27 décembre 2009

Mes ptites secondes…

Dans les périodes de disette de Grands Moments:

J'ai appris à vivre, pour ainsi dire, avec l'idée que je ne trouverai jamais la paix ni le bonheur. Mais tant que je sais qu'il y a une chance assez bonne de mettre la main sur l'un ou l'autre de temps en temps, je ferai de mon mieux entre les grands moments. Hunter S. Thompson.

On peut se raccrocher à ces petites secondes qui ne changent rien, au fond mais qui changent tout à l'instant, ces petites secondes pas forcément glorieuses, mais qui peuvent rendre la vie plus douce:

Quand je sors d'un supermarché et que, comme d'habitude j'ai oublié de prendre un sac pour y mettre mes achats, que tout tient dans le berceau de mes bras, dans un équilibre précaire, que tout va s'éparpiller sur le parking et que je réussis en un geste à tout rattraper... Même si je sais bien que dans le temps qui suit, il me faudra, les mains toujours prises, trouver les clés de la voiture enfouies au plus profond d'une poche de mon jean... Et laquelle?

Quand dans un train de nuit, je me réveille dans une gare encore inconnue, que j'écarte lentement le rideau pour ne réveiller personne, juste pour savoir où j'en suis du voyage...

Quand j'ai acheté au petit bonheur la chance une housse de couette, que je l'installe et qu'elle s'adapte exactement pile poil à la couette...

Quand, dans le noir, je tente de glisser, au jugé une clé dans une serrure, que j'ai choisi la bonne et qu'elle y entre, droit sans ni se rebeller, ni tergiverser...

Quand, dans une queue d'hyper, je croise le regard serein d'un nourrisson, bouddha définitif, et qu'il me décroche un sourire à illuminer tous les trous noirs de toutes les galaxies...

Quand, dans un de ces matins de brumes je laisse tomber le tube de dentifrice sur le carrelage de la salle de bains ET que je ne mets pas le pied dessus...

L'éclat de rire de l'auditoire qui suit une blague, une galéjade, une boutade, un mot, une phrase... Quand on réussit à faire rire ou même sourire, l'autre... Ou émouvoir.

Quand par hasard je tombe sur une image où vous êtes tous les deux ensemble, pas trop éloignés, alors, je vous regarde, ébahi...

Quand dans une boulangerie, en tête d'une queue assez longue, j'achète la dernière baguette disponible et que je repasse devant tout le monde, enfant de Doisneau, mon trophée à la main...

L'instant où je me laisse glisser dans des draps propres, suivis de ceux où, après avoir lu, j'éteins la lumière, je remonte la couette et la glisse sous mon menton, oui... là, comme ça...

Quand sur le quai d'une gare, je viens chercher un être attendu, les secondes où le train annoncé s'avance, jusqu'au moment où il s'arrête et que je sais que l'autre est là, encore perdu parmi la foule qui se défroisse des voitures...

Le premier passage d'une lame de rasoir neuve sur une joue qui le mérite...

L'instant suspendu où, après un atterrissage, l'avion dans lequel je suis, roule sur le tarmac, ce moment où je peux, enfin, ne plus être à l'écoute du moindre bruit suspect et qu'il devient alors possible de m'accrocher, au visage, un sourire détendu et niais... comme un répit avant la mort...

Quand après une longue balade en montagne où j'ai pas mal souffert à cause de la raideur de la pente et de toutes ces cigarettes que je n'aurais pas dû fumer, l'instant où je libère mon dos de son sac et les pose, les deux, pas loin de mon cul, dans l'herbe tendre...

Les secondes où je me réveille la nuit et je regarde l'heure ET qu'il en reste cinq à dormir... Espérer qu'il n'y ait pas d'autre insomnie...

Je sors d'un endroit très bruyant où j'ai passé trop de temps, les premiers pas dans la paix, sur le trottoir désert, avant de me mettre en route pour rentrer... Le tourbillon de solitude qui, immédiatement, emboite le pas à celui de silence.

Après le dernier bain de l'année, le moment où je me sèche... alors, je compte que le prochain sera au mieux dans plusieurs longs mois. Retourner à l'eau pour anéantir cette pensée...

Prendre une région du Sud, attendre la fin de l'été, marcher une fin d'après-midi le long d'un chemin, guidé par l'odeur, s'approcher d'un figuier, cueillir un fruit mûr à même l'arbre, saisir entre ses doigts sa mollesse et sa tiédeur, l'ouvrir en deux, admirer sa rougeur... en porter une moitié à sa bouche et fermer les yeux... Vous y êtes?

