24 janvier 2010

Un direct à la foi.

"Tchaaf! Tchaaf! Tu verras, ce qui est bien Tchaaf!! Ta droite! Ta droite! avec les cons, Tchaaf! c’est qu’il faut toujours Tchaaf! qu’ils en apportent Tchaaf! la preuve! Tchaaf! Frappe, encore, allez une dernière... Tchaaf! Bien, bien petit!
C’est bon Jean Martin, tu peux souffler... Allez, étirements, douche, massage, une soupe et au lit! Tu as bien travaillé ce soir, je te félicite. Tu ressembleras, peut-être, un jour, à un vrai boxeur…"
Le jeune gaillard rougi comme un homard en fin de cuisson, presque fumant de l’effort fourni, s’était dit en enlevant ses gants puant de sueur: "Une soupe et au lit, j’aimerais ça mais avec ces examens dans un mois s’il croit que je n’ai que ça à faire, dormir…" En lieu et place du repos recommandé par son entraineur de père, il allait rentrer dans son minuscule studio de banlieue, s'avaler un bol de pâtes et mettre son nez, tuméfié par les coups, dans ses bouquins jusqu’à pas d’heure. Les examens approchaient, il terminait d'un côté une licence d’histoire des religions et de l'autre des études de théologie et, il était bien, bien en retard dans ses révisions. Il souhaitait devenir pasteur. Protestant, parce qu’il ne pouvait envisager sa vie sans femme, ni enfant et qu'il aimait bien ce mot là.
"Tchaaf! Tchaaf! Tu verras, ce qui est bien Tchaaf!! Ton jab! Ton jab avec les salauds, Tchaaf! c’est qu’ils ne savent Tchaaf! pas faire autrement!Tchaaf! Tchaaf! Frappe, allez un dernier... Tchaaf!
La boxe, c’était une religion de famille. On entrait dans un ring comme dans une église. en inclinant la tête. Ici, dans cette famille, les coups réglementés pleuvaient comme ailleurs pleuvent les prières. Un combat était une cérémonie. Chez eux, les hommes boxaient. Depuis toujours. Le père de son père avait boxé, son père avait été champion de Touraine deux années de suite (un exploit jamais renouvelé à ce jour dixit les annales de ” Le Petit Tourangeau”) et lui serait boxeur. C'était écrit. Et les femmes s'y mettraient avant que les hommes arrêtent... C’était une chose qui ne se négociait pas, qui ne se discutait même pas. Alors, envisager de la remettre en cause s’était, bien évidemment, révélé très vite impensable! Il en avait pris son parti mais il était hors de question qu’il n’aille pas où sa vie l’appelait. Mais très tôt, vers l’âge de quatre ans, Jean Martin avait reçu ce qu’on nomme un Appel et s’il avait mis longtemps à comprendre d’où il lui était venu, de qui et ce que cette idée même signifiait, il s’en était accommodé et, dès lors, il avait organisé sa vie autour de lui. Il se disait que Battling Jésus (prononcer Rrézouss) lui avait fait signe mais il le gardait pour lui.
En vrai, il avait deux vies. Sa vie intérieure propre, directe, ses choix, ses inclinations ses centres d'intérêt, son avenir et sa vie familiale. Et tant qu’il le pourrait, tant qu’elles n’entreraient pas en conflit trop flagrant l’une avec l’autre, tant qu’il pourrait vivre les deux de front au prix de quelques crochets et détours, il se démènerait pour les vivre. Les deux.
"Tchaaf! Tchaaf! Tu verras, ce qui est bien Tchaaf!! Ton swing! Ton swing! avec les truqueurs Tchaaf! c’est qu’ils ne veulent jamais Tchaaf! s'arrêter! Tchaaf! Tchaaf...
Il avait ainsi pas mal menti à son père et à sa famille toute entière, qui lui avait enfilé des gants dès qu’il l’avait senti en âge de recevoir des coups. C’est à dire vers les six sept ans en se glissant gentiment dans la peau d’un futur boxeur alors qu’il ne trouvait son plaisir que dans la lecture de la bible qu’il s’était mis à dévorer dès qu’il avait su lire. Il lui arrivait parfois d’avoir un peu de mal à plonger dans son ouvrage préféré avec des cocards gros comme des œufs de dindes, mais les prières qu’il faisait ces soirs là semblaient suffire. Une fois couché, il se relevait dans le noir et s’agenouillait auprès de son lit pour les psalmodier avec ferveur. Il le faisait tous les soirs, que Dieu fait, gnon ou pas gnon, douleur ou pas douleur, blessure ou pas, combat ou pas…
Pire, dans la cour, lorsqu’il était provoqué par un mignon, lui, qui aurait pu l'allonger d’un coup, d’un seul, au vilain qui l’agaçait, il n’avait de cesse de tendre l’autre joue comme un benêt merveilleux. Il était même devenu la risée de toute l’école qui, sans cesse, venait en vagues incessantes se jouer de lui. Lui qui, tous les samedis en étalait raide des biens plus coriaces, que ces sales gosses imbéciles et lâches, il se faisait tomber dessus par certains de ces morveux de Panurge. C'est dire si toutes ces années l’avaient sévèrement endurci. Ce qui pour un combattant n’était pas si mal. Ce qui pour un chrétien était plutôt bien... Et à chaque instant, lorsqu’il avait à ne pas se battre, il entendait les mots de son père:
"Tchaaf! Tchaaf! Tu verras, ce qu'il y a de bien Tchaaf! avec les emmerdeurs Tchaaf! c'est qu’ils se découvrent Tchaaf! Tchaaf! très vite! Tchaaf! Ton gauche, ton gauche! Frappe, encore, allez une dernière Tchaaf... Bien petit, je crois en toi, moi..."
Celle là le crucifia.
En vrai, pour le futur pasteur qu'il était, chaque coup qu'il donnait ou recevait, c’est sa foi qui prenait...

Antibes Giacommetti 2
A venir: "Sa main au panier"

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Un jour ce petit boxeur siègera à la droite du Père Cut.
Pardon mon Frère, j'ai cédé à la tentation :)

Z

chri a dit…

@Z Bien vu le père Cut, j'y ai pensé mais je ne suis pas arrivé à trouver l'ouverture!

Lautreje a dit…

Il a pas tord le père, il a pas tord :"Les cons, ça osent tout, c'est même à ça qu'on les reconnait" du Sieur Audiard...

Véronique a dit…

parce que c'est pas possible d'être pasteur / boxeur ?
qu'il ne le perde pas son gauche, un jour il cédera bien à la tentation de frapper sur un con.
j'aime bien vos Tchaaf, on est complètement dans l'action, j'en ai esquivé un de justesse :o(

chri a dit…

@Véronique Oui, les Tchaaf un restant de lecteur de BD ou bien de boxeur?

Anonyme a dit…

Elle n'est sacrément pas innocente cette belle histoire.
Tomber les gants avant de monter en chaire ; si seulement "ils" pouvaient tous en revenir ainsi aux fondamentaux, dieu aurait mieux existé.
(Et vlan ! j'ai dit).

Slev

chri a dit…

@Slev: La foi... Un coup du sort?

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