23 septembre 2011

De la hauteur...

                      J’en avais plus que marre de me vautrer dans les bas fonds. J’en avais soupé de ces éclaboussantes affaires qui nous salissaient tous. J'étais fatigué de la nausée qui me saisissait à chaque fois que j'ouvrais un journal ou entendait les nouvelles du jour...
J’ai donc décidé de m’élever, de monter d’un étage, d’avancer vers le jour. Le noir de la cave ne me convenant plus à l’âme, j’ai décidé de m’aérer la cervelle, de respirer un peu d'air pur. Quoi de mieux pour ça qu’une ballade en montagne ? Je me suis dit. Aussitôt dit, déjà fait. J’ai, dans le coffre de la voiture,  entassé une tente et quelques ustensiles qui vont avec: duvet, bonbonne de gaz, grille, papier hygiénique, cantine, chaussures de marche, imperméable, on ne sait jamais, allume feu, briquet, couteau suisse dix lames, gourde en métal et le livre en cours. La tente était une façon certaine de  ne pas dormir bien mais en sachant pourquoi. C’était, au mieux, inconfortable, engoncé, humide et au  pire, inconfortable, froid et trempé. Ca me changerait de ces insomnies sous couettes douillettes qui me laissaient hagard au petit jour sans comprendre pour quelles raisons elles s’amenaient après une ou deux heures d’un sommeil presque léger. Au moins, je saurais à quoi attribuer les cernes noires, invraisemblables canyons,  l’œil morne et le visage froissé que je croisais le matin quand j’avais le malheur de jeter l’autre dans la glace.
Alors, j’ai pris route. Je connaissais un coin facile d’accès avec un parking à peu près sûr pour la voiture. Une fois garée, on pouvait y monter tranquille, deux heures de marche et on était dans les hauteurs. Deux heures de marche et on avait commencé par laisser pas mal de choses derrière soi...au moins deux ou trois litres de sueur, c’était ça de gagné.  Après une pente un peu raide, après avoir laissé à main droite la cabane du Juge en espérant qu’il soit de paix, on débouchait sur une vallée parcourue d’un trait de lumière qui descendait d’un lac un peu plus haut. Elle était bordée d’une forêt de sapins. De l’eau, une vallée légère, de la mousse douce, du bois mort pour le feu comme s’il en brûlait, c’était là qu’il fallait se poser. J’ai monté la tente en veillant à ne pas m’en prendre à elle. Pudibonde, elle mettait un point d’honneur à ne pas se laisser faire, j’ai vrillé quelques sardines sur des pierres cachées, j’ai cassé net quelques détendeurs en caoutchouc, j’ai déchiré une fermeture éclair, mais je l’ai eue. Le ciel qui s’était assombri tout le long de la montée, le ciel que j’avais béni de ne pas me faire cuire a lâché ses premières gouttes que je n’avais pas encore rentré mon duvet à l’intérieur de l'abri. Bon, le feu chatoyant, ce serait pour un peu plus tard. J’ai fermé tant bien que mal les fermetures encore valides, je me suis mis à croupetons et  pelotonné à l’intérieur. Je me suis coincé un nerf du genre sciatique en enlevant mes chaussures de marche, en me contorsionnant pour ne pas mettre de la boue partout et je me suis allongé sur le dos. Le tapis de sol, à cet instant c’était moi.
C’est à ce moment  que les gouttes sont devenues plus grosses. D’un coup il s’était mis à faire sombre et le premier coup de tonnerre a retenti dans cette vallée perdue. Bêtement, j’ai hésité à allumer ma lampe frontale. Dans le noir alentour, les éclairs éclataient comme des missiles air sol, j’étais terré au cœur plein d’une guerre terrifiante. J’entendais, entre deux effroyables détonations, le grondement sourd du torrent pas loin qui devait commencer à gonfler ses muscles durcis par l’eau dévalant. Le vent s’était brusquement levé tentant d’arracher la tente à chaque bourrasque. Je vérifiais qu'il n'y a qu'un éclair du paradis à l'enfer.  Je n’avais, pour tenter de me sauver que deux solutions soit rester là à attendre que ça passe, soit rester là à attendre de mourir. J’ai choisi de rester là. J’avais peur mais je suis resté. Je ne me félicitais que d’une chose c’était d’être, ici, seul, ainsi, je n’avais que ma propre frousse à dompter. Sous le plein de  l’orage, il vaut mieux attendre et parfois espérer. J’avais voulu prendre de la hauteur et je me retrouvais enfoui au fin fond du noir de moi-même, affrontant mes peurs avec une paire d’allumettes...mouillées... Autant en profiter.
J’ai attrapé mon portable, j'avais devant moi quelques heures d'autonomie et j’ai commencé à écrire pour raconter ce que je vivais... Ma première phrase : S’occuper des affaires des autres évite sans doute de trop se pencher sur les siennes…

Si ça se trouve, alors que la pluie s'affale encore en rafales folles j’y suis encore...





8 commentaires:

Tilia a dit…

C'est exactement ça, Chri ! tant que je suis en train de lire mes blogs amis, je n'ai pas à faire l'effort de préparer mon prochain billet :D

ps : les tentes pop-up d'aujourd'hui, c'est quand même plus pratique et plus léger que les bonnes grosses vieilles toiles d'antan accompagnées de leurs piquets, cordes et tendeurs, non ?..

ps bis : ici, la scie à tiques a tendance à ressortir du placard quand vient l'automne

chri a dit…

@Tilia: Merde... (Pour la sciatique...)

clo a dit…

Quelle bonne idée ce "lavage" de cerveau Mr Chris :)..vous avez réussi a rafraîchir le mien et a l'illuminer de quelques éclairs bienfaisant...et en fin de semaine comme ça , n'ayant pas votre témérité , donc, avant d'aller me rouler en boule sous ma couette ,lire vos lignes c'est presque avoir profité aussi de votre escapade vers les hauteurs.. Mais n'oubliez pas de redescendre..:)
Merci a vous et bon weekend..

chri a dit…

@Clo Merci à vous, Clo. Bonne fin de semaine aussi.

Lautreje a dit…

un vrai séminaire philosophique !
la conclusion est très subtile et un brin humoristique !

chri a dit…

@Lautreje. Un séminaire? Juste une volonté, un besoin, un souhait de bol d'air pur. Ce lui qu'on nous donne à respirer étant vachement nauséabond quand même...

véronique a dit…

vous ne faisiez alors qu'un avec la nature Chriscot ! retour ou presque à l'âge des cavernes ou la loi du plus fort et visiblement le plus fort entre vous et vous, c'était vous !

chri a dit…

@Véronique Pas toujours, heureusement!

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