07 juillet 2013

Pour Claude.


Entre autres, Claude aimait l'opéra et les belles choses. Logique, il avait une belle âme...
Claude était un esthète paisible, un hussard doux, un italien dandy... Claude était un homme de questions plutôt qu'un homme  de réponses. Claude était un homme d'accords plus que de conflits. Claude aimait échanger, partager, écouter, discuter. Ce n'est pas pour rien qu'il avait aimé une activité où l'on fait des phrases même si elles sont d'armes.  Claude était un homme tout en élégances discrètes. Claude Arabo était un bel humain... Comme Gino et Dina. Comme Luciano que Claude aimait

Dina et Gino.

Luciano est mort.
Je sais bien, vous devez vous dire que je fais mon malin, mon intéressant,  que je l’appelle Luciano comme si je le connaissais, comme si nous avions mangé des pâtes ensemble. Hé bien, ne vous en déplaise, Luciano et moi, nous avons mangé des pâtes ensemble.
J’étais ami avec Gino qui habitait dans la même rue, du temps où j'étais presque parisien. Il était peintre comme un italien: En bâtiment, fou d’opéra et de la Youvé... Ma si de la Youvé di Torino… Avant de devenir asthmatique, à force d’avoir respiré des poussières de couleurs et ces saletés de diluants. Quand il s'attaquait à un plafond, Gino se choisissait un opéra, au hasard, enfin presque au hasard, pour lui l’opéra était italien, point. Monteverdi, Rossini, Puccini, Donizetti, le plus grand d’entre les plus grands Verdi et basta… Mozart, Wagner ce n’était déjà plus de l’opéra, à peine de la musique, pour Gino. Il se choisissait, donc, un opéra et il se le chantait, debout sur son échelle, les bras levés, du début à la fin et toutes les voix. Il connaissait par cœur, tous les airs, tous les actes, tous les Everest de chaque. Bien entendu, il aurait aimé être chanteur Gino mais dans le Piémont, au début du siècle dernier, on avait plus de chances de devenir ténor du rouleau que prince de la Scala.
Gino, avait entendu La bohème deux cent dix huit fois, au moins, il n’avait pas grand mérite à la connaître par cœur, en fait. Tellement fou d’opéra que lorsqu'il n'avait plus pu peindre, il était devenu concierge à l'Opéra de Paris un peu comme un fan de rock serait devenu vigile au Zénith. Et quand Luciano chantait à la Scala, Gino appelait son compère à Milan qui posait le combiné devant le haut-parleur qui retransmettait dans la loge le concert du soir… Ainsi Gino entendait Luciano chanter à mille kilomètres de là. Il ne fallait pas avoir à téléphoner à Garnier quand Luciano y chantait…
Luciano, en dehors de la scène avait une vie très peu amusante. Les avions, les Grands Hôtels, un jour ici, un autre là, les ovations, les cohortes d'admirateurs, les interviews, le tourbillon. Quand il descendait à Paris pour quelques jours de représentations, Luciano adorait par-dessus tout venir passer la journée chez Gino. A se côtoyer, ils avaient fini par devenir proches. Ces jours de fête là, Dina préparait les pâtes qui se mangeaient sous la tonnelle et c’était un semblant d'une famille italienne qu’il retrouvait là, simplement.
Comme j’étais ami avec Gino, les soirs où la Youvé jouait, il m’appelait dans l’après-midi et me disait de sa belle voix chantante, elle aussi :
___ Chri cé souar, tou ba lé rrrégarrrdé la youvé ? Lé matchhé dé la coupé d’Eouropé contre ces gros cons dou bayérné, Tou ba lé rrrégarrrdé ? E si tou lé rrrégardé, yé peux vénirrr lé voir avec toua ? Ma, j'apporrrté lé carbouran!!!
Même si je n’avais aucune intention de m'assoir devant ce match, je répondais :
___ Bien sur Gino, venez, j’achète les bières !
Et on pleurait ensemble la qualification des allemands sur les italiens, toujours, souvent. Gino apportait la Grappa pour oublier ça. En vrai, il l'amenait pour fêter la victoire de la Youvé, mais on en filait quand même un sacré coup à la bouteille! Ce que j'aimais par-dessus tout voir avec Dino c'était les matches France-Italie... quand la France gagnait... Là, c'est au champagne que ça se finissait.
Et quand Luciano venait manger les pâtes chez Gino et Dina, évidemment Gino nous invitait. Dina s'y était mise la veille. Elles étaient fraîches, ses pâtes et le lambrusco aussi...
C’est ainsi que, sur le coup du café, certains dimanches après midi, repu d'Italie, j’ai eu le privilège absolu d’entendre Luciano Le Grand, l’Immense, le Merveilleux chanter divinement des airs napolitains sous une tonnelle, dans le jardin d’un pavillon de banlieue parisienne, à en péter les verres vides. Tous nos poils si gentiment couchés d'habitude se dressaient en un garde à vous impeccable, bien raides sur nos avant-bras. Et, ni les merles, ni les piafs du coin, ni les voisins ne venaient se plaindre. Sauf quand il était l'heure de s'en aller. C'était un moment d'une beauté et d'une grâce absolues.
Il fallait voir le bonheur qu'avait cet ogre en taliatelles débordant de sa chaise en osier, un panama sur la tête de nous offrir cet instant là, en s'épongeant le front avec le blanc de la nappe... Chanter, oui mais son bonheur de chanter... comme lui. J'en connais qui auraient donné cher pour être de la partie... Jusqu'au taxi qui venait le chercher, vers la fin de l’après-midi, quand Signore Luciano rentrait à son Grand Hôtel… Il se faisait payer la course en canzione.
Quand Gino est mort, emporté par son asthme, bien avant Luciano, j’ai su que Luciano avait pleuré. Depuis Dina l'a rejoint. 
C’est à Gino et Dina que je pense, aujourd’hui. Ciao belli...
Les gens qu'on aime ne devraient pas avoir le droit de mourir, jamais.


