17 septembre 2014

Jusqu'à la cave.

Pour les impromptus littéraires de la semaine. Le texte devait s'inspirer de cette image:



« Quel que soit le chantier, si t’as pas touché à la cave, t’as rien fait. » Valérie Damidot.

Je ne comprends pas ce qui se passe s’est-il dit.
J’ai tout pour n’être pas malheureux. Tout, et je n’y arrive quand même pas…
 Alors, comme à chaque fois qu’il avait un souci, il avait décidé de monter voir le soleil se coucher du haut de Thouzon. Une colline de terre qui dominait le plat de la plaine et sur lequel se dressait encore les ruines d’une ancienne abbatiale. Il l'avait garée en bas, au pied puis il avait pris le chemin enpierré qui monte droit dans la garrigue parmi les chênes verts, les buis, les cistes  et les ronces. Il n’y en avait pas pour longtemps, à peine une dizaine de courtes minutes, quelques gouttes de sueur et on était au sommet. Là haut, une tour chancelante, un bâtiment qui, en son temps de splendeur avait été une abbatiale et tout autour quelques murs en train d’être remontés tous les étés, pierre à pierre par des jeunes gens plutôt volontaires mais sans doute pas très maçons… De quelque côté qu’on se tourne la vue était splendide, lointaine  et dégagée. Au Nord, on apercevait le sein du Ventoux avec son téton d’antenne pointé droit dans l’étincelant du bleu électrique. Par ici, on voyait, dans le fond, sur la guche, les découpes rocheuses des Dentelles de Montmirail et, dans le lointain, le tout début des montagnes de la Drôme provençale.  Au Sud c’était la plaine vers la ville de Cavaillon et ses tranches de champs découpées par les haies gigantesques des cyprès les protégeant du mistral. À l'Ouest, que des endroits qui chantent avec les collines de Châteauneuf de Gadagne, Jonquerettes ou Saint Saturnin lès Avignon. C’est simple, là-haut, l’œil ne savait plus ou donner de la pupille. Il fallait voir certains soirs d’Automne les colonnes grises des fumées montantes des feux de feuilles mortes, il fallait être là certains jours d’hiver où la neige avait recouvert le pays d’une immense et douce couette blanche, il fallait y monter les soirs de Printemps où la terre dans son entier tremblait toute de renaître. Lui, il y venait à chaque fois que nécessaire et ce soir là, il en avait besoin.
Il avait emménagé depuis quelques mois déjà et les travaux avaient bien avancé pendant l’été. Il en avait mis un sacré coup et il avait été bien aidé par quelques amis fidèles qui étaient venus lui prêter main forte. La toiture avait été consolidée puis isolée, des cloisons étaient descendues, des pièces avaient retrouvé de l'espace et des couleurs, des ouvertures avaient été créées pour qu'entre davantage la lumière du soir, des terrasses avaient été  carrelées, des sols avaient retrouvé leur jeunesse, une salle de bain avait été rénovée, bref, c’est sa baraque presque en entier qui avait été transformée. En trois mois. Seule, la dernière petite cave voutée derrière les deux autres avait été épargnée. On n'y avait pas touché. Personne n'y était allé voir.
Et puis, tous  ses amis étaient partis retrouver leurs vies et lui était resté, seul. Petit à petit, cet endroit qu’il avait désiré, qu’il avait transformé à ses goûts, dont il avait conçu les changements lui était devenu dérangeant presque hostile. Il avait mis cela sur le compte de la nouveauté. Une région nouvelle, des gens nouveaux, une vie nouvelle, des murs neufs. Il faut s’adapter, prendre son temps, attendre un peu avait-il tenté de se persuader. Mais rien d’agréable ne s’était passé. Aucune lumière n’était descendue du ciel, aucun liquide sucré ne s'était mis à couler dans ses veines, aucun apaisement de son âme ne s’était manifesté en chantonnant. Je ne comprends pas ce qui se passe, je n’y arrive décidément  pas...
C’est assis sur le muret face au feu dardant du couchant qu'enfin quelque chose  me fut donné. Je n’ai plus les moyens de fuir, je dois m’y coller, je dois faire face, s’était-il résolu:Il faut que je descende au fin fond de ma cave et que je la débarrasse de ce qui encombre. 
Je dois descendre et nettoyer ce coin sombre où s'agitent encore les saletés de fantômes qui enchagrinent la vie…



23 commentaires:

Anonyme a dit…

(......)
Monsieur Chri, sortez de mon corps.
Merci. Mille fois. Pour ce texte là.
Lou

Tilia a dit…

Votre texte me donne l'occasion de relire un passage écrit (page 36) par Gaston Bachelard dans "La Poétique de l'Espace" :

« La conscience se comporte là comme un homme qui, entendant un bruit suspect à la cave, se précipite au grenier pour y constater qu'il n'y a pas de voleurs et que par conséquent, le bruit était pure imagination. En réalité, cet homme prudent n'a pas osé s'aventurer à la cave. »

Dans la mesure même où l'image explicative employée par Jung nous convainc, nous lecteurs, nous revivons phénoménologiquement les deux peurs : la peur au grenier et la peur dans la cave. Au lieu d'affronter la cave (l'inconscient), « l'homme prudent » de Jung cherche à son courage les alibis du grenier.
Au grenier, souris et rats peuvent faire leur tapage. Que le maitre survienne, ils rentreront dans le silence de leur trou. À la cave remuent des êtres plus lents, moins trottinants, plus mystérieux. Au grenier, les peurs se « rationalisent » aisément. À la cave, même pour un être plus courageux que l'homme évoqué par Jung, la « rationalisation » est moins rapide et moins claire ; elle n'est jamais définitive. Au grenier, l'expérience du jour peut toujours effacer les peurs de la nuit. À la cave les ténèbres demeurent jour et nuit. Même avec le bougeoir à la main, l'homme à la cave voit danser les ombres sur la noire muraille.
(...)
Dans notre civilisation qui met la même lumière partout, qui met l'électricité à la cave, on ne va plus à la cave un bougeoir à la main.


