C’est un type fatigué qui
est sorti seul de la rame comme un sapiens de sa grotte.
Ils n’étaient que deux dans tout le train. L’autre qui avait dû bosser toute la nuit semblait épuisé et dormait à capuche fermée. L'éveillé a posé ses pieds sur le quai alors que le jour commençait à poindre derrière les coteaux qu’on voyait au-delà des toits de la gare. On était en plein cœur de la banlieue, en plein lever de jour, en plein milieu du pot de gris. Le quai, face au sien était déjà parcouru de quelques corps encore froissés aux visages blêmes comme indifférents d’être là. Une horde de revenants placides.
Ils n’étaient que deux dans tout le train. L’autre qui avait dû bosser toute la nuit semblait épuisé et dormait à capuche fermée. L'éveillé a posé ses pieds sur le quai alors que le jour commençait à poindre derrière les coteaux qu’on voyait au-delà des toits de la gare. On était en plein cœur de la banlieue, en plein lever de jour, en plein milieu du pot de gris. Le quai, face au sien était déjà parcouru de quelques corps encore froissés aux visages blêmes comme indifférents d’être là. Une horde de revenants placides.
Il pleuvinait. Une de ces
humidités désagréables qui mouille jusqu’au cœur de la moelle des os. Une de
ces pluies fines qui glace les sangs jusqu’aux globules. Il a regardé la ligne du
sommet des coteaux et s’est dit qu’il n’était pas encore couché. C’est là-haut
qu’il devait aller. Il a balancé son sac sur son épaule et s’est mis en route. Face à
lui, le courant grossissant de la foule des travailleurs qui partaient rejoindre
la capitale pour y perdre le jour à travailler.
Il n’y avait pas de quoi
mais le gars a souri. Comme s’il n’avait que cette arme pour lutter contre le
sentiment nègatif qui peu à peu le gagnait. Il se revit la veille, pas le mois d’avant,
la veille ! Douze heures plus tôt. Douze. Il sortait de l’eau presque
tiède d’un archipel des Antilles après un vol au-dessus des récifs de corail.
Une jolie plongée d’une bonne heure pendant laquelle il avait nourri des
murènes, caressé des mérous, photographié des chirurgiens ou admiré des perroquets. Puis il avait fallu faire
vite. Du bateau du club de plongée, il
avait sauté dans un autre, plus gros pour la ville où se trouvait l’aéroport
international et un taxi plus tard il avait enregistré son bagage, il avait son
billet en poche et c’est avec ses tongs et du sable entre les doigts de pied
qu’il a embarqué dans le jumbo, vol de nuit pour le froid et le gris. Avant de
prendre ce foutu vol en quatrième, il avait passé la semaine précédente à faire
en bateau à voile le tour de la grande île en forme de papillon. Avec quelques
amis. C’est dire si les soirées, les jours, les nuits, les matins, les levers,
les repas, les bains, les moments, la semaine entière avaient été difficile.
Depuis le départ au tout début du frémissement du jour dans la rivière salée et
le passage du pont levant puis la mangrove au moteur jusqu’à cette remontée en
catastrophe pour attraper le bateau du retour, ce qu’il avait vécue serait
gravé à jamais dans sa caboche. Ils aveint pris quelques cuites, aussi, en
chantant et des bains de minuit, ils avaient pêché des langoustes et les
avaient bouffées, ils avaient plongé autour de l’îlet Pigeon, dormi dans les
voiles, ils avaient parlé, ri, dansé. Dix jours entre parenthèses. Dix jours
exceptionnels dans une vie, dix jours comme dix cadeaux du Ciel.
Tout à l’avant du jumbo, il
avait posé son sac par terre puis sa tête sur le sac et il s’était endormi
encore dans la chaleur lascive des îles.
A l’arrivée, il avait
enfilé une paire de chaussettes, puis des baskets et surtout un pull.
Quand il est sorti de la
gare, il a envoyé son sac sur son épaule. Il n’y avait bien sur personne pour
venir le chercher. Ils étaient un peu en froid tous les deux, à cette époque. Il n'y avait entre eux guère de gestes bienveillants. Il avait marché sous la pluie bretonne de ce jour qui se levait pendant une bonne heure avant d’arriver chez lui. Trempé
comme une soupe, gelé par le froid de la pluie et la différence de
températures. Il était entré chez lui sans bruit, ça dormait dans la maison, il avait
posé son sac dans le couloir. Il était allé faire un tour dans le frigo. Rien.
