___ C’est l’heure de se lever! C’est l’heure de se lever!
___ Ouais, ouais, ça va on arrive...
Le type un peu chiffonné a attrapé le portable qui venait de sévir dans la chambre. Il en a écrasé les touches au jugé pour le faire taire, puis il s’est dressé sur son lit. De là où il était, il pouvait voir dehors par le petit fenestron à hauteur d'œil couché. Il a vu, alors qu’il faisait encore nuit, que la maison était enveloppée dans un linge épais de brume épaisse. Merde, cette brume… s’est-il dit. Ce n'était pas un poète. Se lever si tôt pour aller, un dimanche à l'aube, s’enfoncer dans ce brouillard… Fallait-il qu'il l’aime, cette fille qui, seule comme une grande, avait choisi course à pieds. Seulement voilà, il fallait que quelqu'un l'accompagne...
Puis, il s’est déplié pour s’extirper de la douce chaleur de la couette. Il s’est couvert les épaules d’un truc qui trainait sur un fauteuil, les fesses d’une chose qui rampait par terre et il a descendu l’escalier de bois dont les marches faisaient un bruit d’enfer. Il est arrivé dans la cuisine et a demandé a la machine à café de lui en préparer un. Comme rien ne se passait, il s’y est mis. Pendant que le liquide noir coulait dans la tasse, il est descendu encore d’un niveau. Il avait fait aménager une grande chambre dans le sous-sol, c’est là qu’elle dormait. Il a gratté à la porte pour faire un peu de bruit, mais pas trop. Comme personne ne répondait, il a ouvert doucement. Il a été un peu surpris, mais tout bien réfléchi, ça lui ressemblait assez… Il l’a trouvée assise sur son lit, réveillée, pimpante, douchée, habillée, coiffée, son sac sur ses genoux, prête à partir.
___ Ben Ma douce tu es déjà prête?
___ Oui Pa! On part dans dix minutes, tu sais bien c’est toi qui a proposé l’horaire. On doit être là-bas vers huit heures… Je cours à neuf.
___ On y sera, ma Belle, on y sera!
Il est remonté boire son café et s’habiller en quatrième. Il a attrapé une tartine au vol, qu’il avalera en conduisant. Ils sont sortis dehors. On n’y voyait pas à dix mètres. Une brume dense comme un nuage d’incendie. Une nuit de presque hiver encore noire, quelques rares voitures passaient au ralenti, ils n’auraient même pas pu en donner la marque. Encore un foutu mois de Novembre. Il n’y avait que les dingues qui étaient de sortie. Les dingues et les sportifs. du dimanche. Ce qui, peut-être, revenait au même. Ils sont montés en voiture, direction la banlieue opposée, cap sur les jardins du Château de Fontenay les Briis. Mais ils n’y allaient ni pour un raout mondain ni pour la fête des cerises. Mi Novembre, c’était le jour du cross de la RATP. Une course à pieds à travers bois, dans les boues, les feuilles mortes et les sols gelés… Enfin, quand il écrit une course, c’est une batterie de courses dont il devrait parler puisqu’il y en avait une bonne trentaine durant tout le dimanche. Par catégories, les plus jeunes commençant, pour finir par la course des As qui réunissait les meilleurs spécialistes. Des kényans, des éthiopiens hauts comme trois pommes, épais comme des haricots verts anorexiques, rapides comme des missiles sol sol, venaient s’y briser les mollets, martyriser les cuisses et, en vrai, s’y geler les fesses, mais arrondir les fins de mois de villages entiers. Il fallait les voir à l’arrivée, des filets de bave le long de leurs joues glacées, prêts à vomir leurs tripes à tout rompre, de l’effort fourni. Il fallait les voir reprendre leur souffle comme des forges en furie, enveloppés dans des couvertures en or de survie… Mais Bon Dieu, pourquoi avait–elle choisi ce jeu là? Qui lui avait mis cette idée en tête? Il y avait tellement de sports de salle où, avec un bon coussin, les