17 commentaires:

Michel Benoit a dit…

Le théâtre des Carmes - André Benedetto...

Belle photo encore.

:D)

chri a dit…

@ Michel Merci Michel! Oui, le plateau vide l'an passé en attendant Caubère et Suarès...

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Malgré la profusion de projecteurs, la lumière paraît venir d'une ouverture par laquelle plonge le soleil.
Comme pour nous guider vers la rémanence d'une présence humaine dont seul le fauteuil nous parle.

Brigitte a dit…

Je suis complètement d'accord les gens que l'on aime ne devraient pas avoir le droit de mourir ,un point c'est tout ...

Anonyme a dit…

Votre dernière phrase est la plus belle de toutes.
Lou
(la tranche de vie des imigrès italiens coule dans mes veines sans rencontrer aucun obstacle... merci)

chri a dit…

@ Brigitte Je suis aussi d'accord.

@Lou La dernière phrase me semble si vraie.

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Il n'y a malheureusement que deux façons pour ne pas voir mourir les gens que l'on aime : se suicider très jeune ou bien n'aimer personne.
Mais si l'on reste en vie et que l'on aime ces gens, on aura la chance de pouvoir les aider quand la mort les approchera.

chri a dit…

@ Michel Oui, oui... Parfois, elle se pointe sans crier gare et emporte tout sur son passage...

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Oui, oui...

M a dit…

Magnifique !

Anonyme a dit…

oui oui. Et non. Certains ont cette délicatesse foudroyante de s'en aller un matin, après avoir bu leur café, un sécateur à la main pour tailler ce rosier trop haut.

A tout prendre, choisissons d'aimer. Le revers est lourd, mais la vie s'en trouve bien plus belle.

(Pardon, immigrés, demain, j'écris moins vite)
Lou

chri a dit…

@ Lou: Mais il y a ceux qui restent...

Tilia a dit…

Un bel hommage à la mémoire d'un sportif, ou plutôt d'un artiste, le sabre faisant partie des arts martiaux je crois (reprenez-moi si je me trompe).
Je découvre son existence alors qu'il vient de disparaître, mais j'en suis tout de même bien attristée.
Sincères condoléances à sa famille et ses amis, vous Chri, au premier chef

chri a dit…

@ Tilia Il pourrait en faire partie mais non c'est un sport de combat.
Merci de vos pensées Tilia.

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Je pense tout d'un coup que c'est dans ce fauteuil que Caubère jouera Le mémento occitan...
:D)

Anonyme a dit…

mah, qu'est ce que tu veux rajouter à ça ?
Marie.

chri a dit…

@ Marie Bah je ne sais pas, moi, c'est toi qui vois!

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