Ce qui est grand et fort décline
Ce qui est tendre et faible prospère.
Lao Tseu.
Franchement quand l’autre s’est mis à claironner partout qu’il allait gagner, on a commencé par sourire...
Oh pas bien longtemps, juste après on s’est dit : Ce n’est pas seulement lui qui risque de la gagner, cette course, le certain c’est que nous tous nous allons y perdre. Il y avait des risques, ça nous a coincé le sourire.
L’hiver s’était pourtant passé dans un calme relatif. Les tenues de compétition étaient restées gentiment baignées dans les senteurs de naphtaline et de talc mêlés, les marchands de cravates bleues avaient très peu battu leur beurre, les coiffeurs avaient patiemment aiguisé leurs ciseaux et dans les arrières cours, les pom pom boys avaient avait sagement poli les slogans qui allaient servir. Bien sûr, il y avait eu, dans le courant tranquille des ces temps paisibles, de ci, de là, quelques escarmouches, une ou deux piques réservées aux initiés, de légers galops d’essais mais juste pour débourrer les bêtes, qu’elles ne restent pas inactives, pour occuper le terrain. Rien de bien tranchant, rien encore de bien affirmé. Eviter l’ankylose, l’inaction, le repos. Une routine, un entraînement de demi-saison, histoire de garder la ligne, d’entretenir les musculatures, de souffler sur les braises avec délicatesse, que le feu ne meure pas étouffé par les chintz soyeux des molles indolences.
Mais là, avec ces affiches dont la colle était à peine sèche, on pénétrait dans le vif du sujet, on commençait à grignoter le gras du jambon, on se remettait à effiler les lames, on dégrippait les boites à gifles, on lustrait les peaux de banane, on minait les sentiers, on s’affûtait les biceps, on se remettait les insultes en bouche, on affinait les dossiers accablants, bref on se préparait gentiment à en découdre... Bientôt la course.
Dès maintenant, on commençait à avoir une idée assez précise des équipes qui allaient s’affronter, la période des transferts étant presque terminée. On devinait déjà les forces en présence, les ambitions et les moyens de chacun (le chic étant bien sûr de se donner les moyens de ses ambitions quitte à arranger un peu les comptes). Il y aurait quelques ralliements de dernière heure, quelques virements de bords surprenants, quelques trahisons de dernières secondes mais pour le gros des armées on savait à quoi s’en tenir. Les participants étaient ils engagés sérieusement dans les équipes correspondant à leurs choix profonds ? Que nenni, il eût fallu pour cela qu’ils aient des choix profonds et pas des vagues idées de surface. Et puis penser que cela avait une importance c’était croire naïvement à la droiture, à la fidélité, à la rigueur, au sens moral enfin à un de ces trucs dans le genre... Pour ce qui était de ces valeurs, il fallait se résigner. C’était bel et bien oublié. Tout ça c’était bon pour les zozos naïfs. Tordu était l’épithète en vogue.
Finies, les lignes droites, les chemins rectilignes, on était dans le monde des zig zags, des courbes et des lacets.
Alors, bien entendu, toutes les équipes ou presque étaient sincères, mais était-ce vraiment un certificat ? N’a-t-on jamais connu de crapules sincères ?
On s’était donc bien, ici ou là, sincèrement appuyé sur quelques mensonges, on avait bien drapé quelques filouteries dans la soie doucereuse des enthousiasmes, on avait dissimulé de mignonnes entourloupes sous l’or flamboyant des intentions, on avait sans vergogne aucune trouvé les moyens de justifier allégrement l’injustifiable.
Alors bien sûr, presque toutes les équipes étaient vertueuses et poussaient devant elles des tombereaux farcis d’idéals valeureux, mais brandir UNE valeur donne quel droit ?
Cela suffisait-il pour s’autoriser à courir ? Il fallait croire que oui, elles étaient si nombreuses à lorgner le blanc de la ligne.
