Une affaire, une de celles dont personne n'a entendu parler, une de celles qui n'est pas parvenue jusqu'à nous, aurait pu commencer un matin de Juin de l'année deux mille sept, en Méditerranée, du côté de Saint Thomas Bay, au large de l'île de Malte...
Comme tous les autres jours, depuis qu'ils étaient en âge de marcher sur le pont d'une barcasse sans tomber à la flotte, les deux hommes, leurs barbes rasées au sécateur, leurs mains comme des chemins de terre, leurs pantalons délavés par le sel, le soleil et la tâche avaient quitté le petit port de pêche abrité des vents dominants par une vague digue de pierre. La surface de l'eau était épaisse et d'huile et seul, le toup toup toup du vieux moteur diesel troublait le silence de l'encore nuit. Vers l'Est une pâle lueur s'amenait aux fenêtres des maisons modestes adossées à la colline. Les deux, encore ensommeillés ne se disaient rien, chacun un mégot collé au coin des lèvres, ils ne parlaient pas parce qu'ils n'avaient rien à se dire. Ils faisaient juste ce qu'ils avaient à faire et ça leur suffisait. L'avant veille au soir, ils étaient venu déposer les filets en travers de la deuxième crique juste après le cap, devant eux et ce matin là, ils venaient les relever. Voilà, c'était leur vie. Ils sont arrivés sur zone quand le soleil a déboulé du sommet de la colline comme une avalanche inondant la garrigue dans un raz de marée d'or fin. Des centaines de mouettes et de goélands en ont décollé en gueulant. Ils ont formé un nuage d'oiseaux bruyant. Les deux gars se sont regardés et ont souri. C'était beau, ils ont aimé voir ça ensemble mais ça ne leur a pas fait sortir UN mot.
C'était un matin comme ça qu'elle aurait pu commencer, cette affaire ignorée de tous quand ces deux pêcheurs ont remonté dans leurs filets un énorme sac de toile estampillé DNC...
D'abord, ils ont pesté contre cette prise qui allait faire des putains de trous dans leurs filets fragiles et donc leur donner davantage de boulot, comme s'ils avaient besoin de ça. Déjà qu'avec toutes leurs conneries de pollution il n'y a plus de poissons à prendre mais que des emmerdements, alors des sacs de toile... Ensuite, ils ont été intrigués, mais ils ne s'en sont pas occupé de suite, ils avaient le reste du filet à remonter. Ils ont déposé le sac le long du pont en le laissant enchevêtré dans les mailles...
Une fois au port, ils ont rangé le tout en un joli terril sur le quai pour le faire sécher puis ils se sont assis les pieds dans le vide, une bière à la main et ils ont renversé le sac sur le pont de leur barcasse... Devant eux, répandus à leurs pieds nus: une paire de lunette de soleil à verres changeants Dolce Gabana dont une branche était cassée, deux ceintures Gucci en narval rose, devenues verdâtres, un bracelet Prada en poil de linotte bleue d'Alaska, une pochette Chanel en skaï du Tibet, en sale état, une partition plastifiée de Didier Barbeliv, deux robes de soirée roulées en boule étiquetées Versace, moches, une paire de chaussures à hauts talons, dont un cassé, Louboutin en peau de castor d'Adirondick, deux tee-shirts NYPD, Chri chri Audigier, d'une vulgarité crasse, un porte cigare Vuitton pour Partagas n°3 en peau de buffle de Tanzanie, tout froissé, une carte magnétique d'entrée à vie au Fouquet's, un boui boui des Champs, et deux cartes american express gold au nom de Nicolas Sar... Le reste était devenu illisible après le séjour parmi les girelles.