Offrez l'autre moitié à qui vous accompagne...

Quand dans le noir profond d'une salle de cinéma, je sens les larmes me monter aux yeux et je les laisse filer sur mes deux joues, certain de n'être deviné de personne d'autre que de moi...

Et de qui m'accompagne.

S'installer, un midi de Mars à la table d'une terrasse, chauffée par un soleil revenant, embeautée de femmes en robes légères, à peine sorties des placards de l'hiver, d'où ce subtil parfum de naphtaline flottant dans le frais de l'air, commander un vichy orgeat et attendre qu'il arrive...

Quand je reviens de courir trois heures dans une banlieue moche à la recherche de sacs d'aspirateur, que j'en ramène un paquet, en installe un, appuie sur l'interrupteur de l'engin, pose l'embout sur une poussière et qu'elle DISPARAIT, avalée goulûment...

Après une brûlante journée d’été, lorsqu’un orage éclate, sentir les premières bouffées d’odeurs tièdes montant du sol… Fermer les yeux, ouvrir grand les narines.

Ces secondes, en début de mois où l’on consulte son compte bancaire et que le solde en est ENCORE positif...

Ces instants lors de soirées électorales où apparaît le visage élu de celui ou de celle pour qui on a voté. Après, attendre cinq, voire dix ans, avant de sourire à nouveau.

Décacheter une lettre reçue le matin en lire les premiers mots. Si vous lisez : " Mon bel amour,"... trouvez en vous la force d'arrêter la lecture à ces mots, rangez la lettre soigneusement dans une boîte, refermez le couvercle... enfouissez l'ensemble, oubliez où, il peut arriver qu'ensuite, après ces trois là ça se gâte... Se contenter de repenser au bonheur ressenti à la lecture de ces mots, à vous adressés: Mon bel amour...

Prendre une saison chaude, une fin de belle journée, une plage des Landes, une compagnie souhaitée, une paire de doigts, un poulet grillé, une bouteille de bon vin, deux vrais verres, attendre l’heure du coucher du soleil, se sécher du dernier bain, changer de maillot (pour ne pas garder l’humide sur soi) enfiler un vieux pull de coton, s’installer sur le sable… Manger et boire en regardant le ciel… L’autre contre soi.

Se réveiller un matin et s’apercevoir tout étonné, surpris, ravi, abasourdi, légèrement inquiet que ce matin précis, on a mal nulle part.

Sortir hagard d’un cauchemar et se rendre compte que c’en était un. Rêver du soulagement qui s'ensuit.

Ces moments, lors d’une réunion professionnelle où on croise un regard et on y lit tout ce qui n’est pas dit, tout ce qui ne doit pas se dire et qu’on sait que l’autre a lu la même chose dans vos yeux. Le sourire qui s’en suit.

Les toutes premières secondes où notre main se pose sur une peau encore inconnue et les vibrations qu’elle y sent, qui nous font chavirer, tout entier…

Ce moment, béni, où dans le cabinet d'un médecin on entend enfin prononcer l'adjectif : bénin.

Voir une araignée velue, énorme, repoussante dans la maison, passer au-delà de sa peur, l’attraper, la mettre dehors et la regarder s’enfuir. Avoir résisté au premier réflexe qui était de l’écraser. On peut ressentir la même chose avec une Calliphoria vomitoria.

Entendre en mars les dialogues amoureux des crapauds habiter les soirées, enfin entièdies.

Vivre la dernière centaine de mètres d’une sortie difficile où l’on a maltraité ses mollets, ses genoux, ses cuisses, ses fesses, ses hanches, son souffle, son cœur et savoir que dans quelques secondes, toute cette souffrance va s'adoucir.

Ces secondes où les pleurs d’un enfant s’apaisent au creux de vos bras, que le sommeil s’en empare et que sa peine s’en échappe.

L’instant précis où, dans un livre, un film, on tombe sur une phrase qui exprime exactement ce qu’on sent vrai depuis longtemps mais qu’on ne savait comment dire, comme: "On devrait baguer les rires, comme on bague les oiseaux, pour les reconnaître" Claude Roy ou bien "On ne trouve pas la paix en évitant la vie" dit par Virginia Woolf dans The Hours. Ou encore, cette autre de De Chamfort: "Il faut que le cœur se brise ou se bronze". Absolument.


Coucher Gadagne


Quand je finis d'écrire une page à propos de petites secondes, que j'en arrive à poser le dernier point des trois de suspension... en sachant qu'il y en a des milliers d'autres... de ces ptites secondes à vivre...


