14 avril 2011

Ballade.


A peine débarrassés de nos écharpes, de nos bonnets, de nos gants, de nos manteaux, de nos pulls, enfin de tout ce qui pouvait nous éviter les engelures,  elle a filé droit vers la chaîne, appuyé sur deux trois boutons et les premières notes de guitare ont envahi la pièce. Elle a eu une envie soudaine de l’entendre. Comme on entoure un cadeau d’un ruban.
Nous venions de passer deux bonnes heures le nez dans le mistral sur les hauteurs gelées de Saumane.

Nous étions allé poser nos fesses, pas bien longtemps à cause du froid à enrhumer un ours blanc, qui régnait là-haut, sur une pierre face au paysage. Pour voir. Pour voir et entendre le souffle du vent qui déboulant de bien plus haut rebondissait sur le Ventoux et tombait en cascades agressives sur nos épaules fragiles. Nous y étions allés pour prendre de la hauteur et nous faire des souvenirs. Pour tuer le temps afin qu’il passe moins vite ? Nos rires sous les assauts du vent, notre équilibre précaire sous les rafales, notre avancée pénible sous les gifles répétées...
Bien sûr, je me suis assis derrière elle pour la protéger du gel, moi qui allait, bientôt l’exposer à cœur fendre. A part nous, il n’y avait pas âne qui vive, là-haut, que nous et nos corps entre croisés. J’avais posé mes lèvres sur le chaud de son cou, là, oui, dans la nuque, dans le doux, dans son odeur, j’avais serré les bras autour de ses épaules. Elle m’avait laissé faire, mais elle ne m’y avait pas invité. Tout mon corps lui disait : Je suis là. Tout son corps répondait : "Ben je le sens bien que tu es là". Mais, les nuages fichaient le camp à toute allure. Nous avons déjeuné d'une pomme givrée...
On imagine mal quand on y vient l’été combien cet endroit peut être hostile en Février.
Les cigales y sont emmitouflées, les écureuils avaient levé l'ancre vers les Tropiques. Ici, l'hiver, les pierres s’y fendent, les ciels s’y glacent, les cistes s’y rabougrissent, les bruyères s’y racornissent, les lavandes s’y sèchent, il n’y a que le thym sauvage qui semble s’en tirer avec un peu de gloire.
La veille, j’étais arrivé par le train à la gare d’Avignon.
J’avais passé un coup de fil dans la matinée : « Si je viens, tu seras à la gare ? »
Elle avait répondu : « Il faut voir. Essaye toujours… » De sa part, je ne m’attendais à rien d’autre, je savais que toute cette distance qu’elle posait c’était pour s'éviter les pièges, puis après un instant :
« Mais si tu venais, tu repartirais quand ? »
Droit dans ce qui fâche.
J’avais bredouillé : « Je ne sais pas, deux ou trois jours »
« Alors ce n’est pas la peine de venir…» Et elle avait raccroché. ELLE AVAIT RACCROCHE. On se sent bien bien couillon avec les bip bip dans les oreilles quand l’autre n’est plus là (au fait pourquoi dit-on raccrocher au nez? C’est bien aux oreilles qu’on raccroche, non ?) et qu'on sait qu'il a eu raison de le faire.
J’avais rappelé, une fois remis, pour lui donner mon heure d’arrivée : « Et si tu n’es pas à la gare, ce sera tant pis pour moi, je reprendrais le train dans l’autre sens. »
Quand j’étais sorti du hall déjà balayé par un mistral à défriser les taupes, il n’y avait personne. Même quand on y est préparé, cela reste désagréable. Je la savais capable de ne pas venir.
Une heure après, j’étais toujours assis sur mon sac de voyage dans un coin, entre deux murs quand sa voiture a monté la rampe.
Elle est sortie et a juste posé sur le siège où j’allais m’asseoir : « Je voulais que tu saches ce que ça fait d’attendre. »
Je n’ai su que bien plus tard le merveilleux  sourire à l’annonce de ma venue mais aussi, le terrible déchirement de mon départ. Avec elle, j’avais pu vérifier combien l’amour ce sentiment qu’on ne voudrait que magnifique peut, parfois, nous rendre misérable. Cela restera un abyssal mystère.
Toute notre histoire tenait là, dans le poing fermé de ces mots simples. Un mesclun de doux et de griffes, un mélange de bonheurs profond et de peines absolues, un méli mélo d’encore et de ça suffit…
Quand l’eau avait bouillonné, elle avait servi un thé brûlant et j’avais même consenti à une tasse de cette boisson de fille, c’est dire dans quel état j’étais… Sans en ajouter, je crois bien en avoir bu deux.
Dehors, le vent faiblissait, épuisé de sa colère, la journée était, comme lui, en train de mourir. Une, déjà.
Il y a des journées, comme ça, où, à part le temps, rien ne se passe et pourtant tout arrive. Pour longtemps, très longtemps puisque j’en parle encore aujourd’hui.
Dans la pièce, maintenant chauffée par un feu de ceps de vigne, Philippe Lafontaine en avait fini de sa ballade et venait de murmurer : " Sur son ventre là, je reste là où elle est… " 
C’était sans doute ma place, à moi aussi sur son ventre là où elle est…
Mais voilà, je n'allais pas tarder à fermer mon sac.
Je le savais... Et elle aussi.




