18 décembre 2009

En silence…

La peine et le froid nous glaçaient les sangs. Nos os gelés claquaient des cartilages. Nos muscles prêts à se briser s'étaient durcis sous les morsures du vent. Nous tremblions comme des feuilles. Froissés par la pogne du mistral qui nous pétrissait comme de la pâte à pain. Derrière nous, le village agrippé à la colline, présentait son dos au mistral qui soufflait sa colère sur les tuiles des toits pour les emporter. Les maisons bousculées semblaient se recroqueviller sur elles-mêmes pour mieux s'accrocher au sol. Atteintes elles aussi par le chagrin ?

L’église romane minuscule mais très joliment colorée, presque pimpante, accueillait de ses bras simples les grappes d’amis qui étaient venus de tout le pays pour être là, juste être là. Ils se serraient, en silence, sur le parvis pour avoir moins froid ? Pour atténuer un peu la douleur ? Pour se prémunir de la détresse ? Ou alors juste pour se serrer autre chose que le cœur ?

Elle était palpable, la peine, elle nous enveloppait comme du goudron liquide. On la sentait qui grandissait à mesure qu’elle était partagée. Il faut dire que celui pour lequel on était venu était un bon homme. Il avait été fauché voilà plusieurs années, déjà, et, à dire vrai, il n’en était pas vraiment revenu. Enfin pas tout à fait, pas entièrement. Il s’était pourtant battu comme un beau diable, comme il savait faire, comme il avait toujours fait.

Dans sa vie de sportif de haut niveau, dans son sport de combat, dans ce sport de duel, dans cette escrime qu’il avait aimée comme la plupart de ceux qui étaient là, la famille, enfin une branche de la famille… Puis, il avait dû se résigner. Il ne redeviendrait pas celui qu’il avait été. Jamais plus. Il ne reviendrait pas parmi les autres. Il ne pourrait plus jamais échanger avec eux comme avant, avec des mots, des phrases, des sourires au bout des phrases. Il ne parlerait plus depuis ces jours terribles où son cerveau avait été blessé… Ses mots s'arrêteraient au dedans, il ne les trouverait plus.

Mais s’était-il résigné, du reste ? Qu’en savait-on ? Avait-il accepté cette tragédie qui l’avait laissé là, étalé, seul, sur le carreau ? Avait-il fait son deuil de sa vie d’avant ? Peut-on le faire ? Peut-on se dire un jour : Je n’y arriverais pas. C’est fini, je ne serai plus jamais celui que j’ai été. Désormais, je serai dépendant. Il faudra qu’on m’habille, me lave, me nourrisse, me couche, me distrait, me déplace, qu’on organise ma vie, qu’on s’occupe de moi, qu’on m’emmène, me laisse, me bouge, me couvre, me découvre, me protège, du froid, du vent, du chaud, des autres… Désormais, je ne peux plus décider seul, pour moi de ce que sera ma vie. Qui peut accepter sans rechigner un tel « désormais » ? Qui faut-il être pour le vivre bien ou le moins mal possible ? Un saint ?

Et puis, il était mort. Et c’est lui qu’on accompagnait cette après midi de décembre dans cette petite église minuscule à flanc de colline, dans ce village. C’est auprès de ceux qui restent qu’on était rassemblé dans le gel mordant de cette journée sinistre.

Un ami avait rendu un secouant hommage mais d’une simplicité magnifique, une amie avait parlé admirablement de lui et surtout d’elle, qui restait. Son fils avait fait pleurer tout le monde avec des mots de fils, des mots d’amour de fils. Intérieurement, on avait enragé en silence sur ce que la vie peut parfois exiger de nous, misérables petits humains, sur ce que parfois elle nous réclame, nous impose, nous ordonne. On avait pesté sur ce que le destin attend de nous, sur les épreuves auxquelles il nous agenouille et auxquelles nous nous soumettons. En silence. Pleurait-on jamais assez sur le sort de ceux qui restent et qui ont devant eux la vie à continuer de vivre avec l'absence suturée au coeur?

Maintenant, il était l’heure de quitter l’église, de le laisser s'en aller, seul, dans le froid glaçant de décembre. Nous étions, sur le parvis, avec nos larmes s'écoulant sur nos joues de gel. On venait de glisser le cercueil dans la voiture qui allait l’emmener, les roues avaient grincé.

