J’aurais pris le temps de vous raconter l’histoire de:
Cette hirondelle qui, vers la fin de Septembre, se sentant vaincue par une irrésistible flemme, n’a pas rangé son transat, a commandé deux cocas grenadine au serveur et encouragée par son audace s’est dit après un temps de réflexion:« Et si je restais là pour une fois, qui s’en apercevrait ? »
De cet homme de quatre vingt ans passés, aux moustaches longues comme un jour de pluie, assis à une terrasse d’un café de Provence, regardant passer les belles en robes d’été se disant à lui-même avec un accent de garrigue gourmande et regretteuse : « Le Bon Dieu c’est un fieffé coquin, le jour où il nous a enlevé le Pouvoir, il aurait pu nous enlever l’envie... »
De cet enfant à qui ses parents ont offert un vélo le jour de ses quinze ans et que, depuis, personne n’a jamais rattrapé...
De ce chien abandonné qui a parcouru mille deux cent kilomètres pour rejoindre ses maîtres alors qu’il lui suffisait de franchir la grille du jardin pour s’en faire d’autres aussi négligents que les premiers...
De ce bellâtre italien, en chasse, à la sortie du Camping des Flots bleus, assis sur le capot d’une voiture basse, sportive et rouge carmin. Les muscles saillants, dorés comme un bronze antique, la tête coiffée d’un chapeau de paille à larges bords, autant pour se protéger du soleil que pour souligner le ténébreux de son regard, vêtu d’un minuscule slip de bain blanc banquise avec sur le renflement du sexe une minuscule tâche d’urine... Foudroyé de ridicule le séducteur, illico presto...
De cet homme qui jouait au loto toutes les semaines et qui jetait systématiquement tous ses bulletins après les avoir validé, dans l’espoir, absolument ridicule, de devenir l’homme qui n’est pas venu retirer ses gains...
De ce bûcheron du Jura qui depuis des années abattait avec une application obstinée des pins de trente cinq mètres de haut tout en sachant qu’ils allaient devenir des allumettes...
De cet homme qui parlait avec un peu de grandiloquence de la femme qu’il aimait. Il disait sincèrement : « Ce qui vient d’elle me grandit »
De cette feuille, unique rescapée d’un automne tardif, encore agrippée au sommet du cerisier du jardin, d’un flamboiement carmin, qui a lutté quatre jours et quatre nuits contre le vent coulis de Novembre. Elle n’a renoncé qu’au matin du cinquième jour. Sa chute a duré un bon demi-siècle et n’a pas fait plus de bruit dans l’univers que la chute d’une feuille morte sur une pelouse gelée...
De cette toute jeune fille profondément triste qui pleurait doucement appuyée contre un mur et ma voix imbécile qui lui dit : « Oh la la ça n’a pas l’air d’aller... Tu as perdu quelque chose ? » Sa réponse comme un poignard afghan, sans lever les yeux de sa peine : « Mon père est mort hier »...
De cet homme qui préférait vivre heureux que malheureux...Il disait non sans logique: "Heureux j’ai peur que ça cesse, malheureux j’ai l’espoir que ça change"...
De cette femme trop morte d’être très passée par-dessus le balcon de son dixième étage. Quelques années auparavant elle avait été championne de tremplin de haut vol... Y aura –t-elle pensé le temps de sa chute ?
De ce condamné à mort parti s’asseoir sur l’électrique chaise un livre à la main. Juste avant que le courant ne l’inonde, sans mot dire, il a simplement corné la page qu’il venait de lire...
De cet homme qui taxait de pur délire le constat de son besoin de puissance. D’avoir, devant lui, proféré ce qui lui semblait une belle insanité, il vous aura sur le champ réduit en bouillie, écrabouillé comme un cafard rampant, aplati comme une crêpe bigouden, éparpillé, molesté, brûlé vif, pendu par les pieds... Adepte du détestable: "Je ne suis pas ...MAIS"...
De cette rivière de lumière aperçue du sommet rond d’une colline d’Aubrac. Elle s’insinuait tortueusement dans le vert du vallon. En s’approchant, on a pu voir une vilaine mousse blanche qui frisait le dessous des rives. Elle prouvait qu’il vaut mieux parfois rester éloigné des choses qu’on a l’imprudence d’admirer...
De ces bonheurs fulgurants et de cette tristesse durable, ce couple infernal, qui fait que l’un ne va pas sans l’autre et vice versa... On peut en effet, aussi connaître un bonheur durable et une douleur fulgurante...
De l’ombre dense de ce tilleul du Sud, de la fraîcheur douce qu’elle apportait, sans jamais en faire état, sans en attendre aucune reconnaissance, sans même espérer qu’on la remarque fût-ce au cœur brûlant d’un jour de canicule.
De ces mots qui font rêver comme choliambe, épigénie, nuncupatif, lécanore, notonecte, obombrer, agiotage, oogone, enclouure, boutargue, opopanax, sessile, tombolo, dauphinelle, organsin, forlane, nécrobie et la joie qu’ils procurent quand on les frappe sous les doigts.
De ces trois primevères, dans un coin du jardin qui, sous la tiédeur suspecte de ces jours de février n’on pas écouté les anciens qui leurs conseillaient de ne pas se montrer, le gel de la lune suivante les a brûlé tout crus.L’expérience des autres ne sert... qu’aux autres.
De tout ce mépris craché en l’air qui éclabousse tout le monde et qui fait comme une tâche de sang frais sur la mousse. Il ne faudra pas trop s’étonner quand ceux qui l’auront envoyé se le recevront dans la figure. On aura beau jeu de pleurer sur quelques vitrines brisées...
De ces musiques d’un autre monde écrites par des hommes d’un autre temps, qui nous tirent encore quelques larmes, ici et maintenant... La même émotion présente devant l’aurochs peint d’une caverne noire.
De cet homme en accord parfait avec tout ce qu’il vivait et même avec ce qu’il subissait. C’était peut-être là le signe d’une sagesse infinie à moins que ce ne soit celui d’une ... sacrée foutue connerie...
De cet ange qui, lors d’un looping hasardeux avait perdu une aile. Il s’était posé en catastrophe dans un champ labouré... Et maintenant, tu fais moins le beau, l’ange!
4 commentaires:
j ai beaucoup aimé Mr Criscot votre prose... humour tendresse imagination...et juste ce qu il faut d amertume...très agréable de se plonger dans ces mots maux...a bientôt ... :)
@Clo: Merci à vous, et pour ce com et pour la musique!
chriscot
De ces vagues que l'étrave écrète quand à la nuit la lune grave s'apprête.
Au loin les grains font sable sur ses rêves, le marin dort du bout des lèvres.
(Ne me demande pas d'où ça sort ; sans doute un coup de ton été).
@Slev: La suite, la suite...
Dites pendant qu'il est chez vous, vous ne voulez pas le garder au moins pour l'été... Rendez le nous en Septembre ou Octobre quand la grippe nous tombera dessus...
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