14 janvier 2010

Une leçon de haute volée.

En ce début d'après midi de Juillet 1962, après avoir survolé l’Atlantique Sud, les soixante cinq passagers du Super Constellation Lockheed assurant la liaison entre l’Amérique du sud et Paris, avaient entendu l’hôtesse leur annoncer l’arrivée sur Dakar où l’engin vieillissant devait se poser pour ravitailler, avant de poursuivre son vol vers Paris Orly et son aérogare ultra moderne qu'on venait à peine d'inaugurer. A l’approche de cette escale, le Commandant de bord, assez bon fleuretiste, avait tenu à saluer l’équipe de France d’épée qui avait été sacrée, quelques jours au paravant à Buenos Aires Championne du Monde et le sabreur niçois Claude A., lui, médaillé de bronze. Alors, ceux ci avaient déplié leurs immenses carcasses du profond de leurs sièges avec bonheur et avaient reçu ces marques de reconnaissance avec une joie sincère. L’ensemble des passagers avait applaudi cette annonce à tout rompre avec un étrange sentiment de fierté de partager ce vol avec des compatriotes distingués. Ces sportifs venaient de recevoir la plus grande marque de reconnaissance qui leur serait jamais témoignée. A l’annonce de l’approche de l’escale, tout le monde a, également, soupiré d’aise et de soulagement. L’étroitesse des sièges et leur inconfort, les bruits forcément incessants des quatre hélices, les vibrations de la carlingue, les "trous d’air" au passage du Pot au Noir avaient sérieusement entamé leur énergie. Ils commençaient à en avoir soupé de ce vol et de sa longueur. Très vite, à ce qu’ils on ressenti, ils comprirent que quelque chose ne volait pas rond. Après une descente régulière, l’avion s’était mis à tourner en cercles au-dessus de la ville. Après un quart d’heure de ce manège, vers le devant de l’appareil, la porte menant au poste de pilotage s’est ouverte. Le Commandant est apparu. En manches de chemise mais l’air sombre. Il s’est adressé aux passagers de vive voix et ce qu’il leur a dit, ils auraient aimé ne pas l’entendre: “Nous avons un problème de train d’atterrissage. Celui-ci, refuse, pour l’instant, de sortir. Nous avons, évidemment, fait plusieurs tentatives mais rien ne se passe. Pour l’instant, nous allons voler en attente de manière à nous donner le temps de régler le problème. Nous sommes en lien avec des ingénieurs au sol et, croyez le, nous tentons de trouver une solution. Il nous reste environ une heure trente de carburant avant de penser au pire." Dans la cabine, malgré le vacarme des moteurs, régnait un silence pesant. A la question si le train devait ne pas sortir, il a répondu que: “Nous tenterions de nous poser sans lui, c’est à dire sur le ventre., mais nous n'en sommes pas là. En attendant, nous allons vous servir une boisson.” Personne n’a osé dire le verre du condamné… Puis il a tenté de répondre le plus calmement du monde, en espérant que cela soit contagieux, à certaines questions angoissées de quelques uns. Et, il les a laissés avec ces nouvelles. Pendant un instant, le silence s’est imposé. L’inquiétude se lisait sur tous les visages, chacun était sensible à la moindre variation de bruit, à chaque mouvement de l’appareil.
Tous, ou presque attendaient que quelque chose se passe mais sans savoir quoi.
Le commandant a fait appeler dans le poste de pilotage le responsable de l’équipe d’escrime qui en est ressorti quelques minutes après. Il s’est dirigé vers Claude A. et ses épéistes. Ceux-ci se sont levés, se sont emparés de leurs housses, en ont sorti leurs armes et, dans l’allée centrale du Super Constellation, les passagers du vol, au début sidérés puis, finalement conquis ont assisté à une démonstration d’escrime… Le maître d’armes a donné à Claude A. une leçon de sabre et les épéistes, eux, ont simulé un d’assaut en s'amusant comme des filous… C’était une époque où l'on pouvait prendre l’avion avec un sabre ou une épée en cabine. La méfiance, la crainte et la peur de l’autre n’avaient pas encore envahi le monde. On pouvait encore monter dans une carlingue, fût-elle à hélice, avec insouciance et légèreté. Alors, dans cet avion en détresse, ces jeunes gens en pleine santé ont fait de l’escrime juste pour combattre la peur de mourir. Au fond, qu'était le but de toute activité humaine sinon celui là? Après une bonne heure de quarte tête, de contre de sixte, de prises de fer, de fentes et de tierce figure bien placés, ils ont évité les quinte banderole à cause des plafonds... tout le monde l'a ressenti ce choc violent sous l’appareil.
Le train venait de sortir de son logement! L’avion convalescent pouvait se poser sans dommage sur le tarmac de Dakar...
Un peu plus tard, en Aout, parmi les serres d’œillets de la campagne de ses grands parents, horticulteurs sur les hauts d’ Antibes, un petit garçon de neuf ans, dont le père était maître d'armes, a appris par hasard, qu’il s’en était fallu de peu, cet été là, pour qu’il devienne orphelin…
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17 commentaires:

