16 mars 2012

Au vent d'une dépression.

                Quelques jours avant la date obligée, le type qui se démenait comme un beau diable, celui qu'on apercevait courant dans tous les sens comme un lièvre après la vie, ne savait pas s'il pourrait en être...
Au lieu de concentrer son énergie à les préparer à ce qui les attendaient, il la dilapidait en faisant le pied de grue derrière les portes de bureaux imprenables, en sautant de rendez-vous en rendez-vous, une pelle à la main pour boucher les avaries béantes de son budget. Il ne dormait plus que trois heures par nuit et c'était là sa seule consolation puisqu'il y voyait un bon entrainement aux mois à venir. Malheureusement, cette quête réelle était désormais devenu un cap obligé pour qui voulait se mêler de course au large. Avec la crise qui rôdait autour de tous, rares étaient les entreprises encore prêtes à peindre leurs noms sur des engins qui allaient, l'immense partie du temps, devenir invisibles. Les budgets étaient devenus tels que ça faisait cher l'heure de publicité du départ, rien pendant toute la durée de la course et une vague image à l'arrivée qui pouvait parfois se faire, dans le pire des cas, en pleine nuit. Adieu les images espérées. Et puis, il n'y avait plus guère que le premier qui intéressait les gens. Les médias évoquaient à peine le pauvre bateau arrivant quinze jours après le gros de la troupe dans un port désert. Les hordes de journalistes rentrés en métropole, passés à un autre évènement. Seul, un joli naufrage avec sauvetage impossible pouvait inverser la tendance. La plupart des sponsors traditionnels s'étaient, donc, retirés sur la pointe des docksides et certains  avaient même levé le camp sans honorer la fin de leurs contrats.
Pour couronner le tout, ceux qui restaient n'étaient pas vaillants, ils rechignaient sur l'achat de la moindre manille. Et si les marins les plus cadors vivotaient de leurs exploits, c'était en vendant des livres racontant leurs exploits et ce qu'ils avaient traversé.
Après le départ, sur une route Ouest, Sud-Ouest, ils avaient viré à gauche, droit dans le Sud comme un goéland plonge d'une falaise. Là, dans le virage, l'ensemble de la flotte a connu trois jours d'énorme baston. Une guerre. À tout affaler, à tout descendre, voire même quelques bouteilles pour éloigner la peur, le vacarme et le danger. Plus personne n'avançait. Et puis le jour est revenu. Les vents ont repris force humaine et les marins se sont ressaisis.
Sauf lui. Il avait reçu un message laconique de son épouse. S'il avait largué les amarres, elle l'avait largué, lui:


Maintenant que je te sais vivant, je te souhaite bonne route. Je ne serai pas à l'arrivée, ne m'attends pas, ne m'attends plus. Je suis, moi, fatiguée de t'attendre. Ne m'en veux pas trop.


Et cerise sur le gâteau, il avait fini par apprendre qu'elle était partie avec un capitaine de la marchande. A la tristesse, elle avait ajouté l'humiliation. Ce qu'on appelle une sacrée bourrasque.  Ça faisait un moment que sa vie prenait l'eau, mais ce coup de vent était la goutte qui mettait sur la vase. Il était à genoux. Il a ramené la toile qu'il venait de hisser puis il a tout lâché. Il est descendu dans la cabine, il s'est saisi d'un outil et il a donné une série de coups de marteau dans tous les appareils de communication, il a fait de tous ses écrans d'ordinateurs de jolis petits débris éparpillés sur le sol. Alors, il s'est saoulé violemment avec ce qui lui restait d'alcool dans une bouteille de vieil Armagnac réservé au passage de l'Equateur. Puis il s'est effondré sur sa couchette.
Il a dormi deux jours et deux nuits. Le reste de l'escadre devait déjà cavaler dans le Sud. Il avait perdu la course. Il s'en foutait. Plus rien n'avait d'importance maintenant que la femme avec qui il ne vivait pas le quittait. 
Ne pas rentrer, jamais. Finir ici. Là, au beau milieu. Sur lui. Dedans. Il est retourné s'allonger. Il a fermé les yeux...
Dépêche AFP:
Titouan Queyzac, le skyper du trimaran "Vichy Saint Yorre", recherché depuis maintenant un mois, a été retrouvé mort sur son bateau au coeur de l'Océan Atlantique. Sans qu'aucune piste soit écartée, les enquéteurs penchent pour la thèse de la déshydratation, toutes les réserves d'eau potable du bateau ayant été retrouvées vides...

A force de courir après des milliers de trains de dépressions, il avait fini par être rattrapé par une seule, profonde comme une fosse Marianne. Elle l'avait laissé, perdu en plein Océan, comme un éclair suspendu entre deux orages. Il avait mis une quinzaine de jours à mourir au fond de son bateau. Ô ironie terrible, il s'était vidé de toute son eau, il était devenu aussi sec qu'un sac de suie, aussi sec que la momie d'Athotis.

En somme, on a retrouvé que sa peau sur les eaux...