Ni à boire, ni à manger.
Il était allé dans le
placard du salon, il en avait sorti un matelas, sur lequel il couchait
depuis quelques mois, déjà. Il l’avait déroulé et jeté à même le carrelage du salon.
Il avait attrapé un duvet qu’il avait posé sur la mousse, un coussin du canapé en
guise d’oreiller et transi, à peine sec, il s’était couché habillé. Il avait bien pesté
contre les grains de sable de la plage d’hier qui lui grattaient le dos. Mais comme avec les
souvenirs c’est tout ce qui lui restait des dix derniers jour, il n'en a pas été fâché. Malgré la
fatigue du voyage, il n’avait pas réussi à trouver le sommeil. Il avait attendu
dans le silence que le jour se lève tout à fait. Il avait aussi essuyé quelques
larmes qui lui étaient venues autant à cause des dix derniers jours que de ce
qui l’attendait. Il avait aimé ça, le sel lui avait rappelé de bons souvenirs.
On a connu retours plus
triomphants. Celui là était aussi, un retour de bâton.
10 commentaires:
Déjà qu'il fait frisquet !
Qui a dit "un boomerang est un baton qui a de la mémoire" ?
Sinon : des hauts débats ; des chauds d'effroi ; des amours désamour ...
Aller, se nourrir des belles choses !
@ M Ca pourrait bien être Pierre Légaré!
Les belles choses, elles seraient entre les jeter et les retours de batons?
Tout ca, c'est de la vie!
Il est arrivé quelque chose, pour le faire revenir dare-dare... Dure, dure la vie, parfois.
@ Tilia Souvent mais entre ces moments disons délicats, on peut aussi connaitre de grandes joies, alors, l'un dans l'autre, tous, on s'y retrouve, non?
Dur dur dur le retour !!! Le sel des larmes, ça se comprend ...
J'ai remarqué, quand il pluvine à ce point, ça cache quelque chose. La preuve.
J'aime ton écriture. Elle me transporte.
Amitiés.
Roger
Un "chaud et froid", comme qui dirait...
Après l'étourdissement au soleil, se retrouver "mouillé jusqu’au cœur de la moelle des os", "les sangs glacés jusqu’aux globules", dans une routine plus glauque qu'un simple écart de température.
Vos mots nous plongent puissamment dans ce vécu et ce ressenti douloureux.
¡ Bravissimo (pour les mots) amigo !
Contre la nostalgie inévitable liée au retour, faute de mieux, s'efforcer de repartir là-bas, dans sa tête... Bonheur inviolable, sourire intérieur...:)
Sinon, se consoler en se disant que, comme ici ya pu d'saison, en restant chez soi, ya moins de risque de désenchantement, de désillusion ou de retour de bâton... :(((
Ça me ramène à février 2003.
Après six semaines d'évasion exceptionnelle au soleil des Tropiques, j'avais embarqué, toute guillerette, en short et tee-shirt, une fleur d'hibiscus sur l'oreille et, pour couvre-chef, un chapeau en palme de cocotier qui ne tenait pas dans les valises. J'avais oublié que le thermomètre pourrait afficher - 5° à l'arrivée !... L'attente de la récupération des bagages m'avait semblé une éternité, et j'ai failli payer très cher autant d'insouciance...
Bonne fin de semaine au coin du feu, Chri !
Même "chaudement habillé pour l'hiver"(!), même nostalgique du soleil, un bon p'tit feu d'cheminée, ça a du bon.
Ici, la dernière lune nous a donné trois paniers de cèpes dans le bois et la basse- cour revient mendier près de la maison :)
@ Odile Faire des cèpes! Un rêve! Je ne crois pas connaître rien de meilleur qu'au soir partager avec des chers une omelette aux cèpes ramassés la journée devant un feu de cheminée alors que dehors, le vent s'est remis à souffler, le chien veillant à la porte couché en rond sur sa couverture de laine...
Pas compliqué le bonheur!
A défaut de truffes, on se contente de cèpes... :D
Avez-vous vu Catherine Frot et d’Ormesson dans "Les Saveurs du Palais" ?
Je me suis régalée !
@ Odile: Non je n'ai pas vu mais je suis allé voir Amour...
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