11 juillet 2010

Doux zan…

Quand j’ai besoin d’en avoir dix, douze, je sais où aller. C’est une pinède à quelques tours de bicyclette de la maison. Oh ce n’est vraiment pas loin, pas  même une petite fatigue, tout juste un début de transpiration.
Je la traverse, je ferme les yeux… Heu… j’y monte, je m’y arrête, je me mets sur le bas côté de l’étroite route, et là, je ferme les yeux… L’été c’est encore plus fort, à cause de la chaleur qui renforce l’odeur, à cause, aussi des cigales et de l’incessant raffut zélé qu’elles font…
Dès qu’ils sont clos, j’ai dix ans, douze, peut-être et je marche, un rouleau de réglisse à la bouche, dans la poussière légère d'un large chemin de terre brune, presque rouge,  parasolé de pins gigantesques, avec, à main droite, l’électrique bleu de la mer.
C'est une petite troupe très équipée, vient à peine de débarquer du bâteau des îles. Nous partions de Juan les pins, mais parfois nous pouvions aussi partir de Cannes. Après une demi heure de traversée, comme des Colomb d'opérette, nous avions accosté à un des quais de Sainte Marguerite ou bien Saint Honorat, je n’ai jamais bien su lequel nous accueillait. Il fallait alors vérifier que personne n’était resté dans la caravelle (en vrai un belle grosse barge plate qui carburait, pout pout pout au  gas-oil, une odeur qui parfois pouvait faire un peu vomir…), que nous étions tous et chacun chargé de juste: Parasols, rabanes, glacières, boules, pour après la sieste, sac de plongée, palmes, masques, tubas, celui pour les oursins… Oui, il était un peu interdit d’en ramasser mais pas pour nous, pas ce jour… Alors, nous nous mettions en route, chargés comme des mules, accompagnés du  seul bazar lancinant des cigales.
La première chose à faire était de trouver la bonne criquette, où s’installer pour la journée entière. Il fallait du plat pour les couvertures, qui étaient épaisses à cause des aiguilles, de l’ombre pour les  anciens, une petite plage si possible pour aller au bain sans trop se blesser les pieds, une allée, pas trop caillouteuse pour les boules d'après les siestes, une présence pas trop proche de voisins prévoyants qui auraient pris le bateau d’avant… Bref, ce choix était une grande affaire  d'adultes, nous, les petits, n'y avions chapitre. Le choix prenait du temps et pouvait parfois tourner vinaigre…
Quand j’ai un peu de temps devant moi, sous ma pinède, je peux aller jusqu’à revoir ma  belle Jeanne de grand mère, dans un mètre d'eau, tout sérieux dehors, concentrée comme un joueur d'échec, sérieuse comme une papesse, avoir les gestes comme il faut de ses bras, mimant de savoir nager, les pieds  touchant bien le fond… Je peux aussi revoir mon Tony de grand-père qui, de cette journée toute entière, n’attendait que l’heure des boules pour enfin revivre, et puis ma douce de Marie d'autre grand mère, nous préparer les pan-bagnats dégoulinant de l'or liquide d'une huile d’olive de chez Roux de Saint Paul et d’amour de nous, et, enfin, mon Henri d'autre grand père, ses espadrilles dans l'eau, son immaculé marcel sur sa ronde bedaine, au bout d'un bras, une canne à pêche, la main levée, ébahi devant une girelle suicidaire…
Quand j’en ai besoin, quand il me faut revoir le petit garçon parmi les pins, en sandales de curé et maillot de bain en crochet qui pendouille, je vais juste me poser sous la pinède, pour avoir dix, douze ans, un rouleau de réglisse en bouche, et revivre quelques secondes le temps béni où les questions ne se posaient pas, celui où il s’agissait  simplement de profiter, ensemble, des minutes qui allaient s'écouler, là, dans le zinzinulement zézéyant des cigales.  Quand j'ai besoin de les voir, de passer un moment avec eux, de penser à eux, de m'en souvenir, de discuter le bout de gras avec, c'est dessous ces pins que je viens.
L'alchimie fonctionne à chaque fois.
A se demander si désormais, depuis qu'ils sont morts, ce n'est pas là qu'ils vivent, quelque part, sous une pinède à deux pas d'ici...

juillet 014

9 commentaires:

Tilia a dit…

Mais bien sûr qu'ils y sont toujours Chri ! je viens de les apercevoir de mes yeux à moi que j'ai.
Par contre n'ai pas bien distingué la girelle, elle doit être un chouïa trop jeune.
En parlant de girelle, ça me fait penser qu'il faudrait que j'aille faire un tour aux girolles. Ce soir c'est la nouvelle lune...

chri a dit…

@Tilia: C'est donc pour ça que j'y passe souvent... parce qu'ils y sont. Pour les saluer, alors.
Girolles, il y en a plein les marchés par ici...

Tilia a dit…

Le rouleau de zan avec sa bille de couleur en sucre au milieu. Toute une époque... douce !

Nathalie H.D. a dit…

Extraordinaire et magnifique évocation. Je m'y suis plongée avec volupté.

Pour moi les odeurs d'enfance sont bretonnes, marines et iodées. Si différentes mais tout aussi puissantes.

chri a dit…

@Nathalie: Merci!!!
J'en ai aussi des bretonnes marines et iodées!

amichel a dit…

à l'ombre des années "en fleur" :
beau texte de nostalgique fidélité ,chriscot!!

chri a dit…

@Amichel L'estomac plus gros que le ventre... mes madeleines sont des... pins!
Merci à vous!

Anonyme a dit…

Comme Nathalie. Tout pareil. Dans les Ardennes belges, zone germanophone, le grès , les rivières à truite; l'ardoise, les près, la centaurée et les oiseaux...Aide à oublier la Sicile. Mais si !
Console du pire.Aussi.Beauté sereine.Marcher du pas de l'homme.
Permet d'attendre l'Odève.permet d'attendre. J'ai perdu ma gomme.
Gaston.

chri a dit…

@Gaston: Et pourtant... Sicile impératrice!

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