L'inconscient, lui, ne se civilise pas. Il prend toujours un bougeoir pour descendre à la cave...

chri a dit…

@ Tilia Merci pour cet... éclairage!

chri a dit…

@ Lou Je reste quoi...

M a dit…

Je ne voudrais pas plomber l'ambiance, mais une 'tite boussole pourrait peut-être rendre service à celui qui voit les dentelles à l'Est... Bon d'accord il n'est pas dit à l'Est de quoi, mais depuis Thouzon elles sont plutôt au Nord, non ?
Donc, mettre les dentelles à leur juste place, ce serait un joli début pour dépoussiérer et donner un coup d'air à la cave !
Je suis d’accord avec Lou, certains écrits mettent des mots sur des maux partagés. Et quand c'est avec brio...
Si !

chri a dit…

@ M Oui ben oh hé ceux qui connaissent zont qu'à rien dire... Là j'ai changé l'bazar... On s'y r'trouve...

M a dit…

Ah ben voui, mais faut pas s'étonner alors ! C'est la cave qui rend susceptible ? ;-)

chri a dit…

@ M Meuh C'était dit en souriant! Mais j'ai changé quand même passque ça faisait bizarre...

Anonyme a dit…

Toute emberlificotée et déboussolée par cet endroit d'un passé bien récent et ces faits bien présents, sous ces mots là, posés non par moi mais par vous...l'est de Montmirail est passé chez moi comme une lettre à la poste...
:)

chri a dit…

@ M Ah tu vois, Anne de Nîmes ne fait pas tant d'histoire...

chri a dit…

@ Anne de Nîmes Merci à vous. La cave, la cave...

Anonyme a dit…

...Anne Hony meuh. Bon, c'était Lou, et par solidarité avec M, avec qui décidément je suis souvent d'accord, je vous ai retrouvé une boussole, de l'autre côté de l'anne O nimat.

chri a dit…

@ Lou oui, parfois je trouve votre complicité suspecte :-).
Le texte aussi a retrouvé le Nord.

odile b. a dit…

Tout prop' tout clean, de la cave au grenier, dedans comme dehors :-)

Brigitte a dit…

Faire du grand ménage et se débarraser de vieillerie ,même si l'on a pas de cave aide à se sentir plus léger et serein . Cela permet de se désenchagriner !!!
Merci pour ce texte que j'aime beaucoup et la photo d'illustration qui est très belle avec cette lumière.
Bonne fin de semaine

chri a dit…

@ Odile Pas moi, j'ai toujours des ptits coins sombres et poussiéreux!

@ Brigitte Je suis d'accord et content que vous l'aimiez :-)

Nathalie H.D. a dit…

Je sens que cette colline, là, celle qui n'a pas les Dentelles à l'est, c'est est une que l'auteur a arpenté par tous les temps. C'est du vécu ça, monsieur.
Pour la suite il faudra accepter la fin en suspens, le paragraphe arrêté là où tout devrait commencer !

chri a dit…

@ Nathalie C'est souvent quand ça s'arrête que ça commence!

odile b. a dit…

On est bien d'accord : pas de maniaquerie à outrance ! On ne peut pas être toujours avec un plumeau à la main à épousseter de la cave et le grenier... :D
Et puis, ça perdrait tout le charme des lieux... : quoi de plus agréable que de fureter dans le bazar d'un grenier, pour retrouver, dans la pénombre, un vieux livre qu'on aimait, oublié là, écorné, poussiéreux, les pages jaunies... et, quel plaisir de remonter de la cave, la lampe à la main, avec une bonne bouteille de vin vieux à partager... :-)

Alors... FOIN des FANTÔMES qui "embistrouillent la vie" !... Se débarrasser d'eux, les chasser énergiquement, à coups de balai, les exorciser, les brûler, ne pas les laisser tapis là, sournois, en catimini, prêts à vous pomper l'air et vous couper le plaisir d'être là, bien vivant, ébahi devant un coucher de soleil...
Bon week-end, Chri, au soleil qui nous gâte ! Profitons Z'en !

Véronique a dit…

Trois fois que j'essaie de vous dire que moi et bien j'aimerais bien y aller au Thomson .. Parce que je connais pas !
Trois fois que mon commentaire passe à la trappe , pour ne pas dire à la cave !

Véronique a dit…

Pas au Thomson ... Au Thouzon ! Ça m'énerve !

chri a dit…

@ Véronique Je vous y emmène la prochaine fois que vous faites du Sud... Colline de Thouzon. Il y a les grottes aussi mais on voit moins loin...

chri a dit…

@ Odile Oui, oui bon WE à vous zaussi!

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