31 janvier 2010

Demain, au panier.

L’analyste n’avait pu masquer un sourire quand le type avait tenté de déplier ses deux mètres douze pour les allonger sur le divan. Au fond, là-bas, les deux quarante six chaussés d'air Jordan incrustées de strass, flambant neuves débordaient, pendouillaient dans le vide alors que sa nuque, près d’ELLE, voulait se caler contre l’accoudoir. Ce divan là, était bien trop petit pour tout ce grand échalas, là.
Pour l'instant, il dépassait des deux côtés.
Toute l'histoire avait commencé au plein milieu de l'année d'avant. Jusqu’à ce moment, rien à signaler, tous vivaient une saison normale. Il était le meilleur marqueur de l’équipe, c’est pour ça qu’ils l’avaient acheté. Marquer, c’est ce qu’on lui demandait de faire et il le faisait avec brio. Son tableau de stats (statistiques, chaque joueur de l’équipe a le sien c’est un peu leur baromètre et leur fiche d’évaluation. Un héritage des U.S.A. où on aime bien ce qui est simple parce que c’est facile à comprendre…) était dans le vert et même un peu au-dessus de celui de la saison précédente. Ses employeurs étaient contents de l’investissement et lui, ravi qu’ils soient contents, donc généreux. Tout était rangé dans le meilleur des mondes des basketteurs possible. Aucune blessure pour l’instant, très peu de retards aux entrainements, en sympathie avec ses coéquipiers, il engrangeait une vingtaine de points par match, presque autant de rebonds défensifs, son nombre de passes décisives était un des meilleurs de l’équipe et ses relations avec la presse étaient ensoleillées, surtout depuis qu’il sortait avec une très jolie journaliste de TV8. Et puis, il y a eu ce match tragique à l’extérieur...
Ce soir là, ce fut un véritable cauchemar. Un seul panier marqué, et encore c'était en contre-attaque, il n’a eu qu’à poser le ballon dans le cercle. Un aveugle unijambiste et manchot aurait réussi à le mettre. Pour le reste, une trentaine de tirs tous sur le cercle: aucun ballon rentré. Il n’a pas joué les deux derniers quarts temps. Toute la semaine qui a suivi, il a travaillé comme une bête de somme pour effacer ce soir maudit. Le samedi d’après match à domicile contre le deuxième du classement. Même punition. Ses tirs partaient magnifiquement bien, les trajectoires semblaient parfaites et puis d’un souffle le ballon n’entrait pas dans le cercle, d'un malheureux millimètre, il évitait le but. Les dirigeants sont allés jusqu’à faire mesurer les dimensions et les hauteurs du terrain, du panneau, du cercle, des balles enfin tout ce qui entrait dans la réussite ou l’échec d’un tir. Une réunion de crise a été provoquée, on en est arrivé à cette idée: Il faut l'envoyer voir quelqu’un. On peut comprendre. Il doit y avoir une raison. Il faut la trouver. Ces types sont, en plus, de véritables coffres-forts... Aux prix où on les paye, il vaut mieux qu'ils soient efficaces. De plus, sa côte risquait de s'effondrer, il allait bientôt devenir invendable... Il y avait urgence. On lui a donné des adresses… Il continuerait de s’entrainer, mais il passerait un test régulièrement. S’il continuait à foutre les ballons à côté, de la cible, ce connard, ne rejouerait pas dans l’équipe. L'ambiance commençait à se tendre...
Il faut imaginer et compatir. Un divan c’est un peu comme un berceau de bras d’humain, c’est souvent doux, parfois accueillant, plutôt dans les velours que dans le béton, lissé, habitué à supporter de la souffrance, des larmes et du malheur. Ça attend en retour la même douceur, la même prévenance, la même attention. Ça n’est pas exactement prévu pour recevoir cent dix kilos de muscles fussent-ils répartis sur deux mètres de longueur. Il n’a rien dit, le divan, quand l’autre s’est affalé dessus. Il n’a rien dit mais on a entendu son long soupir plaintif jusque dans la salle d’attente. La suivante, qui mettait un point d’honneur à arriver une heure avant l’heure, elle en voulait pour son argent, en a sursauté. Comme surprise en plein travail, déjà.
La première séance n’avait pas donné grand chose. Il faut dire que le géant harassé de ses quatre heures d’entrainement s’était endormi comme un bébé. Une régression trop rapide? Et puis, et puis, des tas d’autres avaient suivi. Des tas d'heures durant lesquelles, le grand athlète avait rapetissé jusqu'à convoquer et redevenir, assez souvent, le petit bonhomme "plein de peurs et de colères" qu'il avait été, autrefois... Ces instants là, le divan était encore trop grand. Il avait trouvé qu'ils avaient bien avancé, ELLE et lui quand ELLE avait envoyé en souriant: "Bon, maintenant nous savons, vous et moi, que vous n'êtes ni suicidaire, ni psychotique, ni impuissant..." Au fond, ils avaient, ELLE et lui, mais surtout lui, parcouru un long et douloureux chemin qui les a mené jusqu’à:
"Pourquoi ne vous a-t-il pas laissé entrer dans le cercle? N’allez pas nier, lui, votre père, sait..."
Le temps que cette question trouve, elle aussi le chemin des filets, comme on dit à L'Equipe, ses symptômes ont disparu. Il a consulté encore quelques semaines et puis ils se sont d’un commun accord séparés. Il a pu, son adresse enfin retrouvée, rentrer chez lui.
Avec des baskets quasi neuves…
Qui écouter

7 commentaires:

Lautreje a dit…

Encore un Tchaaf pour en finir d'un tel père !

chri a dit…

@L'autre je. On ne peut pas nier, souvent un père sait...

Anonyme a dit…

Encore une de ces belles allégories dont vous avez le secret, Chriscot !Vous êtes un géant et vous entrerez dans le Cercle des pas niais réapparus!

V.

chri a dit…

@V On voit bien que vous ne me connaissez pas! Confondre un géant et moi!!!

Nathalie H.D. a dit…

Une histoire qui finit bien
comme on aimerait en lire plus souvent.

On pourrait en faire un reality show chez Delarue : comment le divan a sauvé ma carrière.

chri a dit…

@Nathalie
Delarue et le divan oui, bien vu, c'est exactement deux contraires!

Anonyme a dit…

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