez mise dans votre poche?”

J’ai été, en une demi seconde recouvert de cendres fines et de honte cramoisi. Si j’y avais cru, j’aurais demandé à être, sur le champ transformé en cafard, si possible suzette.

“Bien sur” j’ai dit au gars qui en a profité pour m’appuyer la tête sous l’eau: “C’est moche ce que vous avez fait là, c’est très moche…” Il avait raison. J’ai quand même voulu lui couper un peu l’herbe sous le pied et reprendre un semblant d’initiative: “Comme vous avez raison, je me sens si minable et si honteux, si vous saviez...” J’étais prêt à aller couper cent badines pour me flageller à nu, à même le gravier, devant son étal. En même temps, je pensais: oh hé dis, n’en fais pas trop le donneur de leçons, ce n’est qu’une tomate cerise, au prix où tu les vends... On peut se demander où il est, l’escroc… Mais je n’en ai rien laissé paraître, j’ai continué dans ma fustigation forcenée…

Je pensais aussi: En ces temps troublés des types volaient à pleines brassées des millions d’euros à tours de bras et continuaient de parader dans les magasines et moi, j’escamote UNE tomate cerise et je me fais gauler comme un novice… Suis pas près d’être gangster…

Ma main droite, nous règlerons ça tout à l’heure… Tu as la chance que j'ai abandonné mes penchants talibans sinon, à cette heure, tu tremblerais dans la sciure froide…

En vrai, dans le fond, j’étais honteux, mais honteux à un degré éveristique…

Une leçon à prendre. Les gens honnêtes ne le sont ni par sens moral, ni par grandeur d’âme, non, non. Nous le sommes la plupart du temps à cause de la trouille de nous faire prendre. La peur de cette seconde épouvantable où un type débarque de derrière les fagots et vous dit: '”Monsieur, vous pouvez reposer la tomate cerise que vous avez prise…” Et là, très vite, vous bénissez le ciel qu’il n’y ait pas grand monde devant l’étalage… Comme ça, vous pensez que peu de gens auront assisté à votre déchéance et qu'ainsi votre honte en sera diminuée…

Tout de suite après, m’être confondu en excuses, je me suis demandé : “Et la framboise que j’ai engloutie d’un geste, juste avant de faucher sa tomate l’a-t-il vue, se laisser avaler?"

Ho Hé m’a-t-il vu la voler, SA framboise?















Photo rémi Cottard.

Pissalat pour un pot de 200gr:

Faites dessaler 200gr de filets d'anchois à l'eau froide, puis
égouttez-les.
Piller au mortier 5 ou 6 clous de girofle, 2 feuille de laurier,
3 brin de thym , 12 grains de poivre noir, huile d'olive.
Pilez le mélange d'épices et au fur et à mesure ajouter l'huile
d'olive en filet, jusqu'à la consistance voulue.
Le pissalat doit être assez onctueux . Voue pouvez ensuite
l'incorporer à une mayonnaise ou à un beurre blanc.

Petite précision à l'origine ce condiment niçois se préparait avec
des alevins de sardines et d'anchois

8 commentaires:

Anonyme a dit…

la prochaine fois, piquez carrément une cerise ! l'une de celles qu'on importe à grands frais du chili en décembre...
marie

chri a dit…

Pas de ça chez eux, Marie! Que du frais d'ici et elles ne sont pas zencore là les neuves.

Anonyme a dit…

Que n'étiez-vous Gyges le Pamphylien ! On n'est juste que sous le regard d'autrui.
Trouvez l'anneau.
V.
PS : bravo au photographe encore !

chri a dit…

V: Gyges? Ah mais non, juste un gamin de douze ans de la confiote plein les doigts... Pas très glorieux...

Anonyme a dit…

Mais c'est un comble, ça quand même ! C'est le vendeur qui est condamnable ! Le genre qui pense que celui qui vole un oeuf volera un boeuf !
Il n'y a pas de phénomènes moraux, mais seulement uneinterprétation morale des phénomènes .Dixit Fred Nitche
Il aurait pu s'en sortir avec de l'humour au moins !
Culpabiliser pour dominer ! Pfff !
V

chri a dit…

V: Son inconscient a dû se charger de lui dire à qui il avait à faire, ce con!

Anonyme a dit…

Hey ...!! Tu ne vas pas me la faire à moi : tout cela est finement joué. Le coup de la tomate, comme au bonneteau, avec un complice, à qui en fait tu passais le cabas rempli de la liste énoncée, pendant que la petite dame, ses pauvres yeux collés à la balance, tentait de mesurer les très précis 859 gr de framboises que tu avais demandés.
Mieux que Madoof aujourd'hui au régime sec, lui. (Enfin .. supposé).
slv

chri a dit…

Slev: Cerise, la tomate, cerise... comme sur un gâteau...

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