Elle venait de me tourner le dos. Définitivement.
Je l’ai regardée s’éloigner un peu dans la froideur du soir. Elle, sa valise dans une main, sa cage à chat, garnie dans l’autre et des larmes dans chacun de ses deux yeux. Je ne les voyais pas, mais je savais qu'elles coulaient... Que nous nous soyons quittés d'un commun désaccord ne nous rendait pas les choses moins difficiles. Voilà dix jours, nous avions décidé de mettre un terme à deux ans de vie commune et ça n'arrivait pas encore à nous faire sourire. Ni l’un, ni l’autre, nous ne trouvions ça “amusant”. Une triste affaire, même. Mais comme toutes les fins de quelque chose non? On ne devrait vivre que des commencements…
Elle repartait en province, vers cette ville qui était restée “chez elle”, par l’avion du soir. Elle n’avait pas souhaité que je l’accompagne jusqu’à l’embarquement : "Puisque je ne le suis plus, ta compagne, pas question que tu m'accompagnes..." avait elle justifié dans un sourire embué. Mais j’avais eu droit à l’aéroport. Ce n’était pas Orly et nous n’étions pas dimanche... Je ne me souviens plus si nous nous étions embrassés mais je n’ai pas le souvenir d’une de ses lèvres sur mes joues, comme si j’avais déjà tourné la page. J’ai regardé encore une fois sa silhouette s’avancer vers les lumières du Terminal F... F comme fin. Jamais un endroit n’avait été aussi bien choisi pour une séparation. On aurait souhaité le faire, on ne s'y serait pas pris autrement. Ça, nous allions le réussir. Je la regardais et la trouvais toujours magnifiquement belle de dos, du reste la première fois que je l’avais vue, c’était ainsi. Nous étions dans la même queue d’un cinéma. Elle y était seule. Nous allions voir le même film mais nous ne le savions pas encore. Je me souviens, c’était un dimanche, la séance de onze heures au MK2 Grande Bibliothèque. C’est elle qui m’avait adressé la parole la première. Elle m’avait lancé : "Mais vous ne pouvez pas faire attention ? Vous m’avez fait mal!" quand je lui avais marché sur le talon en avançant… Ça ne c'était pas bien engagé entre nous. Mon "je suis désolé" l’avait laissée de marbre. A l’intérieur, j’avais pensé gentiment : "Sois pas conne, aussi, Trompette, avance, quand la queue avance… " mais je n’avais rien dit, évidemment. Puis, nous nous étions installés côte à côte et son sourire en disant "Décidément, vous m’en voulez !" lorsque je m’étais assis sur sa veste, avait dégelé notre rencontre. Nous avions passé le reste du dimanche devant des verres, dans ce magnifique restaurant, à côté des salles, tout en verrières donnant sur la Seine et la nouvelle passerelle, belle comme une envolée, à parler de nous, comme nous allions bien, du monde comme il allait mal, de la vie de couple, comme c’est impossible et pourtant ils sont légions à tenter le coup, les inconscients!
Quinze jours après elle emménageait chez moi. Pour, deux ans plus tard, en arriver là où nous en étions. C'était bien la peine de faire tout ce foin. Désormais, il nous fallait être adulte et voir la vérité en face. Le couple que nous avions, un temps formé, avait épuisé tout son carburant. Il y a bien longtemps que nous avions basculé sur la réserve et nous étions, désormais arides et secs. Nous ne nous entendions plus, nous n’y arrivions plus, nous démontrions ainsi avec brio, si je puis dire, l’impossible. Mais nous trouvions quand même la force de nous amuser à constater combien il était si profondément injuste que tout ce qui peut nous séduire chez quelqu’un est exactement ce qu’on finit par détester et lui reprocher quelques années plus tard… Quand elle a été happée par la porte automatique, j’ai attendu qu’elle ne se retourne pas pour monter dans ma voiture. Une marche arrière brusque et j’ai touché le pare-buffle du gros 4x4 noir brillant, japonais, garé derrière moi. Un type énorme en est sorti, Obélix en gros, dans une colère de la même couleur que sa bagnole. Je suis sorti aussi. Je ne faisais vraiment pas le poids. Il m'a un peu insulté, pour la forme. Je lui ai conseillé de garder son calme, s'il vous plait... Pourvu qu'il lui plaise... "Vous faites chier, je suis pas énervé, je suis pas énervé, c’est une colère saine, ma bagnole, vous avez touché à ma bagnole !" gueulait-il en s'approchant de moi. Encore un qui fait politique et pas écologie, j’ai pensé dans un sourire léger en lui tournant le dos. Il était à deux poings de m'en coller une et, vu la taille de ses mains, un poil en dessous du jambon de Bayonne, c'en eût été une belle. Malheureusement pour lui, à cet instant précis, j'avais besoin d'autre chose que d'une bagarre. Et puis, je ne suis pas dingue. Quand les forces en présence sont dans un tel déséquilibre... Je lève le camp.
Alors, coupant là la conversation, refusant le débat participatif et musclé, auquel il semblait vouloir rudement me convier, désertant le champ de bataille, si vous voulez, après avoir murmuré des excuses aussi sincères qu’intéressées, je suis remonté dans ma voiture la tête basse, la mâchoire intacte mais… le cœur toujours en guenilles.
Alors, coupant là la conversation, refusant le débat participatif et musclé, auquel il semblait vouloir rudement me convier, désertant le champ de bataille, si vous voulez, après avoir murmuré des excuses aussi sincères qu’intéressées, je suis remonté dans ma voiture la tête basse, la mâchoire intacte mais… le cœur toujours en guenilles.
