23 février 2012

Garder la main sur son sac de voyage.

Seul dans cette île, voilà trois jours qu’il se gavait de couchants à tomber, en voilà quatre qu’il se régalait d’aubes magnifiques, qu'il se payait des bleus de nuages pavés, des cieux d’outre envie et des landes décoiffées par les vents… Enfin, il prenait d'elle comme à chaque fois qu'il y amenait son âme, il s'offrait un avant goût de paradis. Entre les merveilles du matin, du midi et du soir, il passait le temps à arpenter de longs en larges les miroirs des marais, à se repaître du spectacle des hérons dansant dans les douces  lumières d'un été finissant….
Les autres étaient rentrés au chagrin, pas lui. Il avait joué les prolongations, pour quelques jours. Il s’était offert l’illusion qu’il allait rester là tout un hiver… On était en Septembre et l’idée de poursuivre la vie ici jusqu’à Noël le plongeait dans un bain soyeux de bulles douces. La solitude ne lui faisait pas peur. Il s’entendait plutôt bien avec elle. Il finissait après quelques jours par parler tout seul mais à voix basse. Il avait toujours un livre à portée de main qu’il lisait, cette fois à voix haute mais surtout il y avait ces paysages comme des compagnons. Alors, quand il s’ennuyait un peu, il allait leur rendre visite comme on débarque à l’improviste chez des amis, pour partager un verre,  une conversation ou mieux : des silences.
Ici, dans certains endroits de l’île, on pouvait tourner la tête sur trois cent soixante degrés et découvrir encore des choses à voir. Il fallait ne pas craindre les torticolis… voilà tout. Ici, le ciel était une partie du paysage, Il changeait à la vitesse des vents. Tu regardais cinq minutes tes lacets défaits, tu levais la tête et, clic,  tu en avais un autre sous les yeux. Tu partais sous une pluie battante, tu arrivais au plein dessous d’un arc en ciel. Un ciel de surprises et d’étonnements. Clac, à cette allure là !
Le ciel variait comme des vols de papillons. Ce matin là, il était venu rôder au levant près des marais de la Houssière. Il était sorti de la bagnole malgré les lancers de couteaux d’un force cinq venant droit d’Amérique. Il avait posé ses regards sur le ciel de traîne qui dessinait dans le bleu des balles de cotons comme des trains de cargos blancs. Il était émerveillé. Mais le froid a vite eu raison de son plaisir. Il est rentré dans son engin et a tourné le bouton de la radio. Un type s’est mis à chanter. C’est ça qui l’a décidé.
Le temps de la chanson, il était à la maison. Il a attrapé vite fait quelques affaires qu’il a enfouies dans son sac de voyage, il a fermé l’eau, le gaz,  les portes et les volets. Il a balancé le sac poubelle dans la poubelle et refermé le portail.
Il a calculé que s’il se démerdait bien, s’il n’avait pas trop d’embouteillages ce soir en arrivant vers la capitale, il pourrait  être à la sortie de son boulot.
Il allait lui faire la surprise de venir la chercher. Ils iraient ensuite manger ensemble dans un restaurant du quartier. Ensemble, ils seraient juste ensemble. Et ça n'aurait pas été prévu. 
Aucun paysage au monde ne console d’y être seul. Voilà ce qu’il s’est dit tout le temps du trajet. Il a passé une journée magnifique parce que cette fois, il était pile à l’endroit où il voulait être. En route vers celle qu’il aimait. Il est arrivé à la bonne heure, il a garé l’engin près de la sortie. Il est sorti s’en fumer une. Puis il l’a vue. Puis il a vu son sourire le voyant. Qu’est-ce-que tu fais là, toi ? C’est tout ce qu’elle lui a dit ce soir là en le serrant dans ses bras. Elle semblait heureuse de le voir et l’embrasser. Heureuse et à peine surprise.
Ce qu’il ne savait pas encore, c’est que c’est à l'instant de cette embrassade précisément, qu’il l’a perdue. Comme souvent, le fluide s'est mis à fuir quand elle a compris qu’il lui était profondément attaché, quand elle a su comme on dit qu'il lui appartenait... En créant l'évènement de sa présence, en ayant abandonné l'île pour elle, il lui en avait  apporté la preuve... Il avait creusé de ses propres impatiences le gouffre qui allait l'ensevelir...
Alors, ami explorateur qui voudrait t’engager sur la voie, somme toute, délicate de la vie de couple, accepte de lire sans loucher ces quelques conseils de base si tu veux pouvoir espérer que votre balade à deux dure un peu, un peu plus que les six mois à venir. 
Si tu veux te donner une chance de rester ensemble, toi, garde une main, un oeil, une pensée sur ton sac de voyage. Tant que tu y es, ne  t’effondre jamais dans le canapé, ne mets jamais tes pieds sur la table basse, encore moins dans des pantoufles de laine, n'enfile jamais un vieux survêtement pour bricoler, du reste évite le bricolage, ferme la porte des toilettes quand tu y vas, regarde si tu n’as rien laissé au fond de la baignoire, ne fais jamais comme si tu étais chez toi, surtout si tu es chez toi, pense à toujours avoir le réservoir plein dans ta bagnole, lave ta tasse après avoir bu ton café, fais, à chaque fois que tu sors comme si tu n’allais pas revenir, emporte toujours tes papiers, sors chercher le pain comme si tu déménageais. Dis toi que quand tu reviens, les serrures ont peut-être été changées...
Si tu fais tout ça tu as une chance de n’être pas surpris le jour où …
Laisse toujours planer un petit doute... Le doute est un ciment...
Et enfin, le dernier conseil, il est de Claude Roy et c’est le meilleur :
"Si tu dois aimer, essaie d’aimer toujours qui tu aimeras quand tu ne l’aimeras plus…"
___ Dis donc, Il y en a qui ne manquent pas d'air! Tu fais drôlement  bien de vaporiser  des conseils, toi! Vrai que t'es super balèze en vie de couple, cousin. Tu en connais un rayon, un expert, une pointure, à ce qu'on dit!  Tu devrais monter un cabinet de thérapie de couple, tiens! Dis, rappelle moi un peu depuis combien de temps tu vis seul, qu'on s'amuse?
___ Oh ça va le rabat-joie, on t'a rien demandé! Tu sais, quand même, qu'il n'y a pas de meilleur prof qu'un ancien cancre, tu le sais ça?



