17 juillet 2010

La fête d'à côté...

Le vent, qui avait soufflé dès le lever du soleil, nous avait, lui aussi, abandonné.
A deux maisons de là, depuis qu’il avait disparu, depuis qu'en se couchant il avait ensanglanté tout l'Ouest, une fête avait débuté.  Elle battait, maintenant, son plein. Dans la touffeur écrasante de ce soir de Juillet, le volume du son, jusqu’alors raisonnable, avait grimpé de quelques étages, sans doute après la descente des premiers verres et la chute du jour. Le sombre qui s'en vient favorise ça. On parle plus fort dans le noir. Pour habiter sa peur?
D’elle, pas si loin, ne nous parvenait même pas le bruit des vagues tant elles devaient être minuscules.
D’à côté, toutes fenêtres ouvertes, à cause de cet épisode de canicule, on entendait distinctement les éclats de rire, les phrases dans les conversations, la musique joyeuse. On attrapait très nettement les tintements des verres, les exclamations de contentement à l’arrivée des bouteilles. On ne voyait pas les convives mais on pouvait se douter qu’ils n’étaient pas assis, à table, on se disait qu’ils pouvaient être debout autour d’une piscine. On percevait les rires des enfants, les plongeons dans le bleu, l’énervement des deux ou trois chiens, leurs aboiements presque incessants. On entendait tout ça et on en fut d’abord vaguement fâché, puis plutôt agacé et enfin très enrougné. Malgré la chaleur.
On a bien essayé mais on n’a pas encore réussi à lâcher son livre.  A cause du bruit qu’ils faisaient, à cause du vacarme de cette bande en goguette. Le type écrivait: "II faut être comme l'arbre à papillons, prêt à accueillir le bonheur et, tu verras, il viendra sur ton épaule. C'est un jour de grande fatigue, en fermant les yeux que je l'ai vu…" C’était  vers  la fin.  Le titre?  Les dames de nage*...
Qu’est-ce-que c’est que ces gens qui s’amusent, jusqu’à pas d’heure, à deux jardins d’ici? Qu’est-ce-que c’est que ces gens qui, dans l’épaisseur moite ne pensent qu’à plaisanter, parler fort? Vont-ils avoir l’audace d’aller jusqu’à chanter? Ils l’ont eue. Ils se sont mis à reprendre en chœur des chansons de marin avec une disgrâce impensable. Bon Dieu, ce qu’ils chantaient faux! Comme elles étaient massacrées les pauvrettes! Les reconnaître sous les fausses notes était presque un jeu. En voilà qui feraient bien mieux de se taire au lieu d’en rire bêtement. Chorale d’alcooliques!
Et la nuit qui s’avance. Jusqu’où vont-ils aller? Jusqu’au petit matin? Non? Si?  Comme on les trouvait ridicules avec leur bruyante java malgré l’ambiance générale…
On se disait: “Ils n’ont pas eu la nouvelle, ces gens là ou quoi?”
Comme on leur en voulait de leur rieuse et tonitruante bamboula…  
Bernard Giraudeau venait d'être porté perdu et, eux, n'en faisaient qu'à leur fête...
Comme la joie des autres  pèse son wagon d'enclumes quand notre propre humeur se met à vaciller...

Gwad 08 131

* Les  dames de nage. Bernard Giraudeau. Editions Métailié.

9 commentaires:

Tilia a dit…

Fallait faire un contre-feu, passer de la musique à fond la caisse ! z'avez bien le droit de faire la fête tout seul non ?
Et puis la musique (pas les chansons) ça n'empêche pas de lire ;-)

véronique a dit…

vous m'apprenez cette triste, triste nouvelle Chriscot ....
j'aimais cet acteur aux yeux si clairs ..
et comme il le disait " je rentre au port " ....
c'est une bien jolie manière de dire au revoir, de dire adieu

Tilia a dit…

C'est pas pour dire, Chri, mais c'est un peu agaçant cette habitude de modifier vos billets alors qu'un premier commentaire a déjà été posté ;-)

De quoi j'ai l'air moi maintenat en parlant de mettre la musique à tue-tête pour contrer les décibels des voisins fêtards, alors que vous avez ajouté qu'un acteur de talent que j'aimais vient de décéder ?

En plus c'est l'un des seuls acteurs que j'ai eu la chance de voir en chair et en os, un jour qu'il était à la Fnac pour présenter un de ses livres. Suis triste.

chri a dit…

@Tilia Je veux bien vous croire...
Pardonnez. Voulez vous que j'enlève votre premier?

Tilia a dit…

Meuh non, Chri ! laissez, vous êtes tout pardonné (j'allais dire il n'y a pas mort d'homme). Bien si, il y a, malheureusement... Chienne de vie.

chri a dit…

@Tilia: Ouf, je laisse, alors.
Quel regard, il a (vait).

Tilia a dit…

Son regard sur les êtres et les choses, vous voulez dire ? ou ses beaux yeux bleus...
Sa vision du monde était celle d'un humaniste. Je me souviens de son film "Les Caprices d'un fleuve", j'avais beaucoup aimé.

chri a dit…

@Tilia: Les deux, les deux.
Sa vision du monde avait changé complètement avec l'apparition de sa maladie. Une leçon?

emma a dit…

putain de cancer, c'était un homme. Que de beaux textes ici !

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