Et je me suis enfoncé dans la banlieue grise, voilée, maintenant, par un crachin presque plus humide qu'Anglais. Comme souvent, le Ciel était entré dans la partie. Du poste, la voix mielleuse de Joe Dassin chantait « Salut les amoureux ».
Joe chéri, sois gentil, ferme la, tu veux? J'ai tourné le bouton du poste et je me suis essuyé les yeux.
Ce n'est pas dehors mais à l'intérieur de la bagnole que ça mouillait.
17 commentaires:
encore une histoire pas gaie Chriscot ... j'ai souri, quand même, ici et là et puis à la fin, mais çà ne suffit pas à remonter un moral çà !
c'est quand le joli conte de Noël ? ne me dites pas que c'était aujourd'hui ! ! !
@Nan, nan Véronique, le conte de Noël s'il y en a un, ce sera pour... Noël!
mais vous savez comme moi qu'on fête Noël vachement plus tôt chaque année !
et puis vous avez promis ! j'y crois pas là ...
@Véronique: N'essayez pas d'embrouiller l'histoire et pas de caprice! Ce sera vers Noël, point!
J'aime la photo de papi et mamie, bras dessus, bras dessous. Après une telle histoire, c'est le baume anti douleur !
@L'autre je: Bien vu! Histoire de dire qu'on est pas entièrement perdus!
Les histoires d'amour finissent mal en général ! (en musique s'il vous plaît !)
Quant aux anciens pour lesquels j'éprouve toujours une émotion très vive quand je les vois main dans la main, ou bras dessus, bras dessous, c'est un mystère pour les générations qui suivent, un beau mystère mais un mystère quand même ! Serions-nous pas devenus dans cette époque du zapping, un tantinet exigeant ? Pour sur, il vaut mieux être seul que mal accompagné, le but n'étant pas d'être en couple absolument, mais il a forcément des disfonctionnements actuellement pour que cela foire autant ! Les couples ensemble depuis fort longtemps en sont à trembler de voir progressivement tous leurs amis divorcer les uns après les autres en s'inquiétant (surement à tort) du leur, tant la tendance s'est inversée ! Un phénomène social inquiétant, ou peut-être pas d'ailleurs, dont j'espère qu'on aura quelques réponses ! Je dis peut-être pas car c'est peut-être nos vieux schémas "de il faut être en couple" qui nous mettent la pression l'air de rien ! Peut-être que de vraies histoires d'amour qui durent longtemps, et bien c'est rare tout simplement et qu'avant aussi les gens restaient ensemble sans forcément s'aimer (mise à part ces vieux couples attendrissants ça va de soi !)D'ailleurs, il y a à parier aussi que beaucoup de couples non divorcés sont ensemble pour d'autres raison que l'amour ! Et puis, il y a aussi la fameuse théorie qui dit que le véritable amour dure 3 ans maximum le reste étant du rabe et surtout de l'attachement mais plus de l'amour avec un A !
Une autre théorie dit aussi que plus on rencontre quelqu'un tard, et plus on a de chance que ça dure !
Dans tous les cas, la vie aussi difficile qu'elle soit est belle pour les moments de bonheur qu'elle nous procure, même si on ne peut pas exiger d'elle d'être généreuse avec nous en permanence ! Malheureusement ! Et puis pour savoir apprécier ces moments là, il faut aussi avoir morflé avant ! Un truc de fous, mais on va tâcher de rester zen, n'est-ce pas ?
Bien à vous.
Et pour le film, le jour de la rencontre, j'hésite entre "La vie est un long fleuve tranquille", "Le patient anglais", ou "Le chat".
Slev
Ah, je la reconnais cette histoire-là ! Vous remasterisez, Chriscot ? Et ces deux-là dans les rues de l'Isle !C'est donc elle et vous ?! Vous bonifiez donc ensemble ! Bravo
V.
@Slev: Ne vivre que le début des commencements! Tiens un titre pas mal!
@V: Je remontre et retravaille, en même temps. Non, ce n'est... ni elle, ni moi.
"Allo SAMU..."
=> pour ça : composer le 15...
@Odile: Désolé je ne comprends pas votre commentaire... C'est un nouveau site de rencontre?
Euh !... je recommence.
Z'aviez écrit : "CA MUE les aloureux"...
J'ai lu l'histoire et, face au désarroi des "aloureux", je leur donnais un tuyau utile en cas de problème grave :
"Allo SAMU..."
(SAMU = Service des Urgentes...)
Composer le 15...
(le 15 = numéro national des Urgences...)
- Allo, Mademoiselle !
...
je voudrais le 15 à Asnières !
...
Non, Mademoiselle... pas le 22 !!
...
je voudrais le 15, Mademoiselle !
...
Oui, Mademoiselle : le SAMU !!!
Euh... Sorry !
Je m'empatouille toujours dans le cochage des libellés d'intervention... :-(
"anonyme" c'est moi !
odile b.
@Odile... J'ai tout bien compris, maintenant...
Pirouette amusante, la photo du charmant vieux couple après ce récit de séparation.
Que sait-on des couples ? Que sait-on des vieux couples ? Attachement, agacement, tendresse, aigreur, soutien, délaissement, rester ou s'en aller, les choses sont rarement simples.
@Nathalie: Bien sur, se méfier toujours des jugements hâtifs, à l'emporte pièce... C'est toujours, toujours beaucoup plus compliqué qu'on croit... Il étaient beaux ces deux là, plein de prévenances...
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