02 janvier 2010

Une soirée d’enfer…

Tout avait pourtant commencé sous les meilleurs auspices (l'arrivée imminente de deux mille dix?). Chacun y avait mis du sien. Au tout début, tous avaient, déjà, accepté le principe général et ça, rien que ça, était une avancée. Ce simple évènement n’était pas gagné d’avance… Ils auraient été très peu à parier sur la réussite de l’entreprise. On savait bien que les haines les plus tenaces c’est au cœur même des familles qu’elles se terrent. Les gens se connaissaient trop bien… Les amours profondes ne sont qu'à un geste ou une parole des plus féroces rancunes. Il y a une feuille de papier à cigarette entre l'adoration et le massacre. Il suffisait d'ouvrir les bouquins d'histoire ou même les journaux pour le confirmer tous les jours...
Elle, voilà déjà une année entière qu’elle essayait de rendre cette réunion possible, une année de tractations, de négociations, un an complet qu’elle étalait du baume du tigre sur les blessures et qu'elle essayait en massant de réduire la taille des cicatrices.
Et là, cette fois, nous y étions, enfin…
Elle avait bossé toute la journée pour décorer la maison, préparer le repas… Dites hé bien sûr que je lui avais filé un coup de main, vous me prenez pour qui ? Elle avait levé le pouce vers les cinq heures et s’était fait couler un bain chaud. Elle s’était accordé une heure au calme, avec des bougies allumées sur le rebord de la baignoire comme elle avait lu dans ce magazine un peu gnan gnan pour les jeunes filles modernes…(Magazine qui soit dit en passant n'avait pas entendu parler ni de Copenhague, ni d'économies d'eau potable...) Quoi, moi ? J’ai continué, en bas, à surveiller, voir si tout se passait bien en cuisine mais surtout dans le four et ensuite, j’ai pris une douche, vite fait… En toute fin, en les attendant, sagement installés dans les canapés, (pas ceux au saumon, ne faites pas les malins…), on a descendu gentiment quelques flutes, dans l’encore calme de la baraque. On a même sifflé une bouteille entière, si vous voulez savoir! On s’est rappelé en s'amusant que le dernier repas qu’on avait pris tous ensemble datait quand même du changement de millénaire… Une paille… C’est dire si la brouille avait été épaisse. Il faut dire que le chalet qu’on avait loué, ce soir là, gardait encore aujourd'hui, des traces de cette maudite soirée… Ce début d’incendie sur la façade… Cette vague noirceur aux abords du toit… Ces deux arbres morts dans un jardin dévasté... Finalement, dix ans après on en était venu à sourire. Mais ça resterait entre nous, pas question d’en parler ce soir. Pas question de réveiller les vieux démons, pas question d'attiser les vieilles braises…
Ils étaient tous bien arrivés aux heures à peu près annoncées, aucun n’avait décidé de mettre le bazar avec des horaires improvisés et fantaisistes. Ça faisait UNE année qu’elle se préparait cette fête. Ça n’avait pas été facile à organiser, j’ai autant aimé le dire, de suite...
Comme on pouvait malheureusement le craindre un petit peu, la hache de guerre est vite sortie de dessous la pelouse et le calumet a plongé dans le trou ainsi ouvert! En vrai, les armes se sont mises à causer dès l’ouverture de la porte : L’une a dit, faussement admirative, vaguement moqueuse, dans sa moustache mal épilée: « Une jolie tenue de soirée, en plus… » il a été entendu : « Elle l’a sortie des surplus d’Emmaus… » Et voilà, l’ambiance fût d’un coup, aussi plombée qu’une incisive noircie… Plus rien de ce qui était entendu ne l’était comme c’était dit et la méfiance avait viré avec grand fracas la bienveillance de la pièce et même de l’appartement. Il se dit que l’immeuble entier en a été touché. Quand l’autre couillon après avoir trempé ses lèvres dans la flute m’avait demandé dans un vilain rictus si, par ici, la mode était au champagne chaud, j’avais failli lui envoyer le magnum dans la figure et puis je m’étais dit que je ne le ferai que quand il serait vide… Son: "J'plaisante!" juste derrière ne m'avait fait sourire qu'à minima. Il faisait partie, ce galeux invité, de cette cohorte assez nombreuse de hyènes qui vous envoient un méchant coup de serpe aux jugulaires et tout de suite après le modèrent d'un: " Je rigole!" qu'ils souhaiteraient apaisant... Chiens que vous êtes, aucun pardon possible, le mal EST fait!
J’avais servi les autres flutes sans en ajouter davantage mais en serrant bien fort les deux mâchoires l'une contre l'autre. Autant pour me taire que pour me calmer…
Dans la pièce désormais sous haute tension, le silence était de plomb et les sourires crispés. Il n’y avait que nous deux qui rigolions bien franchement… On avait pris un peu d’avance dans le vidage des coupes… Au bout d’une demi-heure, bizarement, alors que l'ambiance était polaire, la température avait monté de plusieurs thermomètres… Et les vérités bonnes à taire ont commencé à voleter dans le séjour… Au début ça faisait des petits bruits doucets quand elles tombaient sur la tête de l’un ou l’autre. Un peu comme des fientes de pigeons vous atterrissent sur les épaules à la sortie des églises et font sourire les voisins... Et puis ça s’est mis à faire un boucan de tous les diables. Chacun en prenait pour son grade… Il faut comprendre aussi : personne ne s’était parlé pendant ces dix années… Forcément, la rancune, ça s’accumule… Alors, quand, soudain, le barrage cède, tout fiche le camp. Et c'est la bienséance qui est emportée en premier, vous pouvez me croire…
C’est quand l’autre gros crétin de Robert, un futur ex-beau frère, mais qui ne le savait pas encore, plombier, mari de Jeanine, cette imbécile de cousine, méchante comme une armée de teignes, a éclaté avec un marteau la baie vitrée du four pour en sortir la dinde et faire mine de la balancer sur cet idiot de Paul que ça a commencé à dégénérer pour de bon… Tout le monde s'est mis à hurler. Paul a tiré sur la nappe pour s'en faire une toge, que son costume ne soit pas tâché, Jeanine était agrippée, d'une main aux faux cheveux du Robert de l'autre à un de ses deux yeux et lui hurlait de lâcher la dinde..." On ne touche pas à la nourriture, on ne joue pas avec les dindes! (pathétique!). Josiane, elle, après avoir arraché les guirlandes autour du Nordmann, s'en prenait à ses boules. Elle les détachait une à une et visait chaque tête qui passait à sa main. Elle était habile, la mauvaise... Les quelques enfants qui étaient là avant de s'y mettre, eux aussi en trépignant et sautant sur place, regardaient le spectacle affligeant de ces adultes arriérés, un tantinet médusés. Bref, je vous laisse imaginer le tableau... Jamais convive n'avait si bien porté son nom... Un enfer sur terre, au quatrième... Ce n'est que bien plus tard, dans leurs voitures, en constatant leurs ecchymoses, qu'ils se sont dit: "On ne leur a même pas souhaité une bonne année, à tous ces cons..."
Une seule information, au milieu de cette générale mêlée, humains que nous étions, pour ce qui était de la haine et de la bêtise, personne n'avait trop vieilli en dix ans... Pour l'intelligence, la bienveillance et la paix, il nous faudra encore attendre, un peu. 
Un millénaire ou deux...

