Le gaillard proche du double mètre et de cent vingt kilos de muscles, concentré sur ses chaussures à crampons vissés en alu, bardé d’élastoplast comme un rôti prêt à cuire, enduit jusqu'à luire, d'une pommade au camphre, assis sur un banc de vestiaire quelques minutes avant un match important du Top Douze, renâclait à ce qu’il entendait, en ce moment.
Il n’en pouvait plus des : "Vous allez me les défoncer et me la mixer menu cette bande de tapettes auvergnates, faisez m’en du hachis... Parmentier, je compte sur toi ! "ou les: "Poindan, les yeux, vise les yeux, Bon Dieu!", les: " Adam: Mord les!". Les: "Qu'est ce qu'on va tondre cet après midi? La tarlouze! On va la couper menu, on va leur montrer qui a les plus grosses sardines à ces tantines, on va leur faire rendre l’âme à ces fiottes, on va leur montrer ce que c’est que d’avoir des couilles et qui c'est qu'a les plus grosses…" Les: "Vous savez ce qu’ils disent dans votre dos ces pourritures ? Que vous posez dans un calendrier pour vous faire reluire, voilà ce qu’ils disent ces empaffés d’auvergnats, ces paysans, ces boeufs de montagne! Où vous allez leur marcher ?" Et les autres de hurler : "Dessus ! Où ça ? Dessus! Dessus quoi? La tête... Aïe aïe aïe!!!"
Tout ça était d'un goût... Et ça durait, ça durait dans ces instants d’une infinie finesse… Puis les gars, remontés comme des pendules se jetaient dessus les uns, les autres en se frappant les poitrines comme des gorilles en colère. Bref un joli tableau peint à la téstostérone mixée d’adrénaline… Il n’en pouvait plus, le joueur concentré. Il était resté assis à la fin de la causerie, il s’était contenté de faire tourner sa tête pour s'échauffer les cervicales. Et puis, il était resté là à s’efforcer de ne plus rien entendre. Il s’entrainait à ce que le flot d’ordure déversé reste à l’extérieur de lui et ne lui entre dans aucune oreille. Il y arrivait de mieux en mieux, du reste.
Lui, prostré dans son coin, il aurait préféré entendre parler de:
"Rigueur, concentration, discipline, défense, combat, on avance, on ne recule pas, ensemble, solides, solidaires", mais non, c’était encore l’ancienne école qui parlait, enfin qui éructait… Ces horreurs d’appels à la castagne, à la haine, à la violence.
Il lui avait pourtant demandé plusieurs fois de mesurer ses propos d’avant match, il lui avait demandé de bannir définitivement tout ce langage guerrier et insultant. Il lui avait demandé de ne plus se servir de cette imagerie dépassée et finalement imbécile. Il pensait qu’on pouvait parler de combat, de défense agressive sans forcément tout rapporter aux « burnes », ses tailles, sa virilité, sans tout raccourcir à une si stupide et si déplacée, histoire de glandes. Il lui avait dit qu’il ne voulait plus entendre ces torrents d’injures grossières mais c’était, sans doute, plus fort que lui, l’autre y revenait sans arrêt. En monnaie d'échange? Comme une habitude? Pour éloigner les "soupçons"? Par crainte?
Il lui avait dit, lorsqu’ils étaient au calme, dans l’immense loft mis à la disposition de l'entraineur par le club et dans lequel ils vivaient ensemble, en secret : « Que tu sois mon coach ne change rien à l’affaire, un jour je vais te quitter si tu persistes… » était-il même allé jusqu’à le menacer…
Ce soir là, avant de se lever pour sortir du vestiaire et s’engager dans le couloir qui mène au terrain, en fuyant le regard de l’entraineur qui le cherchait des yeux, le gaillard de près de deux mètres et de cent vingt kilos de muscles s’était dit, tristement :
« Cette fois, c’est trop, je finis ce match et j’arrête... je le quitte. »
6 commentaires:
J'ai idée que dans les vestiaires de filles, cela doit être assez gratiné aussi... Si cela peut mettre du baume au cœur à Double mètre...
@L'autre je: Ah ça,à propos du gratin, je ne sais pas.
Ah ça fait plaisir, un homme qui dénonce des propos machistes, sexistes, homophobes, une manière violente et agressive d'entrainer de grands gaillards en méprisant l'équipe d'en face !
Excellent que les deux protagonistes de l'histoire soient homosexuels !
Encore plus plaisant de voir le courage de cet homme qui face à une éthique bafouée prend son courage à deux mains et quitte l'abruti de service !
Je vous fais la révérence mon cher Chri !
@Mathilde: Merci à vous!
toute mignonne votre histoire Chriscot !
je le savais que nous vivions dans un monde de brutes
( la photo est parfaite, j'aurais aimé l'avoir faite .. )
@Véronique: Mignonne? Je ne sais pas...
Des tulipes de mon jardin...
Merci pour elles!
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