08 avril 2011

Mais, Madame la Juge...

Bon, Madame La Juge, je vais, si vous me le permettez vous raconter comment les choses se sont réellement passées...
Oui comment je pense, moi qu'elles se sont déroulées, si vous voulez. Oui d'accord, ma vérité, puisque vous la voulez...
Non, je ne connais pas personnellement cette jeune fille, non, je ne l'ai jamais rencontrée, ni de près ni de loin, ni d'avant et pour après cela semble mal barré si vous voulez mon avis. Oui, bien sûr, vous vous en moquez complètement, non, vous n'êtes pas là pour ça, et moi non plus. Bien d'accord, alors les faits:
Voilà, je passais dans la rue, comme un gars qui marche, comme un passant qui passe quoi... Sans but précis si vous... Oui, vous souhaitez que j'aille à l'essentiel, on n'a pas la nuit devant nous? Je le sais bien, mais, Madame La juge, avec le respect que je vous dois, il faut bien que quelqu'un soit un peu précis, ici, sinon on ne va rien y comprendre. Et puis à dire vrai ça m'aide à tenir le fil... D'accord avec vous Madame La juge, précis ne veut pas dire délayé. C'est ce que je me dis souvent devant certains livres, Madame La Juge ou certaines réponses d'hommes politiques, si vous voyez à qui je pense. Oui, évidemment, nous ne sommes pas là pour parler ni de littérature ni de politique. Vous avez raison, je m'égare, je m'égare, mon côté Nord, ça... éGare du Nord... Heu je dis ça uniquement pour détendre un peu l'atmosphère parce que je sens bien que tout le monde est aux taquets ici, il y a des boules dans l'air, on les sent à pleine peau, c'est fou ce que c'est tendu, l'air est comme une corde d'arbalète... Je le sais bien que ce n'est pas très fin, Madame La Juge, ne pensez pas que je suis dupe, surtout, ne croyez pas ça...
Bon alors j'en étais où, moi? Oui, je marchais en regardant bien devant moi et c'est là que je l'ai vue. Elle s'avançait vers moi dans la douce lumière de ce matin de printemps, sa robe légère accompagnait l'élégant mouvement de ses bras, ses jambes, oh ses jambes, ses jambes et ses chevilles vous auriez vu ces deux merveilles... Si vous aviez vu ça, Madame La Juge... Heu oui pardonnez, je m'emporte, je m'emporte vous avez bien raison de me ramener ici et maintenant.
Comment ce que j'ai fait à cet instant là? Mais j'ai regardé Madame La Juge, j'ai regardé cette beauté miraculeuse qui s'avançait vers moi dans la tendre lumière de ce matin d'avril... Et ensuite, ensuite Madame La Juge, je suis tombé raide amoureux... Comment on ne tombe pas amoureux d'une image? Vous peut-être que ça ne vous arrive jamais, moi c'est tous les jours et plusieurs fois par jour, Madame La Juge. Je tombe, je tombe et retombe à chaque occasion, une natte, le geste d'une main, un plissé de jupe, le port d'une chaussure, le noeud d'une écharpe, la longueur d'un cou, une ride, un sourire, la lumière d'un oeil, un maquillage, une main, les deux, avec le bras, une jambe entre aperçue, l'élégance d'une démarche, la manière de porter une veste, la chute d'un jean sur une cheville, toutes ces merveilleuses beautés me transpercent, Madame La Juge, mais je vous le jure solennellement, ici devant tout le monde, je n'ai rien manifesté d'ostensible. Je n'ai certainement pas sifflé, je n'ai rien dit... Quand elle est arrivée à ma hauteur, j'ai baissé la tête, et le regard pour ne pas devenir aveugle, j'ai juste pensé: Mon Dieu que cette femme est belle et j'ai souri, béat, ébloui, séduit, emporté...


Ah ça oui, Madame La Juge, ça pour lui sourire, je lui ai souri. Qu'eussiez vous préféré, Madame La Juge? Que je ne la regardasse point?
La vache! La seconde après avoir prononcé cette phrase un grondement est monté en s'amplifiant des fondations du tribunal, les murs se sont mis à vibrer, les plafonds à se fendre en fissures béantes... A la stupeur générale, des plaques de stuc en dégringolaient en stock. Tout ce joli monde s'est alors mis à courir et nous nous sommes retrouvés hagards, sidérés, perdus, hébétés LA Cour et moi dans les jardins du palais de justice...


Tout cet immense bazar pour un petit sourire de rien, n'était ce pas très exagéré?



8 commentaires:

Christine a dit…

Je reste très méfiante à l'égard de la Justice et en particulier des juges qui ont défrayé la chronique ces dernières années dans des affaires sordides qu'ils avaient su "monter". Il n'y a guère que les juges dans D'autres vies que la mienne d'Emmanuel Carrère qui trouvent grâce à mes yeux: eux, comme d'autres qui travaillent dans d'humbles tribunaux d'instance (la petite , celle des petits et des sans-grade)et qui réussissent parfois à faire trembler les murs de tribunaux et les puissants qui croient agir en toute impunité sur les dos des faibles.

Si j'avais été la Juge de cette histoire , sûr que j'aurais condamné ton narrateur à regarder les filles à perpétuité !

chri a dit…

@Christine Merci, Madame... La Juge!
Tout ça c'est surtout écrit pour... sourire

Tilia a dit…

Et tout ce tremblement du palais de justice à quoi était-il dû ?

Un séisme ?...

Ou bien est-ce l'intrusion d'un trente-huit tonnes dont le chauffeur a quitté la route des yeux parce que son regard a été vampirisé par une beauté diaboliquement bien roulée ;-)

chri a dit…

@Tilia Ne dit-on pas une affaire, un procès et tout le tremblement?

Lautreje a dit…

un délice ce sourire, il rebondit sur mon visage !!

Nathalie H.D. a dit…

Combien sur l'échelle de Richter? Le sourire amoureux déclenche-t-il aussi des tsunamis ? Sans nul doute !
Dommage qu'un bout de plafond ne soit pas tombé sur cette acariâtre jugesse...

véronique a dit…

ah le printemps Chriscot, le printemps ! ou tout semble "aimable" !
j'aime beaucoup les détails qui font chavirer votre héros " les rides, la petite lumière dans l'oeil, une main, les deux avec le bras... (surtout le gauche !) "

çà ravigote et donne envie de porter des jupes légères, juste pour le plaisir !

chri a dit…

@Véronique, Portez, portez quelque part, quelqu'un regarde!
Et apprécie!

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