parents désignés peuvent s'asseoir au chaud et finir tranquillement leurs nuits. en attendant le passage de la chair de leurs chairs... C’est ce qu’il se disait en roulant dans la brume de cette moitié de Novembre. Elle, derrière, elle s'était rendormie un petit peu. Elle savait ce qui l’attendait. Malgré ses douze ans, c’était déjà sa troisième participation. Ils sont arrivés alors que le jour se levait. Il faisait plus clair, mais on n’y voyait toujours goutte. Il l’a laissée avec ses copines de club et il est allé garer la voiture dans le fin fond des parkings. Heureusement, des navettes autobus avaient été mises en place (l’avantage du cross RATP… pour le cross du Figaro, tu faisais le trajet un journal à la main, mais à pied!). Il a rejoint toute la joyeuse petite troupe qui venait de finir l’échauffement. Elle courait dans une demi-heure et c’est là qu’il l’a vue, en larmes. Il s’est approché et l’a prise dans ses bras: “Mais ma belle, qu’est-ce qui se passe? Tu t’es fait mal, tu as froid?” Elle a répondu: “Non, non, mais j’ai peur! J’ai peur de ne pas être à la hauteur, elles sont toutes vachement fortes devant, je vais être ridicule!”
Tout ce qu’il a trouvé à dire, à dix minutes du départ, cet imbécile de père c’est:” Ma douce, on peut rentrer, tu sais… Il n’y a rien qui t’oblige à faire ça, en tous les cas, pas moi! Je vais chercher la voiture, tu te mets au chaud et on rentre à la maison se recoucher, on n’est pas forcé de se faire mal à ce point là, c’est juste censé faire plaisir d’être là…”
Elle ne l’a pas écouté, elle a tenu à courir, elle a fini dans les trois premières.
Comme elle était joyeuse dans ses pleurs la médaille autour du cou ! Comme elle était fière sur ce podium ! Comme elle les faisait danser dans les brumes ses deux petites couettes humides!
Elle avait de quoi.
Comme elle était joyeuse dans ses pleurs la médaille autour du cou ! Comme elle était fière sur ce podium ! Comme elle les faisait danser dans les brumes ses deux petites couettes humides!
Elle avait de quoi.
Il est vraiment bon que, parfois, les filles n'écoutent pas ce que racontent leurs pères...
14 commentaires:
raconté parfaitement, avec petite distance et pointes d'ironie. Du vécu ?
@Brigetoun: Merci...
un merveilleux souvenir parmis tant d'autres. PAPA JE T'AIME
@Sarali: Bataille...
et il est bon parfois, que les papas écoutent leur fille !
@Dans ce sens là, ça marche, Véronique!
Que c'est mignon, ce souvenir de père et cette réponse éclatante de sa fille !
Peut-être que tu as dit exactement ce qu'il fallait ? Lui proposer de rentrer, tout simplement.... et alors c'est bien elle et elle toute seule qui a retrouvé sa détermination.
Si tu lui avais mis la pression ("dis-donc, tu ne m'as pas fait venir jusque là pour ne pas courir, quand même ?") tu l'aurais peut-être démotivée parce qu'elle se serait sentie obligée !
@Nathalie: Disons que dans ces cas là, on improvise une chanson à deux!
Et que là, on aurait chanté juste!
"... dans les trois premières", et toi, quelques com' plus haut ... tu tiens un sacré podium.
Je vous embrasse.
Slev
@Slev: Hé hé Il y a des coms qui font la vie plus belle encore (Même si je le savais avant... On se le dit souvent!)
On vous embrasse aussi.
Très belle course où tout le monde a gagné : Papa et fille !
Ce n'est pas si courant (si je peux me permettre !!)
Bravo aux deux participants !!
@L'autre je:
Merci à vous! Ce qu'on a gangé ce jour là est hors de prix!
Gagné et pas gangé qui ne veut presque rien dire!
l'enthousiasme... ce que cela peut faire, même des années après ! J'avions compris. Et puis là, tout de suite, j'ai Stand by me ...
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