Le jeune type blond, athlétique, en sueur, étudiant en médecine avait beau tourner et retourner le problème dans tous les sens, il n’avait devant lui que deux solutions.
Et si l’une était épouvantable, l’autre était effroyable.
Et si l’une était épouvantable, l’autre était effroyable.
Il profita d’une accalmie dans la douleur inouïe qui l’assaillait, pour se remémorer l’enchainement des derniers évènements, pour tenter de comprendre à partir de quand ça s’était précipité, en pire. Dans la folie de ce qu’il était en train de vivre, il avait, sans doute besoin de faire un peu de rangement. Il se revit l’avant-veille, au motel, avec Ann-Lucy quand elle lui a demandé, cette fois, de ne pas le faire, de ne pas y aller, de renoncer. Elle ne le sentait pas a-t-elle dit, elle avait de mauvaises ondes. Il en a souri. Pourtant, elle le connaissait bien maintenant. Trois années qu’ils étaient ensemble, deux ans qu’ils s’aimaient. Profondément. C’est à dire pas au point de partager la même passion. Lui avait la sienne, qui le mangeait tout cru, elle s’en cherchait une. Pour l'instant, elle l'avait trouvé, lui. Il lui avait dit très vite: Tu sais je saurais, un jour si tu m’aimes vraiment. Si tu me demandes d’arrêter, je saurais que tu ne m’aimes pas tout à fait. Alors, elle n’avait plus jamais rien osé, même quand elle avait su. Elle s’était contentée de se ronger les doigts et à chaque fois, d’attendre son retour. Fébrilement. Lui, il l’avait aimé, entre autres pour ça. Sa patience fébrile et sa peur étouffée. Sauf cette fois où elle avait parlé. A part un feu rouge clignotant de passage à niveau, y-a-t-il plus inquiet qu'une femme enceinte?
Il s’est dit qu’il aurait peut-être dû l’écouter. Ce soir là, elle était allée jusqu’à lui demander sa main. "On devrait le faire" avait–elle dit. "On pourrait… "avait-il répondu. "Alors, je te la demande, ta main. Accorde la moi..."
Il s’est dit qu’il aurait peut-être dû l’écouter. Ce soir là, elle était allée jusqu’à lui demander sa main. "On devrait le faire" avait–elle dit. "On pourrait… "avait-il répondu. "Alors, je te la demande, ta main. Accorde la moi..."
"La voilà," avait-il fait en lui tendant le bras, "elle est à toi." Et puis, ils avaient éclaté de rire. Tout ça avait un côté officiel qui leur avait fichu une peur bleue. Et ça s’était terminé, épuisés, sur une moquette de salle de bain.
Ça ne l’avait pas empêché de se lever un peu avant l’aube, de quitter la chambre en silence la laissant endormie dans la douceur de sa nuit et de ses rêves de longue robe blanche. Il avait laissé derrière lui le parking du Yosemite View Lodge, puis la ville et, en cette fin de nuit, il venait déjà d’entamer son ascension: El capitan. Une muraille droite de neuf cent dix mètres qu’il voulait vaincre en solo. Pour quelqu’un de son niveau, elle nécessitait trois jours de grimpe, donc deux bivouacs en pleine paroi. Il y pensait depuis qu’il avait commencé. En fait, il s’était mis à ce sport pour un jour, y monter. Un monstrueux pan de granit. Techniquement, mentalement, physiquement, sportivement, humainement, c’était un Everest. La verticale d’une vie. Un jour, il s’était senti prêt. Il ne lui avait pas dit de suite, il se l’était gardé un temps, comme on garde un bonbon sous la langue, sans le croquer. Tu parles d’un bonbon!
Le jeune gars a esquissé un vague sourire en repensant à l’état de la chambre. La souffrance l’a repris. J’aurais dû l’écouter, mais je ne l’ai pas fait. A quoi ça me sert de me dire ça, maintenant? A rien. A foutre rien.
Il faut que je passe par là. Il le faut.