P a dit…

Très, très belle histoire....
merci
PP

Brigetoun a dit…

superbe histoire (juste ce qui aurait plu au mien de père)

chri a dit…

@PP et Brigetoun. Merci...

Lautreje a dit…

Combattre la peur pour la dépasser, la doubler, la claquer d'un coup sec ! Et se réveiller encore plus vivant qu'avant !!
Merci de nous faire partager cette histoire très émouvante.

amichel a dit…

ces coups d'épée dans l'au-delà du plancher des vaches
ramènent à cyrano :
"Pas là! non! pas dans ce fauteuil!
-Ne me soutenez pas!-Personne!
Rien que l'arbre!
Elle vient. Je me sens déja botté de marbre,
-Ganté de plomb!
Oh! mais!...puisqu'elle est en chemin,
Je l'attendrai debout, et l'épée à la main!"
...
"N'importe : je me bats! je me bats! je me bats!"
belle leçon
beau texte où Chriscot s'escrime à nous divertie !

chri a dit…

@L'autre je; Amichel: Merci...

Anonyme a dit…

encore un beau texte. je dirais meme plus c'etait crissement beau. bises de l'autre cotes de la flaque.

chri a dit…

@Gran: Merci... Bises aux enneigés...

Anonyme a dit…

"C’était une époque où l'on pouvait prendre l’avion avec un sabre ou une épée en cabine".
C'était une époque où, dans la salle d'armes où un autre gamin passait son enfance, était inscrit cette devise "La musique élève l'âme, l'escrime la trempe".
Et lorsqu'on se mettait en garde, ce n'était jamais contre personne que soi- même.
On ne le savait pas encore, mais la leçon porte toujours, n'est-ce pas ?

chri a dit…

@Slev: J'espère que je n'en ai pas dit trop de mal!
Les leçons ont appris à en recevoir, c'est déjà ça.

chri a dit…

PS: Je ne suis pas content du tout du titre!!! Siv vous trouvez mieux, je prends!

Anonyme a dit…

Un texte rapide qui fouette l'air comme une lame.Une parade paradoxale . La vertu de ces hommes me rappelle une formule qui m'a souvent servi dans la vie et que j'entendais dans une salle de sport jadis :
" Celui qui combat peut perdre. Celui qui ne combat pas a déjà perdu". Bertold Brecht bien sûr !

Signer Z s'impose !

chri a dit…

@Z: Z comme ... lui? Merci! Je suis sensible à la parole de Brecht même si je crois que de toutes les manières on a...déjà perdu!

Anonyme a dit…

Naaan ! Que de grandes choses l'on peut gagner avnt de perdre ! On peut gagner sa dignité par exemple.On peut donc aussi transmettre cette valeur à nos descendants !Certains aristocrates de naissance ou d'argent vivent couchés,non ? On peut donc légitimement penser que la noblesse est à la pointe de l'épée et non sur le blason.

chri a dit…

@Anne: Vaincu médaillé!

Nathalie a dit…

Superbe histoire qui laisse pantois.
Ta dernière ligne fait froid dans le dos.

Des lames en cabine... tu as raison, c'était une autre époque.

Quant aux vertus éducatives de l'escrime, elles sont là sans doute.

Pourquoi dis-tu que de toutes façons on a déjà perdu ?

Et parenthèse qui n'a rien à voir : je me suis mis ta photo de Gordes sous la neige en fond d'écran. Je la trouve meilleure que toutes celles que j'ai faites.

chri a dit…

@Nathalie: Oui, c'est un sport magnifique. Vraiment!
Ta série de Gordes et des environs est très très réussie!

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