ELLE, qui s'était, toutes ces dernières années, battue à ses côtés et parfois, sans doute, contre lui, était debout, serrée dans les bras serrants du fils, le visage ravagé par la douleur. On a fermé le hayon de la voiture comme une guillotine. Les hommes en noir sont montés dans le véhicule qui a démarré. Une sorte de paix est descendue sur la place. Alors, à cet instant précis, la conscience qu’il venait de la quitter pour toujours lui a sauté à la figure. Son visage s’est encore crispé sous les coups répétés de cet immense chagrin, elle en a froncé les yeux. Elle en a pleuré, en silence… Et nous, avec.

Et puis, la vie...

Barque à Pont

A Claude, à Catherine, à Philippe...

13 commentaires:

Lautreje a dit…

................................. ... ... .

yvelinoise a dit…

Vous aussi vous avez reçu un mél à faire suivre pour expliquer à tout le monde comment reconnaître un AVC?
Pour ma part, j'ai recherché des infos plus complètes et je les ai trouvées ici.

Le traitement, c'est bien quand ça réussit. Mais si c'est pour rester infirme à vie, des fois il vaut mieux partir d'un coup. Enfin, tout dépend du degré de handicap.
J'ai une belle-soeur à qui c'est arrivé dans la trentaine. Elle a récupéré son bras grâce à la kiné, mais pas totalement sa jambe. Elle ne peut plus conduire, sauf dans un véhicule adapté. Le plus grave pour elle, c'est la modification importante de son caractère qui a suivi son AVC.
Il y a maintenant plus de vingt ans de ça et depuis elle n'a jamais pu reconnaître complétement les siens. Un accident qui a brisé sa vie, ainsi que celles de son mari et de ses enfants...
Le plus dur ce n'est pas de mourir, c'est de continuer à vivre dans de telles conditions.
Et l'entourage est souvent le plus à plaindre.
Sincères condoléances.

coquelicot a dit…

Tendres pensées Chri... en ce décembre douloureux

chri a dit…

@Coq
Merci... C'est la vie! Cet anniv s'est bien passé?

Anonyme a dit…

Merci pour ces mots, simples, tendres et touchants.
Merci pour ce regard.
Merci pour ta présence.
Merci pour ce partage.

Le vent glaçait, mais quelle chaleur dans les yeux rougis de ses amis.

Philippe...

chri a dit…

@Philippe: Amitié...

MATHILDE PRIMAVERA a dit…

Le fait de ne point vous connaitre vous et vos amis, ne m'empêchera pas de vous envoyer à tous une bien modeste mais douce pensée.

chri a dit…

@Mathilde:Bien reçue...

coquelicot a dit…

Oui mon anniv s'est passé...
Des messages chaleureux depuis la veille ;-) jusqu'au lendemain, le silence bienfaisant de ma génitrice, partage dans l'aprèm avec une amie lointaine (par la distance) dont la petite fille est morte ce même jour il y a un an tout juste ; triste anniversaire et bonne nouvelle ; elle sera une fois de plus grand-mère dans 9 mois, un repas du soir plein de rires d'enfants et d'amitié, champagne et champomy frais à point, une jolie table aux couleurs d'un Noël approchant...
Et moi tour à tour triste et joyeuse ... vivante quoi, avec une infinie nostalgie chevillée au coeur

Hé oui, c'est la Vie Chri...

Bien et, puisque en vacance(s), dimanche doux à vous

PS) au menu de ce soir : "Gratin du Capitaine" (sans fromage ;-}), j'vous en donnerai des nouvelles...

PS bis) "unies" c'est le code et ça c'est "drôle"...

chri a dit…

@Coq: Le moins qu'on puisse dire c'est qu'ELLE sait y faire pour alterner le chaud, le froid, le sucré, l'amer, le doux, le dur, le sombre, le clair, le calme, le courant etc etc etc...
Bon appétit, ce soir... Bravo pour le non fromage!!!

coquelicot a dit…

Et c'est moi aujourd'hui qui, en silence, accompagnerai une amie dans le froid mordant de ce décembre...
Sombre après-midi où les yeux rougis ne consoleront jamais ses enfants...
Juste une présence impuissante... et des souvenirs heureux qui remontent, inutiles...
Pu*tain de crabe

chri a dit…

@Une pensée accompagnante.

coquelicot a dit…

pas de froid mordant
une pluie battante
une tristesse infinie
la douleur des enfants
leurs paroles géantes
et... la Vie, infinie

Merci

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