23 décembre 2009

J’y ai repensé, avec plaisir, pas plus tard que l’autre soir, confortablement installé près du feu, en sirotant un joli rhum vieux…

On était venu d’assez loin pour le baptême du “Cher Hasard”. Pour son premier voyage, il devait, en quelques jours, faire le tour de l’île et pousser un peu plus loin vers un archipel voisin. On avait appareillé un bien beau matin neuf de grand beau, on était heureux d’être là, on était cinq. Six avec la puce. Il n'en manquait qu'une, pas la moindre et pas la plus moche... Le premier jour du départ, on avait bien un peu drossé la coque sur les bancs de sable mouvants de la sortie de la rivière salée. On avait pas mal souri à ce signe. On s’était pas mal gaussé, mais en douce, avec bienveillance, sans en ajouter... comme ça méritait, sans injustice... Cette passe, le skipper l‘avait prise des centaines de fois sans jamais accrocher, il en connaissait chaque grain de sable et puis là, pour la première de son propre bateau avec ses amis à bord; touchette, freinage brusque et stop. Tout le manuel des Glénans y était passé pour nous en sortir, jusqu’au bateau des phares et balises qui draguait par là… En tirant le Cher hasard, ils s’étaient gentiment moqués, eux aussi.

Le premier soir, on avait mouillé à l’îlet à Fajou… Un des marins d'eau douce, peut-être, même, celui qui raconte, allez savoir, avait mal noué l'annexe au bateau et les trois garçons s'étaient offert deux bonnes heures de natation (aller) pour la récupérer. Elle était poussée vers le large par les alizées et les courants... Quelques regards noirs trois ti punch et un couchant magnifique auront enterré la bévue. Et la fatigue... Le deuxième soir c’est à l’Îlet Kahouanne qu’on a jeté l’ancre. Puis, on s’est mis à l’eau pour en faire le tour, un masque sur la figure des palmes au pied et un tuba dans la bouche. Ce qu’ils ont vu là c’était juste une merveille. Une plongée dans un aquarium poissonneux… Jusqu'à ces secondes magiques, debout dans l’eau, immobiles, balayés par un immense banc de carangues, nous passant le long du corps en nous frôlant, à en boire des bassines d'eau de mer…

C’est dans l'après midi du troisième jour, après une navigation tranquille, qu’on a jeté l’ancre dans une crique de rêve pour fêter dignement cette mise à l’eau du navire. Au loin, là-bas, la petite ville aux toits de tôles rouge. Deshaies. Un restaurant où quelques années plus tard nous reviendrons mais pour un mariage, cette fois, nous attendait… Ce soir là c’était baptême. On a commencé de boire un peu avant la fin de l’après-midi… On a continué par un apéritif au restaurant où nous nous étions rendus à la rame avec l’annexe, en deux voyages. On avait descendu quelques ti punchs pour le goût après les bières pour la soif. On avait mangé des plats d’ici, on avait parlé et ri pas mal .On avait passé une soirée dont on se souvient encore chacun des dizaines d’années plus tard. Pendant le repas, on avait réglé leur compte à quelques bouteilles tant et si beaucoup que c’est une troupe joyeusement éméchée qui est sortie en vacillant du bonnet du restaurant du village… Le retour au bateau avec l’annexe à rames mouvantes comme une épopée… Et on avait encore rien vu/lu/bu. Vers le milieu de la nuit, on a refait les eux voyages en sens inverse vers le “Cher hasard” qui nous avait placidement attendu sous les étoiles. De retour au bateau, l’un d’entre eux, le père, a préparé une crémate… Une boisson à base de rhum et de café qu’on fait flamber : “Il n’y a plus d’alcool, il a tout brûlé!” disait-il. Tu parles, Charles ! Il en restait assez pour qu’on se mette à danser et chanter sur le pont à chaque rasade et tout y est passé… L’un lisait du Pessoa, l’autre chantait s’accompagnant de sa guitare et tous buvaient encore et encore. Il fait chaud dans les nuits tropicales… Les étoiles en étaient suffoquées… Ah ça, pour avoir été refait, le monde, il a été refait ! Une bonne douzaine de fois et chacune en mieux… Mais on a oublié de prendre des notes… Ah ça on lui a bien gratté le dos du pont au Cher Hasard avec nos rumbas approximatifs et nos mambos fatigués… Vers la fin de la nuit, quand le jour s’est pointé vers l’ouest, dans la douceur tendre de cette tiède nuit assez arrosée... l'équipage épuisé a fini à la baille. Une soirée alcoolisée qui finit à l’eau, un comble! Avant de remonter, se sécher et s’envelopper dans les voiles allongées sur le pont, ils se sont souhaité bonne fin de nuit. Du village, les chants des coqs enzoukés commençaient à leur arriver aux oreilles. Au dessus d'eux, une à une, les étoiles s'éteignaient.

