16 juin 2009

Elle change d’il…

On est arrivé sur le pont au meilleur moment du jour: le soir.

On avait roulé toute la journée sans que ça nous pèse parce qu'on avait tout fait pour alléger le trajet. C'est à dire qu'on s'était peloté gentiment une bonne partie du temps. J'avais même, réussi, record écrabouillé, à aligner cent bornes en ne tenant le volant que de la main gauche. Bien qu'elle ait peur en voiture, elle ne m'avait pas une seule fois, incité à la prudence... Au milieu du parcours, elle avait même fait valser sa jupe et tout le reste sur la banquette arrière. " J'avais chaud…" fut sa seule explication. J’y ai cru, bien volontiers, comme j’avais cru, le matin, à son envie subite de voir l’île au soir couchant.

Le soleil nous saluait comme on le méritait, il commençait à mordre la tranche Ouest de l'île et en éloignait, pour un temps, tous les malheurs du monde. Bien sûr, nous avions ouvert les quatre vitres de la voiture pour nous enivrer de l'air d'ici. Il n'y avait que nous de vivants sur cette promesse d'île. Seuls, au-dessus de nos têtes, quelques goélands nous accueillaient en planant. Le vent lui même semblait nous sourire. Des odeurs solides d'iode et d'océan nous frappaient les narines à pleins joncs. En deux temps trois mouvements, nous fûmes comme deux nourrissons repus, déposés au creux d'un couffin de bonheur.

J'ai arrêté la voiture en plein milieu du Pont, j'ai coupé le moteur pour ne plus déranger le vacarme du courant de la marée montante qui se brisait en écumes folles sur les piles du pont et je suis sorti. J'avais les jambes molles et un sourire de benêt joyeux accroché aux deux oreilles. Je n'aurais pas pu aligner trois mots, s'il avait fallu. Heureusement, il n'y avait pas grand chose à dire. Qu'à être là, regarder et apprécier. Et, si le regard portait loin, le monde s'était réduit à ce qu'on en voyait. Tu es restée dans la voiture.

Plein Ouest, des tranches de rubis, comme un mille-feuille céleste, alternaient avec le sombre d'allongés nuages, un vol en V d'oiseaux migrant les soulignant. Le rouge tremblotant du couchant avait presque disparu dans du bleu noir quand nous sommes remontés dans la bagnole. A la jonction du ciel et de l'eau, on a vu des tranches oblongues enrougies. Au-dessous de nous, une cavalerie d'écume chargeait à qui mieux mieux comme pour dégommer les piles du pont. Au loin, des barques plates s'en revenaient des parcs en pout pout pout poutan. Derrière, à l'est, le noir, avait déjà avalé le continent.

Même si c'était faux, nous nous sommes sentis meilleurs d'avoir assisté au spectacle. Nous avons repris route pour filer droit vers une gargote, posée au bord d'un étroit chenal, parfumé à la marée, qui se remplissait comme une baignoire. Nous nous sommes refait une santé devant une douzaine d'huîtres, chacun, une bouteille de blanc sec... chacun et quelques tranches de pain salement beurrées. On s'en est mis jusque là, comme on dit vulgairement mais sans finir la troisième bouteille.

Je n'étais plus venu dans le coin depuis quelques années et tout y était comme je l'avais laissé. Un simple soupir étendu à un trop long silence. Mais c'était revenu tout simplement, avec du plaisir. Intense, le plaisir. Intense et banal. Celui qu'on peut éprouver quand on retrouve en boule, roulé dans le fond d'une armoire un pull qu'on aimait bien. Je retrouvais ses lumières, son air, ses odeurs, ses douceurs, ses horizontales, ses basses maisons aux bleus volets écaillés, ses tuiles plates, ses humaines dimensions. Ici, l'homme était chez l'homme et donc moi... chez moi. On a roulé encore un peu entre les salants jusqu'à la maison. Et on a dormi, enfin pas de suite, le trajet avait laissé quelques envies que n'a pas altéré la bombance. Elle était heureuse de m'avoir amené jusqu'ici. C'est elle qui avait voulu qu'on vienne sur un coup de tête. Je donnai raison à son bonheur.

Au matin suivant, nous déjeunions sur la terrasse comme des lézards au sanatorium. Devant nous l'horizon s'étirait en langueurs. Après avoir tartiné deux ou trois ficelles fraîches, vidé une bassine de thé, elle s'est levée sans rien dire, elle s'est exilée dans la salle de bains, elle y est restée une belle demi-heure. Elle en est sortie pimpante, très gaie, toute en fille. J'aurais du sentir quelque chose de bizarre, mais je n'ai rien vu venir. Elle a rangé le peu d'affaires qu'elle avait sorti de son sac. J'étais resté assis à la table pendant qu'elle s'agitait autour de moi comme une abeille dérangée. En regardant virevolter sa robe, j'avais une idée très précise de la façon d'occuper la fin de la matinée...

Elle s'est plantée devant moi, et d'un trait, elle m'a sorti sans sourire:

___ Finalement la mer, l'océan, tout ça me déprime, en partant maintenant, on peut y être ce soir... On bouge ? Si on filait à Londres, faire des courses? J’ai eu peur de penser qu’elle pouvait changer d’il comme de chemise… J'ai souri un peu niaisement, je me fichais de tout, je serais allé acheter du riz si elle avait dit: "On part en Chine!".

Et puis, on n'a pas roulé bien bien longtemps, on a passé la journée à la campagne… allongés dans un champ de luzerne...

Pont D'Oleron

Publié chez Les impromptus littéraires sur le thème En Angleterre...

4 commentaires:

car¤le a dit…

belle photo !!pas le temps de tout lire en revanche desolee ! e belle musique !

Anonyme a dit…

J'aime infiniment et particulièrement ce texte
C'est beau l'amour.... mais il ne suffit pas d'aimer pour ne pas avoir envie de "changer d'il"ou "d'elle".... encore faut-il qu'il ou elle vous propose une "bonne"relation...

Vos musiques sont ... FORMIDABLES !!!

Bien à vous Chriscot

coquelicot

chri a dit…

Merci, merci, Coq!

Anonyme a dit…

La photo, oui. Mais les images de ce texte ... bien plus belles encore.
Slev

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