D’où, donc venait cette impérieuse nécessité ? Les premières réponses qu’on pouvait entendre n’étaient pas tout à fait convaincantes... Elles disaient : « C’est pas pour nous qu’on veut galoper, c’est pour les autres, pour le pays, pour ceux qui n’ont pas la parole... » Tu parles Charles. Une chose était certaine, une seule, ce n’est pas pour le bonheur du taureau qu’on le jette dans l’arène et finalement, il n’y aurait rien de choquant là-dedans tant il est vrai que TOUT ce qu’on fait on le fait d’abord pour soi-même. Encore faudrait-il l’annoncer clairement. Ah ! Ah ! Un coureur qui dirait en préambule : Je cours d’abord pour mon égo, parce que j’ai le cœur chaviré de monter aux créneaux, l’étendard brandi, poussé par les souffles puissants de mes fans ébahis, parce que je suis convaincu de mon national destin gnin gnin gnin, parce que je le vaux bien, gnin gnin, celui là commencerait par une vérité.
Ca ne le rendrait pas davantage sympathique mais ça aurait le mérite d’être clair, de mettre un peu de lumière dans tout ce bazar.
Malheureusement tous ou presque se cachaient derrière le bien commun et, au fond cette course n’intéressait plus que les coureurs eux-mêmes et peut-être leurs mères dont on ne disait pas assez de quels aveuglements elles étaient capable quand ils s’agissait de la chair de leur chair... C’est aussi pour cette raison que les spectateurs étaient de moins en moins nombreux. Les plus lucides dressaient ce constat terrible la voix blanche de colère. Mais dans ce pays, une voix blanche n’était pas comptée. Une d’accord, mais cent, mille cent dix mille, si on se mettait à les rassembler ? Tout ce silence finirait peut-être par devenir un léger murmure, non?
Et puis, le plus teigneux d’entre tous avait fini par se déclarer candidat…
Alors, cette course allait avoir lieu et quoi faire qui soit à peu près juste ?
Peut-être fallait-il ne pas en être ? Qu’ils se dépatouillent entre eux... Ne jamais oublier que dans un combat chaque coup que tu portes, c’est à toi que tu l’assènes et qu’à tirer dans tous les coins on finit forcément par se tirer dans les fesses. Préférer toujours la modestie à l’arrogance, la raison au magique, la sérénité à l’affrontement, la droiture à la fourberie, la fidélité à l’inconstance, le juste à l’inique et ainsi s’espérer digne face à l’indigne. Perdant, peut-être, mais digne. Digne.
Peut-il y avoir quelconque honte à ne pas courir quand la course semble douteuse ?
Alors, on regarderait de loin les coups échangés, on compterait les points, on prierait sans doute pour le salut des blessés, mais on ne serait pas éclaboussés, salis par les manœuvres vachardes, les annonces tapageuses, les cris d’orfraie, les filouteries glauques, les promesses impossibles, les revirements de veste. Sans espoir, aucun. Tout ça, on le laisserait à la horde des coureurs, aux escouades des entraîneurs, aux équipes de leurs fans beuglant. Et c’est la voix blanchie d’une colère légitime qu’on n’y participerait peut-être pas.
Mais il y avait une chose, une seule à ne jamais laisser de côté et qui, bien entendu, le serait:
Le seul enjeu véritable de cette course était l’existence de tous ceux qui n’avaient même plus de quoi se payer une place au stade…
9 commentaires:
Vu le prix d'une place ...
Les doigts de froid...bleus
La voix de colère...blanche
Les yeux de peine...rouges
Il y a belle lurette que les valeurs humaines ont quitté les spheres du pouvoir, faisons de notre mieux ce sera déja ça.
@M: Froid colère et peine. C'est exactement ça. Les trois. J'ai vu un reportage sur les installations des JO d'Athènes... 1994... A l'abandon...
Et quoi faire ?
On finira comme les trois singes : ne rien entendre, ne rien voir, ne rien dire ..
A moins que le printemps se réchauffe, où pas.
Et ZUT NON JE NE SUIS PAS UN ROBOT !
C'est exactement ce qui se passe et que tu décris si bien ...
Il se passe des choses à peine pensable,à se demander ou va le monde ???
Quand l'autre parle je ne l'écoute pas ...Par contre ce que je peux lire parfois me fait sourire mais jaune !!!
Pfttt...
@Brigitte: Tant qu'on sourit, encore, un peu...
Une course à l'échalote où tous les coups sont permis..
@Tilia: Oui et qui va payer l'addition?
5 ans de prolongations, encore un petit 3 mois à tenir, franchement, faute d'être remboursés, qu'au moins on fasse entrer les remplaçants. Juste pour voir.
@Slev Oui, pour voir... Pour changer l'eau des olives, aussi...
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