Ils ont trouvé aussi au fond du sac une liasse de lettres signées Cécil... La plupart des mots avait disparu, à cause du séjour dans l'eau, l'encre s'était diluée, mais sur celles du coeur du paquet, les mots n'étaient pas effacés. Il en restait trois ou quatre qu'on pouvait aisément lire. Comme les deux types n'avaient pas fréquenté longtemps l'école et qu'à Malte on ne parle pas français, ils les ont balancées à la poubelle avec tout ce qui avait été déglingué par la flotte et le sel. Ils n'étaient pas du genre à se poser mille questions. Ils étaient de ceux qui ne s'en posent aucune. Trop préoccupés de survivre. Rien sur ce que pouvait bien vouloir dire ce sac plein de ces objets de luxe. Rien sur les raisons, sans aucun doute de tristes raisons, qui avaient bien pu pousser à se séparer de tous ce fatras si personnel, si intime pour les lettres, rien sur les personnes à qui avaient appartenu ces objets. Mais ce sac revenu du fond des eaux en disait long sur la fin d'une histoire d'amour...
Ils n'ont gardé que lui qui leur semblait un peu solide.
C'est sans doute pour toutes ces raisons qu'on a jamais entendu parler de cette histoire, ni à Malte, ni ailleurs. Les deux gars ont continué d'aller à la pêche tous les matins pour simplement gagner leur vie. Ou plutôt pour ne pas la perdre à rester à rien foutre assis sur le bord d'un quai. Même si désormais, il n'y avait presque plus rien à prendre en Méditerranée à part peut-être et de plus en plus souvent des gens prêts à mourir noyés pour garder l'espoir de vivre moins mal ailleurs que chez eux...
C'était un matin comme ça qu'elle aurait pu commencer, cette affaire ignorée de tous quand ces deux pêcheurs ont remonté dans leurs filets un énorme sac de toile estampillé DNC...
D'abord, ils ont pesté contre cette prise qui allait faire des putains de trous dans leurs filets fragiles et donc leur donner davantage de boulot, comme s'ils avaient besoin de ça. Déjà qu'avec toutes leurs conneries de pollution il n'y a plus de poissons à prendre mais que des emmerdements, alors des sacs de toile... Ensuite, ils ont été intrigués, mais ils ne s'en sont pas occupé de suite, ils avaient le reste du filet à remonter. Ils ont déposé le sac le long du pont en le laissant enchevêtré dans les mailles...
Une fois au port, ils ont rangé le tout en un joli terril sur le quai pour le faire sécher puis ils se sont assis les pieds dans le vide, une bière à la main et ils ont renversé le sac sur le pont de leur barcasse... Devant eux, répandus à leurs pieds nus: une paire de lunette de soleil à verres changeants Dolce Gabana dont une branche était cassée, deux ceintures Gucci en narval rose, devenues verdâtres, un bracelet Prada en poil de linotte bleue d'Alaska, une pochette Chanel en skaï du Tibet, en sale état, une partition plastifiée de Didier Barbeliv, deux robes de soirée roulées en boule étiquetées Versace, moches, une paire de chaussures à hauts talons, dont un cassé, Louboutin en peau de castor d'Adirondick, deux tee-shirts NYPD, Chri chri Audigier, d'une vulgarité crasse, un porte cigare Vuitton pour Partagas n°3 en peau de buffle de Tanzanie, tout froissé, une carte magnétique d'entrée à vie au Fouquet's, un boui boui des Champs, et deux cartes american express gold au nom de Nicolas Sar... Le reste était devenu illisible après le séjour parmi les girelles.
Ils ont trouvé aussi au fond du sac une liasse de lettres signées Cécil... La plupart des mots avait disparu, à cause du séjour dans l'eau, l'encre s'était diluée, mais sur celles du coeur du paquet, les mots n'étaient pas effacés. Il en restait trois ou quatre qu'on pouvait aisément lire. Comme les deux types n'avaient pas fréquenté longtemps l'école et qu'à Malte on ne parle pas français, ils les ont balancées à la poubelle avec tout ce qui avait été déglingué par la flotte et le sel. Ils n'étaient pas du genre à se poser mille questions. Ils étaient de ceux qui ne s'en posent aucune. Trop préoccupés de survivre. Rien sur ce que pouvait bien vouloir dire ce sac plein de ces objets de luxe. Rien sur les raisons, sans aucun doute de tristes raisons, qui avaient bien pu pousser à se séparer de tous ce fatras si personnel, si intime pour les lettres, rien sur les personnes à qui avaient appartenu ces objets. Mais ce sac revenu du fond des eaux en disait long sur la fin d'une histoire d'amour...