Ballade.

Y a que quand le soleil se couche
Que le gris de ses yeux s'irise
Il suffit qu'un rayon la touche
Pour qu'elle rougisse

Y a que quand le vent souffle au large
Sur l'océan de sa peau salée
Que mes mains s'attardent
Que mon corps débarque
Dans ses baies

Y a que quand le dais des nuits s'entrouvre
Que je sens ses doigts qui m'épellent
Suffit qu'un baiser la découvre
Pour qu'elle se réveille
Quand son dos sous le duvet s'embrase
Me laissant cendres de la tête aux pieds
Que mon corps s'acharne
Lui tire des larmes
Sans regret

L'assaillant de mes villes défaites
S'est vu près d'elle en ange déchu
Mais maudit soit le temps des tempêtes
Ses armes secrètes
Moi je l'aime sans dessous dessus
Même quand ses démons de femme me défient

Y a que quand le sud-est habille l'aube
Que ses tentations la dévoilent
Il suffit d'allonger l'épaule
Pour qu'elle s'étale

Echappée des flux et des cadences
Au paradis des Dante et Sade idées
Mon corps se déforme
Les saints s'endorment
Fatigués

Quand j'entends résonner les matines
Souffrant des péchés qu'elle avoue
Suffit que la marée s'anime
Pour qu'elle s'échoue
Sur les plaies du désir qui s'échappe
Ou sur le grain d'épiderme à rosée

Sur son ventre las
Je reste là
Où elle est...

Philippe Lafontaine.

4 commentaires:

Veronique a dit…

Une autre "ballade des gens heureux" mais en mieux bien sûr ! Dommage qu'à la fin, ne le soient plus ... Heureux !
J'aurais bien aimé, pour une fois, qu' ils partent ensemble, main dans la main, pour toujours ! Genre conte de fée vous voyez .
Elle est tristounette votre histoire . Oui, je sais, je sais .... C'est la vie qu'est tristounette !
Promettez moi d'en écrire une qui finit bien.....un jour !

chri a dit…

@Véronique:
Bon d'accord, alors juste pour vous, alors, en voilà une:

Elle mangeait du boeuf, il était végétarien. Ils se rencontrirent un beau jour de Mai. Ils étaient venus, pas pour les mêmes raisons protester contre l'ouverture d'une boucherie chevaline. Dans la foule bruyante, ils s'aperçurent, se regardirent et tombirent raides amoureux l'un de l'autre. Ils jurirent de ne plus jamais manger que de la joue de lotte. Ils eurent deux enfants ou bien cinq et vivèrent heureux jusqu'à la dernière arête de leurs jours...

Et hop...

Veronique a dit…

Trop bien Chriscot ... Un vrai conte de fée en effet, je ferme les yeux et j'y suis, J'ai tout compris et puis l'avantage c'est qu' elle est courte ! Vous voyez, quand vous voulez !

chri a dit…

@Je me demandais si elle allait vous plaire, je suis content que... oui!

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