Boyardville. Île d’Oléron. Charentes Maritimes. Juillet 1981.
Le printemps avait été souriant. Dès les premiers jours de Juillet, nous avions plié bagages, fermé la maison de banlieue et, comme nous en avions désormais l’habitude, nous étions venu nous poser, pour deux ou trois semaines dans l’île. Nous étions là depuis quelques jours quand, à la boulangerie, j’ai lu l'annonce du Tournoi de tennis de Saint Trojan qui devait commencer sous peu. Je n’en faisais que deux ou trois par an, histoire, surtout, de ne pas perdre mon misérable classement en quatrième série. C'était peu, mais ça me convenait. S’il est un jeu extrêmement amusant à pratiquer, le tennis a, entre autres, cette particularité de faire que quel que soit son niveau, il ne nous satisfait JAMAIS. Il suffit de voir la mine effondrée des plus grands joueurs du monde à la sortie d’un court pour s’en convaincre. Il n’y a que le premier qui arrive, parfois, à sourire, et encore… Un autre aspect du tennis à connaître, si tu veux t'y mettre, c’est de savoir que, dans toute ta vie de joueur, tu vas passer plus de temps à perdre des matchs qu’à en gagner. (Cest sans doute pour cette raison qu'il peut être une bonne école de la vie...). Il vaut mieux apprendre très vite à serrer la main du vainqueur sans, à chaque fois, rentré chez toi, te frapper les flancs jusqu'aux sangs, avec des boyaux de chat! Alors, quand, en plus on joue en tournoi où tout est changé, juste parce que là, le résultat compte et qu'on perd encore quelques degrés de son niveau de jeu. Alors, on est très vite en colère contre soi, le vent, les balles, les chaussures, la raquette, le soleil, le repas du midi, le sommeil de la veille, l’adversaire, le bruit des avions dans le ciel, cet oiseau de malheur, là qui passe quand tu sers, ces chiens qui aboient juste au moment où tu frappes, les spectateurs qui parlent et ceux qui se taisent et le monde... Entier. Tous, tous, sont, forcément, ligués contre toi et collaborent à ta perte et à ton égarement... Donc, quand on n’a pas, comme moi, l’esprit de compétition, ou, quand on l’a trop et que l’idée même de la défaite est difficilement supportable, on arrive parfaitement bien à ne pas s’amuser du tout en match qui compte. La peur de perdre étant beaucoup plus envahissante que la perspective de gagner. Aussi, pour s'éviter des malheurs, quand on a conscience de ce travers, on fait le moins de tournois officiels possible.
Mais là, nous étions en Juillet, le printemps n’avait été que fêtes, sourires et défilés joyeux, l’ambiance générale était à la bienveillance rigolarde et au bon air dans les poumons. J’avais vingt huit ans, une forme du diable et des jambes de feu. Il ne me manquait qu’un service fiable, un revers correct et, malgré un coup droit vaguement approximatif il m’arrivait de placer la balle quelques fois à l’intérieur du terrain. Simplement, il ne fallait pas que l’échange dure trop longtemps. Mon inconstance expliquait mon faible classement. Mais s’il fallait courir deux heures, j’étais prêt à le faire et surtout j’en avais la capacité. Et, par dessus tout, quand on jouait pour rire, c’est à dire du moment qu’on se foutait un peu du résultat, j’aimais jouer à ce jeu là.
Je me suis inscrit au tournoi. Le premier adversaire, je l'affronterai le lendemain à quatorze heures, il sera non-classé.
