20 mai 2013

Comanchothérapy.


Elle a laissé ses doigts trainer dans les miens comme un bouquet mou de gnocchis mous. J’ai détesté.
Moi qui n’aime que les poignées de mains toniques, celles qui serrent un peu les doigts, qui prennent la mesure de la paume mais qui ne s’attardent pas. Celles qui sont franches, droites, directes sans effusion mais avec tenue…
Là, je ne pouvais qu’être déçu. Une bande de phalanges indistinctes, sans réelle volonté, sans température, posée dans ma paume au milieu sans fermeté, ni variation de fermeté. Un truc qu’on vous mettrait entre les doigts et à toi de jouer, débrouille-toi mon garçon ce n’est plus mon affaire, je te les laisse, fais en ce que tu veux, ils ne m'importent plus… Brrr… Un vrai dégoût.
J’avais eu son adresse par je ne sais plus qui. On m’avait dit d’y aller en désespoir de cause. Dans le coin c’est elle qu’on appelait quand on avait tout essayé et quand tout avait échoué. Là où j’en étais…
Ça commençait mal entre elle et moi. Et pourtant attifée autrement elle aurait pu être si jolie. Bien sûr, il aurait fallu qu’elle sourit un peu, juste un petit sourire de rien mais ça elle avait dû s’absenter lors de la distribution. La petite plume de pie noire et blanche plantée dans sa natte et ses mocassins en peau sur des socquettes de tennis  blanches c'était juste impossible...
Elle tirait une tête fermée comme une porte de centrale. J’ai mis ça avec bienveillance sur sa concentration… Elle portait des boucles d’oreilles grandes et colorées comme des lustres de Murano qui tintaient à tout instant quand elle tournait la tête.
Elle m’a fait asseoir devant un bureau, enfin une planche posée sur deux tréteaux branlants.
Elle a allumé une boule d’herbes sèches et dès que la fumée est montée une horde de moufettes malades est entrée dans la pièce et s’est mise à nous tourner autour. Je m’en suis bouché les narines mentalement un peu comme quand on change un bébé qui n’est pas le sien. Un haut le cœur m’est venu comme un tsunami thaï. Heureusement j’ai réussi à contenir tout ça sinon les dégâts pour son cabinet auraient été considérables.
C'est un sorcier d'une tribu comanche qui mes les envoie elle a dit. La vache ça déménage, j'ai fait. C'est du costaud, j'ai dit en toussant. Un mélange thym-lait caillé, c'est vous dire.
C'est pour purifier l'atmosphère... Ça, pour être purifié elle allait être purifiée l'atmosphère... Une autre boulette et il n'y aurait plus rien de vivant par ici... Entre gazer et purifier la frontière était mince... 
Elle a sorti un bic rongé d’un sac grand comme une yourte, jeté là à ses pieds, elle a déchiré un bout de feuille blanche et j’ai eu droit à un interrogatoire en règle qui m’a fait remonter dans le temps. Pour aller loin, on est allé loin elle et moi puisque je suis allé jusqu’avant ma naissance. Le protocole était simple, et infaillible. Elle posait des questions d’une voix monocorde et ne manifestait absolument aucune émotion lors des réponses. J’avais tout juste droit à de fermes recadrages quand la mémoire me faisait défaut :
___ Faites un effort souvenez-vous. C’est vous qui avez mal au dos, pas moi.
Alors, je lui ai raconté cette aiguille rouillée ramassée sur un parquet cassée en deux dans le genou droit, cet accident de solex sur un chemin entre les serres, cette fracture du tibia au ski, ce type reçu sur la nuque dans une piscine, cette chute contre un mur après un saut sur un trampoline et quelques autres. Elle a seulement dit : je vois.
Pendant ce temps là, elle passait ses mains au dessus de mes lombaires mais SANS me toucher. Et ma parole, mais elle psalmodie? Elle chantonnait dans sa barbe, façon de parler, à voix basse et grave un truc que j'ai vaguement reconnu, une vieille mélopée cheyenne, comanche ou apache, une de celles que je marmonnais à l'oreille de mes enfants quand ils étaient bébés et qu'ils avaient du mal à s'endormir. Un truc que j'inventais sur le tas mais qui marchait du feu de Dieu... Je ne me faisais pas d'illusion non plus, ils devaient préférer sombrer plutôt que d'entendre ça plus longtemps! On pouvait entendre, le dimanche au marché une de ces tribus en chanter encore. Une semaine ils étaient la fine fleur du Machu Pichu, El condor pasa, la flutte de Pan, la semaine d'après Tribu Hopi qui tient sa flute comme un cheese burger, coiffe de plumes de faisans et calumet de la paix...
Là, une vague chaleur m’a ceinturé les reins et je me suis endormi. La Sioux en muranii m’a réveillé et après un bon moment m’a dit :
___ Voilà, j’ai fini. A vous de jouer, maintenant. Rhabillez vous. Normalement nous ne devrions pas nous revoir, sauf accident et si bien sûr vous avez mal ailleurs.
Je me suis rhabillé, je n’ai pas demandé combien je lui devais, nous en avions parlé au téléphone avant ma venue.
Quand elle a attrapé les deux billets de cinquante que je venais de sortit du distribanque, pas de carte, pas de chèque avait-elle ordonné, ses doigts se sont animés comme des poissons agressifs, elle les a roulés, les deux, dans ses mains, les a fait craquer sans les regarder et comme elle les a jugés authentiques, elles les a enfouis dans une des vastes poches d’un sarouel douteux qui aurait pu héberger son dromadaire en cas de besoin. Et je suis sorti envahi par une douce chaleur, j’ai fermé la porte, je me suis étiré sur le palier et ma parole, je le jure sur la calvitie du pape, je me suis, sur le trottoir, là, d’un coup redressé. Les douleurs m’avaient abandonné. Je n’avais plus mal nulle part. Je n'avais plus l'échine courbée par la souffrance. Je vivais une sorte de miracle. Un miracle à cent euros quand même... Mais quelle sorte de sorcière était-elle ?