25 commentaires:

Brigetoun a dit…

petits régals en phrases goûteuses (et petites chûtes)

chri a dit…

@Brigetoun: Merci à vous... Venant de vous...

MATHILDE PRIMAVERA a dit…

Quelques secondes de plaisir à vous lire et à fondre devant une telle générosité, où ces vrais moments partagés sont aussi drôles que tendres !

MATHILDE PRIMAVERA a dit…

Au fait, je n'ai pas commenté "c'est simple comme un bout de fil", mais j'ai suffisamment ri pour avoir envie de tenter l'expérience de ce mode d'emploi pas frileux.

Lautreje a dit…

Ces petits riens qui font le bonheur de l'instant... et se dire que demain, d'autres petites secondes graveront en nous ces moments d'un rien et pour l'éternité.

chri a dit…

@Vous:
Oui, celles de demain seront formidables, parait-il...

clo a dit…

bonjour Mr Chriscot...:o)
et je vais rajouter un petit rien a cette liste....
lire une de vos nouvelles avec sa premiere tasse de café du matin ...en savourant chaque mots...et en ecoutant votre delicieuse selection musicale...le sourire aux levres...
un joli moment de bonheur....
merci a vous...:o)

chri a dit…

@Clo: Déjà content de n'avoir pas gâché votre café!

coquelicot a dit…

Tout pareil que Clo avec en plus les narines chatouillées par l'odeur d'un kouglof qui cuit magnifiquement...
Le sortir du four et voir qu'il est le reflet parfait de tout l'amour mis à sa préparation...
Bon appétit Chri ;-))

chri a dit…

@Coq Merci Coq. Un kougloff d'amour. Bon appétit!!!

Lautreje a dit…

Chri,
Je profite, la maison s'est vidée, tout le monde est parti et vous savez quoi, je vais écouter mon cadeau de Noël comme un enfant qui a caché une gourmandise pour le moment venu...

chri a dit…

@L'autre je: Alors? C'était comment?

Anonyme a dit…

Après quelques jours d'absence dérouler les notes en retard de lecture, avoir l'oeil soudain accroché par un nom de bateau, recevoir le billet du 23 dernier.

Avoir tous les poils dressés au garde à nous.

slev

Lautreje a dit…

J'ai commencé comme un soir de cuite si vous me permettez le rapprochement. J'ai démarré mollo chez Leprest, puis j'y ai regouté à nouveau, une fois, deux fois, là pour essayer de m'en remettre, je suis passé au Brel puis au Bashung. Je vous dis pas ! je suis décalquée grave !! je suis pas prêt l'oublier mon cadeau de Noël, même que je vais y retourner à la Fnac !

chri a dit…

@L'autre je:
Brel, Bashung, Leprest... quand vous faites des brochettes, vous, ce n'est pas pour rire!

Nathalie H.D. a dit…

Quel régal, ce défilé de petites secondes ! Le raton laveur n'a qu'à bien se tenir, on n'a même pas pensé à lui. Se cacherait-il derrière les trois points de suspension ?

Brigetoun a dit…

Chri, je n'avais pas fait le rapport entre notre voisin le presque avignonnais et les impromptus littéraires ! - j'ai une question à poser (ma machine ne peut ouvrir l'onglet email) : puis je ajouter un ou deux petits fromages ?
mon adresse est sur le profil - bonne fin de journée

amichel a dit…

un cadeau de Noël pour la vie ,père Léon merci !

chri a dit…

@Amichel: De rien, c'est avec plaisir!

Véronique a dit…

et moi, j'aurais juste aimé pouvoir en écrire une seule de vos petites secondes
quel délice !

(quand diable serez vous ENFIN publié Chriscot, c'est pas possible çà ! )

Véronique a dit…

c'est mon préféré de texte ... je me l'imprime, je le transfère, je veux partager ces lignes là !
dans lesquelles vous dites tant

chacun s'y reconnaitra

chri a dit…

@Véronique: Vous proposez que je travaille que chez moi à écrire des trucs et aller faire des images qui collent avec les trucs, ou pas? Et que je sois payé?
Ah Ah! Je commence quand? Hier?

Véronique a dit…

ben oui !
pourquoi pas vous !
j'y crois toujours

chri a dit…

@Véronique: Personnellement je ne demande que ça! Mais il faut trouver le dingo qui soit prêt à payer pour ça!!! Et là, d'un coup, le doute m'envahit!!!

Nathalie a dit…

Un bonheur supplémentaire : relire cette liste et y trouver autant de plaisir que la première fois...

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