C’est vers les trois cent mètres de hauteur que tout s’est joué. Jusque là, tout s’était passé selon ses vœux, il avait avancé comme il l'avait prévu, il n’avait pas rencontré de difficulté particulière. Il était déjà venu ici, les trois années précédentes, il connaissait bien la voie qu’il avait choisie, la plus directe, la plus engagée. Dans une fissure d’une trentaine de mètres quasiment verticale, il y a une heure, le type solide, en pleine forme, avait manqué une prise. En chutant, freiné par la première dégaine sous lui, son bras gauche s’était retrouvé violemment coincé dans l’entaille de granit de la paroi. Son corps pesant vers le bas, le bras était bel et bien bloqué. Il avait tenté de remonter pour le dégager mais il n’avait pas réussi. Alors, après un long moment de réflexion, toutes ses tentatives de sortir de ce mauvais pas étant restées vaines, l'idée folle lui était venue. Une solution démente, mais qu’il n’avait pas encore envisagée et qui lui était apparue finalement la seule possible pour lui sauver la vie. Il devait se séparer de son bras. Dit de cette manière lui avait permis de lisser l’horreur de la rendre pensable. S’il voulait vivre, il fallait se défaire de ce qui l’empêchait de se mouvoir. S’il ne voulait pas mourir accroché à cette paroi, il devait le faire. C’était finalement terriblement très simple. Alors, convaincu que c'était l'unique possibilité, de sa main droite, il avait sorti le couteau suisse qui ne le quittait pas, il avait dénudé le bras gauche jusqu’au coude et dans des hurlements de souffrance et des efforts incroyables, juste à l’articulation du coude, en manquant de tourner de l’œil deux ou trois fois dans l’opération, il l’avait fait…
C’est en nage, trempé de sueur, de douleur et d’effarement qu’il avait terminé. Après un temps de répits, il était remonté un peu sur la paroi, maintenant libéré, il avait dégagé son bras gauche, l’avait enveloppé dans un linge puis enfoui dans un de ses sacs…
Puis, il avait entamé sa descente. Grâce à une énergie surhumaine, il était arrivé à son camping car, il y était monté et avait conduit jusqu’au poste de secours le plus proche. Ce type sportif, costaud, jeune, le visage maintenant ravagé par la douleur et l’épuisement, avait fait ça seul en serrant les dents, mais seul, son bras amputé dans un sac à dos. Arrivé au poste de secours, il était descendu de son engin, s’est avancé en vacillant sur ses genoux vers les secouristes présents qui se sont levés d’un bond à son approche.
“Elle m’a demandé ma main, je l’aime tellement que je lui ai ramené tout le bras…” s’était-il entendu dire avant de chuter profondément, mais cette fois, dans les pommes…
Image d’El Capitan piquée sur le net…
15 commentaires:
pas encore marié et ça lui a déjà couté un bras...!!! Y a vraiment des inconscients, fo le ramener à la réalité le garçon avant qu'il ne perde définitivement la tête...
Une suggestion puisqu'il lui reste ses gambettes qu'il les prenne à son cou...Sinon il finira en tronc et de surcroit commun...
me suis permis un comment sur un post intitulé vengeance de janvier 2010....
Il y a du Poe dans l'horreur de cette histoire fantastique !
heureusement, il s'était pas coincé la tête !
Il me semble qu'en plus cette histoire ne soit pas tout à fait fausse...
@Anne de Nyme: Oui! oui! Et la tête et la tête...
"pas tout à fait fausse... " ???
Allusion aux malheureux renards pris au piège et obligés de se ronger la patte pour ne pas crever sur place ?
@Tilia Pas d'allusion, non. Une histoire qui est arrivée à un grimpeur et qui s'en est sorti ainsi.
(Peut-être n'a-t-il pas rapporté son bras!) Enfin il me semble que c'est arrivé mais je peux me tromper!
oui, moi aussi j'ai lu ça dans un courrier international, y'a un ou deux ans.
anne Honyme
@Mi Tu l'aurais gardé, par hasard?
Avec le bandit chri, je m'y perds parfois et ne savais pas s'il avait inventé une histoire donc n'ai pas voulu faire ma savante et ai préféré une bafouille sur un autre ton...
Oui c'est une histoire véridique, voici la brève recherche faite : Aron Ralston, né Aron Lee Ralston le 27 octobre 1975 à Indiana1 aux États-Unis, est un ingénieur et surtout un alpiniste américain qui devient célèbre en mai 2003 quand, coincé au fin fond d'un canyon reculé pendant six jours et cinq nuits lors de la randonnée dans les gorges de l'Utah, il s'est lui-même amputé le bras droit avec son canif dans le but de survivre.
Il raconte son accident dans son autobiographie Plus fort qu'un roc2 (Between a Rock and a Hard Place) qui sera adaptée pour le film 127 heures réalisé par Danny Boyle en 2010.
@Cathieminie Merci de vos recherches! Il me semblait bien que j'avais entendu cette histoire et qu'elle était restée dans un coin de ma caboche! J'en ai fait autre chose!
http://www.youtube.com/watch?v=OlhLOWTnVoQ&feature=player_embedded
Je n'étais pas prêt du tout. Et moi qui ne supporte pas la vue d'une plaie, j'en ai le ventre encore noué. Mince, fais gaffe l prochaine fois !
slev
@Tu imagines? Le type bloqué à fond de cale qui ne peut s'en sortir qu'en se séparant d'un bout? Et qui le fait!
Oui je me souvenais de l'histoire d'Aron Ralston. Incroyable et formidable. Je me suis intéressée aux histoires de survie, ma soeur et son mari sont eux-mêmes des survivants de la montagne - 21 jours en montagne avec 4 jours de réserves de vivres, et ils finissent par arriver tout seuls devant un chalet habité devant lequel ils s'évanouissent.
Bilan : orteils perdus laissés à la nécrose par le gel, mais pas d'autres séquelles.
@Nathalie: Une belle histoire, surtout par... sa fin! Te raconterais celle de Slev s'il m'autorise...
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