18 commentaires:

Tilia a dit…

Il aurait sûrement préféré finir comme Tabarly...

Bon week, Chri

chri a dit…

@Tilia Sans doute! A vous aussi.

M. a dit…

Vers sur vers rien n'est clair
Rien de bon à tirer de l'arme à niaque pour l'homme à l'amer
"Maintenant que je te sais vivant..." Loin d'être une garcette la dame.

M. a dit…

"Vers" pour l'expression -avoir les vers-
verre sur verre marche aussi

M. a dit…

La dame n'est pas de nage non plus !

odile b. a dit…

"C'est pas l'homme qui prend la mer
C'est la mer qui prend l'homme"…
tatatin
Sauf que là… c'est pas :
"au dépourvu… tant pis"

Brigitte a dit…

Bah je peux comprendre qu'elle en ait eu ras le caisson ...Si je puis dire ...
C'est tout de même une triste histoire mais c'est la vie aussi !!!*
Bon week-end

chri a dit…

@ M En grande forme!!! :O))
@ Odile: Heu je ne suis pas certain d'avoir tout bien compris...
@ Brigitte Le caisson c'est lui qui l'a fait sauter... Si l'on peut dire!

LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS a dit…

dure, la vie.

Roger.

C'est pour la Saint Patrick que tu nous offre cette musque si sympa ?

Merci

odile b. a dit…

Vous n'êtes pas certain d'avoir tout bien compris ?
Tout simplement, je citais Renaud qui ajoute, un moment :
"Moi la mer elle m'a pris (t)
Au dépourvu
Tant pis"

Médiadico
"Au dépourvu : à l'improviste.
Sans être pourvu des choses nécessaires, sans être préparé"…
Larousse
"Prendre, saisir quelqu'un au dépourvu : à l'improviste, le mettre dans l'embarras à un moment où il n'est pas prêt à répondre à une demande"…
Vous comprendez, là ?

Voilà où ça mène, d'être "un éclair entre deux orages" (!!!…) C'est un comble, quand même, de mourir déshydraté au milieu de l'océan !
L'aurait pu, au moins, penser aux pilules de désalinisation qui permettent, en cas de panne sèche, si on n'est pas cap' de prendre le bouillon, d'au moins se rincer la dalle à bon compte !!!

A moins d'avoir une confiance aveugle dans son bateau (ou… sa flotte…), mieux vaut savoir nager avant de partir. C'est pas le temps qui lui aura manqué, à lui, pour "apprendre à nager" !!!…

Pour naviguer en père peinard, sur un rafiot faut avoir une confiance éperdue dans ses copains. Chacun sait maintenant qu'avant d'embarquer, mieux vaut s'assurer de l'état du rafiot, mais surtout de la qualité de l'équipage et du commandant… Vrai que c'est très difficile à tester, les amis "franco de port"… ça dépend du degré de "copinage"…

Chez Brassens, je me marre aux canards à chaque ligne. Je vous fais grâce de l'écriture, mais vraiment… "ça vaut l'jus" !!! Rien à jeter

PS - A noter que :
"Au rendez-vous des bons copains
Quand l'un d'entre eux manquait à bord
C'est qu'il était mort
Oui, mais jamais, au grand jamais
Son trou dans l'eau n'se refermait
Cent ans après, coquin de sort
Il manquait encore"

odile b. a dit…

PPS
Même pas de vérificateur à la noix !
Alors je reviens pour le plaisir de dire que la photo est chouette et bien symbolique : pour naviguer en père peinard, malgré le gros temps, ne pas perdre de vue l'essentiel : LE PHARE qui guide !!!

chri a dit…

@ Odile !!! Quelle énergie! Au dépourvu etc je n'avais pas fait le lien avec la chanson de Renaud... Pour le reste, c'est tout parfait!

chri a dit…

@ Roger: Je ne sais pas sur laquelle vous êtes tombé!

Nathalie H.D. a dit…

Y'en a un qui doit être content, c'est le sponsor. Voilà un bateau et un skipper qui continueront à faire parler d'eux longtemps !

chri a dit…

@Nathalie Du moment que l'histoire n'est pas trop indigeste...

Slevtar a dit…

Pour un de la Marchande ! Mais alors celui qui pilote la navette du port. Tristement drôle ton histoire, peut-être inspirée de celle, vraie, de ce coureur dont la femme qui participait à la préparation du bateau, a été électrocutée peu avant le départ. Il est parti quand même, et n'est jamais arrivé.

PS : le phare de Gosier, en bas à droite, si je me souviens bien ...

chri a dit…

@Slev Je ne connaissais pas l'histoire... Qui est-ce?
Oui, oui, j'ai pris l'image d'une maison des phares et balises, à la sortie de Gosier...
Une envie forte, tenace et récurrente!!!
Des pensées vers vous...

Nathanaël a dit…

J'arrive un peu après la tempête des commentaires, mais vu que l'amer a pris le marin ! Un bien beau texte joliment ourlé de vagues et embruns de vie ! Je vais continuer à voguer dans vos pages ... Merci à Laurence !

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