Billes rouges 3

13 commentaires:

Anonyme a dit…

Sympas les convives! Le genre que j'aime.
Combien de morts ?
Z

chri a dit…

@Z: Dès que Paul me lâche le bras gauche, je vous réponds.

Lautreje a dit…

La méchanceté, ça retient les rides. M'étonne pas qui z'ont pas vieilli. Ils ressemblent un peu aux miens et de plus il y a deux prénoms idem !!

chri a dit…

@L'autre je: Désolé pour cette malheureuse coïncidence!!!

MATHILDE PRIMAVERA a dit…

Et vous vous êtes donnés rendez-vous dans 10 ans ?

chri a dit…

@Mathilde: Je crois qu'ils ont même oublié de se dire... au-revoir!

Anonyme a dit…

Rien à voir avec cette truculente armée de teignes, mais comme disent les auspices, à l'hospice aussi l'eau se pisse.
slev

chri a dit…

@Slev Une belle escouade, non?

Nathalie H.D. a dit…

La fin est très encourageante.
On dit que la haine conserve, non ?

(sûr que c'était une bonne idée d'attaquer le magnum avant l'arrivée des autres abrutis, ça chauffe l'ambiance et c'est toujours ça que les cons n'auront pas)

véronique a dit…

je prendrai le temps de TOUT lire à mon retour Chriscot ...
je passe et essaie de vous envoyer les quelques ondes positives qu'il me reste pour cette nouvelle année !

chri a dit…

@Nathalie: Que je sois épargné d'avoir à vivre une telle soirée!
@Véronique: Gardez en quelques unes pour vous des positives, mais lisez TOUT à votre retour!
Bon retour!

Véronique a dit…

j'ai lu, j'ai souri, j'ai rigolé, j'ai aimé ..
surtout la scène des boules de Noël ! je pense même en avoir reçu une ..

chri a dit…

@Véronique: Les quatre me vont drôlement bien!

Publications les plus consultées