Quel que soit ce qu’elle m'avait fait ou pas, la vérité était que j’étais entré chez elle tordu et que j'en sortais en marchant droit. 
J’ai failli la rappeler pour lui demander combien ça me couterait pour redresser mon âme mais j’ai repensé à sa poignée de main...


8 commentaires:

Tilia a dit…

Molle des phalanges
un tantinet rapace
mais efficace
la thérapeute
:)

L'efficacité persiste, j'espère..

Brigitte a dit…

Sa mollesse manuelle a fait des merveilles dirait-on ?
Alors tu planes toujours ???

chri a dit…

@ Tilia Brigitte Une peuthe de fiction...

M a dit…

J'aime beaucoup cette histoire de Label indien(ne) !
En fait, tu le connais le secret...
Détente, murmures tribaux (pour ne pas dire tripaux, c'est pas joli !), et les bras qui vont bien ! Bon l'option squaw, c'est bien aussi !

chri a dit…

@ M Et en plus, elle serait efficace!

M a dit…

Et pas chère ... Enfin si mais pas comme !

Anonyme a dit…

"un bouquet mou de gnocchis mous"... j'en rigole encore...
Vous avez de beaux fantasmes. Ce serait bien bien parfait si, sans nous toucher, et contre deux billets, quelqu'un pouvait guérir notre âme... Sauf que notre âme, à mon humble avis, nous sommes nous mêmes, nous seuls, aptes à pouvoir la guérir. C'est peut être là le malentendu, nous pensons si souvent qu'un/une autre...
l'amour fait de petits miracles. Des grands si grands, peu souvent. Mais quand, si... ça fonctionne, alors on a moins mal au dos ;)
Lou

chri a dit…

@ Lou: Vrai que pour "redresser" l'âme, c'est long, cher et difficile mais possible. Un peu.
Alors, on a, moins souvent, mal au dos! Mais il revient, il revient!

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