16 commentaires:

M. a dit…

OU : Le froid est un mauvais conseiller.
Certes, la vie de couple permet difficilement le recul, mais diable que les chemins de la rancoeur sont faciles à emprunter (je les connais bien, ne croyez pas que je juge hein...)
C'est quoi cette litanie de conseils misogynes ? Voire misanthtropes (puisqu'il s'agit de la paix des genres... Non ?). Peut-être pouvons nous parler ici de misoneisme (ce mot m'enchante dans la série "ce qui est laid porte un joli nom"). Tout comme philanthe, mais il s'agit d'autre chose, encore que...
Aujourd'hui j'avoue être tentée par une misalindex... Sauf que "Essaie d'aimer toujours qui tu aimeras quand tu ne l'aimeras plus" fait fuir le doute sur ce qui me fait apprécier vos écrits
Ce que j'adore ce sont les mises au point, les détails qui changent la perspective. Bref à la prochaine !

chri a dit…

@M Merci à vous... C'est que rien n'est simple. Rien.

chri a dit…

@M PS je réfute la qualification de misogyne pour les conseils! J'accepte qu'ils soient de bon sens mais misogynes non!

Christine a dit…

Misogyne, je ne sais pas mais la femme (ce "la" générique est excessif, je sais) apparaît comme une bougresse, une em... née, une chieuse quoi!
La vie à deux est tout, sauf simple. Elle peut déraper sur des peccadilles (rappelons-nous le vers si célèbre "Sa peccadille fut jugée un cas pendable"). Peut-être qu'à la place du sac de voyage, faut prendre des cours de patience qui vaut comme chacun sait "plus que force ni que rage". Je crois que ça s'apprend, à condition de ne pas trop faire le fiérot (ou la fiérotte).j
J'aime tout particulièrement le premier paragraphe (la troisième phrase cloche un peu, non?).
Tu as une belle plume, Chri!

M. a dit…

Certes, un peu fort ! C'est que rien n'est simple...
Juste un écho et c'est vous la montagne.
Ne pas se laisser aller...

chri a dit…

@Christine. Si cela s'apprend, alors disons que l'auteur ne sait pas encore tout!
Merci... Oui, elle bancalait grave, la phrase, j'espère qu'elle tient mieux sur ses pattes maintenant. Merci en tous les cas...

Tilia a dit…

"Aucun paysage au monde ne console d’y être seul."
Vous ne pouvez pas savoir, Chri, comme cette phrase me taraude à longueur de temps. Mon mien et moi, nous sommes arrivés dans la tranche d'âge où l'un de nous peut lâcher la rampe du jour au lendemain et ça me terrifie.
Et pourtant... ne lui en ais-je pas voulu (il y a de ça un bon quart de siècle) un certain jour de vacances où, fascinée par les rues médiévales d'une ville dont nous venions de visiter la cathédrale et ravie à l'idée de m'y perdre un peu, il m'as répondu "non maintenant ça suffit, je suis fatigué, on rentre."
Que pensez-vous de mon dilemme, cher thérapeute ?...

chri a dit…

@Tilia Je pense juste que vingt cinq ans après c'est encore un peu là puisque c'est ce qui vous vient...
Il aurait peut-être pu dire: Je suis fatigué, j'aimerais rentrer, mais... Veux tu que je reste? Et vous n'en parleriez plus aujourd'hui... Et à la fois vous êtes encore ensemble... Parlez-en...
Moi j'ai parfois peur qu'on me retrouve quelques semaines après... dégringolé d'une échelle ou d'un escalier ou parti dans la nuit... et personne à qui le dire!