Ils n'ont gardé que lui qui leur semblait un peu solide.
C'est sans doute pour toutes ces raisons qu'on a jamais entendu parler de cette histoire, ni à Malte, ni ailleurs. Les deux gars ont continué d'aller à la pêche tous les matins pour simplement gagner leur vie. Ou plutôt pour ne pas la perdre à rester à rien foutre assis sur le bord d'un quai. Même si désormais, il n'y avait presque plus rien à prendre en Méditerranée à part peut-être et de plus en plus souvent des gens prêts à mourir noyés pour garder l'espoir de vivre moins mal ailleurs que chez eux...
___ Dis moi, coco, mais personne n'en a jamais entendu parler de ce sac de toile. C'est dommage parce que ce serait la preuve qu'ils se sont bien engueulés sur leur gros bateau de nabab les deux zozos...
___ Tu sais que tu me fais rire, toi! La preuve tu l'as bien là: puisqu'on en a jamais entendu parler c'est bien qu'ils se sont vraiment bagarrés...
Tu voudrais quoi de plus comme preuve? Les fringues? Les lettres? Le sac?
13 commentaires:
pas le sac d'une pauvresse
Je lui fournirais volontiers la prochaine valise qu'il a promis de faire au cas où ... (si au moins cette promesse là, il pouvait la tenir !?)
@Slev Je crois qu'il va pouvoir monter un commerce de gros!
Sacs malles et valises.go!!!
Lorsque vous parlez, Monsieur, de la vie des gens(les vrais), quelle humanité-poësie-douceur-tendresse...!
Qui tranche sans frémir quand il s'agit de dire adieu.
J'aime bien la linotte bleue d'alaska !
Si quelques autres pouvaient être retrouvés dans un sac du même genre pour fautes et consentements mutuels après Mai ce serait... TOP !
@M Heu Merci à vous...
Mais, vous savez, il m'est absolument IMPOSSIBLE de dire adieu à quelqu'un!!!
Je ne parlais pas de vous (jozrais pas) simplement je notais la difference (de ton) entre la lumière que j'ai ressentie à lire la vie ; et la vulgarité (encore une fois pas vous)de la liste bling et de son peu d'importance finalement. Bon difficile en quelques mots.
Je rêve aussi !
(Ça va mal finir...)
@M Alors ça c'est un sacré joli compliment dans lequel mon égo s'plonge!
@ Michel Pour qui?
Je me suis laissé emporter facilement dans cette histoire si bien écrite. Une vraie scène de cinema.
Prévert en aurait fait un autre poème.
Belle soirée
Roger
C'est indécent c'que les pov gens
peuvent ratisser dans leurs filets !
Le sac, encore, c'est pas du toc
pas d'la linotte bleue d'Alaska
surtout que l'bleu bien délavé
ça peut, des fois, vous rapiécer
les fonds d'culotte de deux pov gars
mieux qu'la linotte bleue d'Alaska
ou les bretelles de chez Prada
@Roger Merci et de votre passage et de votre commentaire!
@ Odile Et voilà que vous écrivez des poèmes, maintenant!!! Merci pour celui-là! Encore, encore!
Un sac de toile ?
Etonnant, quand même, que ce fût pas un sac Vuitton !
Pas tout pour les riches, voyons !... Vuitton, c'est maintenant pour les pov' zouvrières d'Yssingeaux qu'avaient plus de sous-vêtements dans leur travail...
De la roublardébrouillardise en redressement, j'vous dis qu'ça : il en a, in extrémis, plein son sac !!!
@ Odile C'était un sac de la DNC...
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