Plus tard, dans son existence, le “Cher hasard” aura le choix terrible de sombrer ou d’arriver… Finalement, il se décidera, porté à bout de bras par Slev, son skipper, pour le port. Et donc la vie. On peut penser en souriant que c’est parce qu’il a été, une douce nuit, dans la baie de Deshaies, baptisé dignement.

Tout attrapé par la chaleur du souvenir, j’en ai repris un autre... Et comme il est décidément vrai qu' un bonheur ne vient jamais seul, j'ai eu, dans l'élan, une pensée pour l'absent.

Ilet Gosier    3

Je vous embrasse ici, devant tout le monde, à deux bras...

13 commentaires:

Lautreje a dit…

Voilà un baptême dignement fêté, une véritable naissance (ou renaissance ?) cette épopée et que de souvenirs tant d'années après...
Joyeux Noël à vous Chri dans la joie, l'amitié, la fête !

Lautreje a dit…

Il faut que je vous dise : J'adore la bande son !

chri a dit…

@L'autre je: Merci! Je vous souhaite de jolies fêtes de Noël à vous zaussi.

Véronique a dit…

c'est pour de vrai Chriscot ?
je lis votre histoire et les images défilent, défilent ... encore un petit court métrage !

merci pour toutes ces échappées belles !
je vous souhaite une année toute pareille : belle

et j'en profite pour faire un signe amical à tous ceux (?) et celles (!) qui passent par chez vous ....

vivement l'année prochaine que je reprenne mes si douces habitudes

chri a dit…

@Véronique: En ces temps de grand frais j'ai pensé qu'un peu de chaud... On a beaucoup moins bu qu'écrit mais c'était encore mieux... La preuve, on en parle encore!

chri a dit…

@Véronique: Et encore, je ne vous raconte pas le retour...

MATHILDE PRIMAVERA a dit…

"C'est le temps de l'amour et de l'aventure..." pour lequel il n'y a pas d'âge et en tout cas ..."on s'en souvient toujours".
L'amour que l'on porte aux autres comme à ses amis, de la mer...la sensation d'aimer la vie, un état d'esprit dans un certain contexte.
Publication précédente également commentée.
Bon dimanche !

chri a dit…

@Mathilde: C'est exactement ça! Merci à vous, Mathilde

Anonyme a dit…

Quelques jours d'absence, j'ouvre l'ordi ... et vlan !
Car en en plus, tu sais quoi ? Hier, la soirée à ... Deshaies, notre table quasi les pieds dans l'eau, face à la baie où dansaient des "Cher Hasard", et je leur raconte, justement, l'échouage, le baptème, la crémate, la nuit profonde et légère, Orion cloué au ciel de nos banettes, et puis tes mots, gravés depuis dans son sillage :
Cher Hasard,
Sous l'oeil de Vénus
Ton roof en utérus,
Cher hasard mon oeil
Des jours comme des mille feuilles
l'un après l'autre posés sur le temps
dans lequel tu te vautres
enfiler mille et un milles,
S'en aller des villes
Le coeur n'est jamais éloigné des côtes
.......

Alors tu penses comme tes deux bras, hier soir, on les avait en guirlandes autour du cou.

Merci,
notre Ami.

chri a dit…

@Slev: Branque comme je suis, j'ai attendu que vous ayez le dos tourné pour la poster... Sinon, vous allez bien, vous? Je vous embrasse.

chri a dit…

@Slev: Le cœur n'est jamais très loin des côtes... C'est pas mal ça...
Un prétexte pour vous embrasser à nouveau? Escroc!

Nathalie H.D. a dit…

Ah ces aventures des îles caraïbes,
ça laisse des souvenirs indélébiles hein ?

Une belle histoire d'amitié et de sel de mer. Merci pour ce savoureux récit...

chri a dit…

@Nathalie Merci... Et c'était encore mieux que raconté, bien sûr!

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