Slevtar a dit…

Et parfois le voyage est au sac ce que le sac est au dos : plus l'un est large, plus l'autre est lourd.

chri a dit…

@Slev Le poser à côté d'un autre, certains soirs ça fait envie!

odile b. a dit…

En deux mots, Slev a tout dit !
Difficile, quasiment impossible, d'être toujours synchro et "ad vitam aeternam" sur la même longueur d'onde…
La quête éternelle, l'inaccessible étoile, le bonheur qu'on broie en croyant le serrer...
Le conseil de Claude Roy, il est très, très, trop fort !!!

Quant au "Laisse toujours planer un doute, parce que le doute c'est un ciment..." ça semble plutôt redoutable et ravageur de "laisse planer" en attendant des miracles… Un ciment, le doute ? peut-être, mais un ciment bien lourd, un ciment béton qui peut vous retomber droit dessus, vlan ! coller ou même recoller, comme la super-glu…
La patience et la confiance à inventer, réinventer chaque jour… apprendre, encore, toujours et, de réponse en question, désapprendre… abandonner les rêves, l'illusion… et en même temps y croire, essayer encore.

Heureusement, un coucher de soleil, le vol d'un oiseau, l'éclosion d'une fleur, c'est gratos, c'est la béatitude offerte à toute heure à chacun, qui vous tire par le haut et vous fait regarder le reste autrement... Les deux pieds dans la glaise et l'œil dans les étoiles...
Trouver sa bulle d'oxygène à soi, c'est VITAL !

odile b. a dit…

PS
Je me surprends à fredonner en sourdine Aragon
"Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force
Ni sa faiblesse, ni son cœur. Et quand il croit
Ouvrir ses bras, son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur, il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux

Sa vie, elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qui 'on retrouve au soir désœuvré incertains
Dites ces mots " Ma vie " et retenez vos larmes
Il n'y a pas d'amour heureux

Mon bel amour, mon cher amour, ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j'ai tressés
Et qui, pour tes grands yeux, tout aussitôt moururent
Il n'y a pas d'amour heureux

Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos cœurs à l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n'y a pas d'amour heureux

Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs
Il n'y a pas d'amour heureux
Mais c'est notre amour à tous deux

chri a dit…

@ Odile:
Merci, Odile. J'aime beaucoup lire vos commentaires...
Oui, y croire et essayer... encore...

odile b. a dit…

La quadruple image évoquée par Slev du voyage, du sac, du dos et du poids me fait dire que l'urgence consisterait à le vider régulièrement, le sac, pour l'alléger, quand (et surtout si) on a, de surcroît, l'impression d'avoir trop souvent... "le dos large" !
"Vider son sac" au propre comme au figuré, faire le tri, se désencombrer, ne conserver du barda que l'essentiel, l'indispensable, le minimum vital et... ce qui nous appartient en propre ! J'avais bien ri de voir, dans le film "St Jacques – La Mecque", comment la fille écervelée s'était empressée, en chemin, de bazarder sèche-cheveux, bigoudis et toaster pour continuer la route plus légère et assurer le rythme... :)
C'est de là, vous ne croyez pas, que serait né le dicton : "Qui veut voyager loin ménage sa monture" ?... Une sage précaution d'hygiène élémentaire, pour s'épargner la douloureuse et insoutenable sensation d'en avoir trop souvent... "plein le dos".

PS
Of course, l'appareil photo, quant à lui, jamais dans le sac, mais collé à la rétine ;-)
Bon dimanche à vous, Chriscot, avec ou sans sac, le pied léger et l'œil en haleine ! Et... à demain, pour un récit de week-end banal ou décoiffant, qu'importe, mais étonnamment... "aérien" !!!

chri a dit…

@Odile Bon dimanche à vous aussi Odile! J'avais aimé aussi certaines séquences de ce film de Coline Serreau!

chri a dit…

@ Odile Par le doute est un ciment, je voulais dire que je ne crois pas très bon de s'installer en certitudes pour un couple... On n'est jamais certain de rien, surtout pas du jour d'après et si on le devientcertain, gare!
C'est ce qu'on appelle l'esprit d'escalier... Février Octobre... la hauteur des marches!

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