Ah, le plaisir d’un retour à la maison en vainqueur… Bon, les proches qui n’ont pas assisté au match ne sont pas forcés de savoir que pour le battu c’était son premier tournoi, qu’il savait à peine compter les points et qu’il servait, tout juste, à la petite cuillère… Quoiqu'il en soit, j'avais gagné, j’avais gagné, point. Le deuxième match, un deuxième tour, donc… Oui, il faut comprendre que quand on joue au tennis, on s'enflamme assez rapidement et les quatre courts en quick du STLTC (Saint Trojan Lawn Tennis Club) avec sa buvette en carton et ses grillages rouillés, vous ont, très vite, des allures d’un Rolland Garros des Charentes… Le temps d’une victoire au premier tour, par exemple…
Je suis arrivé une demi-heure en avance pour le deuxième match. Mon adversaire s'est pointé un peu après moi et dès que je l’ai vu, j’ai su que mon après midi était fichue et surtout que je n’allais pas rigoler. La soixantaine sportive, un bandeau de pro dans la calvitie coupant en deux son front luisant, la dernière raquette à la mode, la tenue intégrale de ce joueur du moment, celui qui avait marqué cette saison, cet américain gaucher et colérique dont le nom commençait par un hamburger… Il m’avait à peine serré la main (mon adversaire, pas l’américain) sans doute déjà concentré et entré dans son match… Nous avions échangé les balles d’échauffement habituelles. Comme prévu, j’étais maintenant fixé, j’allais rencontrer un emmerdeur de vieux crocodile qui avait dû, dans sa jeunesse, être classé à un très bon niveau et qui descendait de classement au fur et à mesure qu’il soufflait ses bougies d’anniversaire. Leur plus grand plaisir à ces gars là, c’était de battre des petits jeunes qui cavalent partout, simplement en renvoyant UNE balle de plus qu’eux dans le court et, Bon Dieu ça, qu’ils savent bien le faire!
Dans le premier set, jusqu’à quatre partout il n’y eut rien à signaler. Nous faisions gentiment autant de fautes l’un que l’autre et tout ça s’équilibrait gentiment… La pression d’un deuxième tour? C’est à quarante quinze qu’il a annoncé ma deuxième balle dehors… Alors que j’avais servi un ace… J'ai bougonné intérieurement, cela ne m'arrivait pas si souvent, mais je n’ai rien dit. Quelques balles après, j’étais mené quatre cinq , service à suivre pour lui… Dans le jeu suivant, il m’a annoncé deux balles fautes alors que l’une n’avait même pas touché l’intérieur de la ligne… Ce type trichait. Il trichait comme le sale môme qu’il était, le temps d’un match d'été, redevenu. Combien de points m'avait-il volé de puis le départ, ce salopard? Le temps que je me pose ces questions... Il a gagné le premier set six quatre. Je suis revenu vers la chaise, j’ai fourré ma raquette et ma serviette dans son sac, j’ai attrapé ma bouteille de flotte et je suis sorti du court. Il est sur son banc, médusé. Quand je passe à sa hauteur, derrière le grillage, il me dit:
___“Mais... vous ne pouvez pas partir, je n’ai pas encore gagné, il reste un set!”
Sans le regarder, je lui ai envoyé:
___“Je ne perds pas avec des tricheurs! Tu m’as volé trois points, tu es prêt à tout pour gagner, tu as gagné, je me barre!” Il en a lâché sa raquette. Comme un gamin à qui on arrache son jouet, il a tenté:
___“Vous ne pouvez pas partir comme ça!”
___“Je vais me gêner! Que tu gagnes, passe encore! Que tu me battes, JAMAIS!”
Et j’ai filé. Ah comme je me suis plu en fanfaron! Ah comme j'ai été fier d'être ce bravache! Je n'arrêtais plus de me répandre sur mon éclat de pétard à mèche! Et de conter la tête de l'autre, là tout seul sur son court, derrière son grillage, comme un giscardien défait...
Aujourd'hui, je sais que ce ne sont qu'un immense orgueil et une vertigineuse peur de perdre qui m'ont poussé à déserter le champ de bataille...
Double faute...
A suivre: "Transfert de fond..."
5 commentaires:
Flatté de me retrouver en lien dans votre page !
Félicitations amicales.
@Michel: C'est amusant parce que moi, j'admire votre "exploration" d'Avignon et je me régale du partage!
Merci, ça me touche !
Ceci dit, je dois vous avouer que vous publiez toujours de bien belles photos, mais, que je n'aime pas lire (c'est pour ça que j'aime les images !)
Amitiés
j'aurais fait tout pareil Chriscot ... pas bien de tricher !c'est comme la mauvaise foi
quel vilain, vilain défaut
si j'avais été là, j'aurais applaudi des deux mains
@Mon personnage n'a trouvé que ça pour échapper à sa défaite... C'est minable!
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