23 mars 2010

Tri sélectif.

C’est quoi ce papier dans sa poche ?

C’est rien, un truc qu’il griffonnait juste avant de s’écrouler.

Fais lire.

"Putain de saison.

Sous la morne lumière hivernale des lampadaires, j’en bave des ronds de chapeaux et la ville autour s’en contrefout pas mal. Que je sois assis, les jambes couvertes d’un duvet douteux sur une bouche de métro fumante ne les empêche pas de courir partout les bras chargés de paquets cadeaux. Que mon chien à côté de moi soit roulé en boule sous le gel ne les empêche pas d’aller venir. Que j’écrive que pour une fois c’est lui qui est davantage mordu par le froid qu’il ne les mord ne les fait pas sourire. Et ces trottoirs qui sont glacés, s’ils savaient combien on peut avoir mal assis dessus sans bouger. S’ils savaient… Mais pour eux, pour la plupart, pour presque tous, je n’existe pas et tant que je vis je n’existerai pas.

Mort, j’aurais, au moins, une courte existence, certes très limitée, mais une existence! Disons que cela durera le temps que l’attroupement autour de mon corps raide se disperse, le temps que mon cadavre soit emballé de plastique et emporté par l’ambulance, le temps que la brigade canine embarque mon chien. Le temps que quelques pensées nauséabondes abondent. « Font tout pour nous gâcher la fête ces feignants. Et le travail c’est pour les chiens ? S'ils en sont là, c'est qu'ils l'on bien cherché...» et autres conneries.

Si, si, il y en a pour penser ça et s’ils ne le disent pas ça se voit dans leurs yeux, je le lis parfois et je les plains des maigres forces qui me restent, les malheureux qui m’envoient ça dans la figure.

D’autres se déchargent en nous jetant une pièce sur le duvet mais sans un regard, et, au fond, c’est de ça qu’on crève: Du manque d’un simple regard d’humanité posé sur nous… Nous sommes devenus invisibles. Parait que ça arrange tout le monde.

Putain de saison."

Tu le gardes ?

Non, non, pourquoi faire? On va pas s'emmerder! Fous ça en l’air, avec tout le reste…

9 commentaires:

Véronique a dit…

oui, faut garder ...

( .. je ne suis pas toujours fière de moi Chriscot ! )

chri a dit…

@Véronique: ??? !!! ...

Véronique a dit…

parce qu'il m'arrive de passer sans vouloir voir Chriscot ...

chri a dit…

@Véronique Mais à moi aussi, bien sûr!

Anonyme a dit…

Le titre effraie déjà ; nos petites et grandes hontes font un bruit de chaînes, et la chute n'en finit pas de nous tomber dessus.
Putain de billet.
Slev

clo a dit…

un douloureux billet Mr Criscot....
je n'oublie jamais de faire ce que je peux quand je peux,non pas pour me donner bonne conscience mais pour partager avec eux un peu de chaleur, cinq minutes de mon temps,quelques caresses au chien,quelques pièces,mon bout de pain ,un sourire,. je les aime bien,les gens libres de la rue ,certains ont encore au fond des yeux une lumière, quelque chose qui vous retourne les tripes,quelque chose qui nous remet a notre place..demain peut être nous serons comme eux sans plus rien....rien n'est jamais acquis ...
ça ne changera rien mais...voila...
un sujet qui touche dans l'indifférence générale...
impossible de passer sans ne rien donner...même si ce n'est rien...juste un peu de considération....

chri a dit…

@ Slev et Clo. Merci. Ça a été dit plus personne dehors en 2010...

Nathalie H.D. a dit…

J'arrive en retard. Le papier est encore là, pas encore jeté. Je le lis. Je me dis que non, je ne m'arrête pas souvent pour dire bonjour. Plus souvent aux filles. Elles me touchent, forcément.

Et hier avec ma fille de 17 ans on parlait du sort du monde. Elle me dit "je ne suis déjà plus idéaliste, j'ai trop conscience de l'ampleur de ce qu'il y a à faire"...

chri a dit…

@Nathalie: Voilà notre responsabilité! Nous leur proposons un monde où l'on n'est plus idéaliste à 17 ans... Quelle tristesse!

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