___ Tu sais bien que dans la vie on ne fait les choses que parce qu’on y est obligé, ce n’est pas à toi que je vais l’apprendre… Et même je dirai que tant qu’on n’est pas acculé on ne fait rien. Tss tss... épargne nous une blague douteuse tu veux?
___ Tu parles pour toi, là ? Dix ans que tu souhaites quitter ton boulot et pas foutu de le faire… Tu attends quoi ? Que la Mer Rouge s’écarte ? Qu'un ange blond dans une toge immaculée dégringole du Ciel et te prenne par la main pour te montrer LA lumière? Que le Lefèvre se mette à penser? Que la Morano se taise un peu? Que le Bayrou ne soit plus seul au monde? Que les socialistes ne se jettent plus des pierres? Un miracle?
___ Hey c’est de toi qu’on parlait, ne mélange pas tout, tu veux ?
___ Tu me saoules avec tes phrases à deux euros, si tu savais combien tu me fatigues avec tes cours de morale. On dirait un politique en campagne ! Ah ça pour en débiter de la connerie prometteuse au kilomètre, ça se bouscule à l’embarcadère mais pour la remise du prix de vertu, tout le monde se réveille en retard…
C’est après lui avoir envoyé ça dans les dents qu’il l’a vue.
Elle était à trois tables devant en face d’un vague type dont il ne voyait que le dos. Elle, il l’apercevait par intermittence quand elle dépassait du dos du gars. De suite il a pensé à elle comme un phare. Il la voyait, elle disparaissait et hop la revoilà. Très vite, ça lui a fait à chaque fois comme une onde tiède qui le parcourait des racines des cheveux au trou de la chaussette du pied gauche et ça devait suivre des méridiens hyper sensibles, c’en était presque douloureux et puis, un malheur infini s’abattait sur lui, un malheur archaïque, une plaie béante quand elle disparaissait et qu’il ne la voyait plus derrière le sale dos.
___ Non mais tu as vu cette fille ?
___ Laquelle ?
___ Ne me dis pas que tu ne l’as pas vue, il n’y en a qu’une dans ce restaurant, elle a effacé , évincé, terrassé, laminé toutes les autres.
Cette fille était une absolue nucléaire bombe à une seule magnifique tête. Mais quelle tête ! Une beauté à couper le souffle de tous les Jacques Mayol, à faire peur à Audrey Hepburn, à concurrencer Lauren Bacall, à approcher celle de Géraldine Chaplin, à renommer Angelina Jolie... Un visage parfait dessiné autour d’une bouche aux deux lèvres sensuelles. Quand elle ouvrait la bouche, des tempêtes de bonheur pouvaient s’engouffrer entre ses deux incisives légèrement écartées. Elle regardait le monde avec deux yeux d'un vert sorgue profonde, elle y posait dessus un doux sourire comme un plaid léger en poil de duvet de cashmere, du reste on devrait l’interdire un sourire pareil, ce n’était pas une affaire réellement humaine qu’un tel déluge de beauté tranquille...
Bien qu’assise, il pouvait deviner d'elle, un corps musculeux, fin, délicatement recouvert d’une chose nommée robe ici bas, qui, exploit ultime, dissimulait en montrant. Il ne fallait pas trop, sous peine de mourir sur place, s’attarder sur l’arrondi de ses deux épaules, une de chaque côté d’un cou nerveux, droit, si merveilleusement posé, sur un buste harmonieux à petits seins, qui semblaient avoir été modelés ensemble, à la main. Tout en bas, après des jambes comme des poèmes d’Eluard, à ses deux pieds, qui semblaient renversants, une paire de chaussures à talons d’une finesse exquise. Bref, une tuerie. Définitive. A jamais hors concours de toutes les catégories possibles et imaginables. Hors répertoire, hors tout. Ou plutôt, bien au-delà de tout. Cette fille n’avait pas de charme, elle était LE charme. Du genre à faire atterrir les mouches dans un congrès de pècheurs, du genre à faire se lever les paralytiques, du genre à faire d’un tonneau de Vittel un chais de Haut Brion. Oui, c’est exactement ça : le sosie parfait de LA Vaness Heaven dans son dernier film « L’escrocœur. » Presque aussi jolie, mais avec dix ans de plus, que celle dont on venait juste de finir de balayer les confettis de la fête d'anniversaire… Celle, dont ceux qui avaient l'avantage de la connaitre étaient tous si drôlement heureux de partager la vie… Celle qu'on avait tous en tête, en ce moment... Celle qui était belle de partout, du dedans comme du dehors et d'autour, aussi.
___ Il faut que je lui parle. Il le faut. Elle a l’air de s’emmerder tellement….
___ Est-ce que tu es en train de me dire que toi, toi, tu vas te lever et aller parler à cette fille si sublime qui mange à trois tables de nous ? Je parie ma maison que tu ne feras jamais ça !
___ Toi tu vas bientôt aller t'acheter une tente.
Et, d’un bond, je me suis levé. Il arrive parfois qu’acculé, on fasse certaines choses dont on ne se serait jamais cru capable. Surtout si on ne les a pas pensées. Très vite j’ai approché de leur table. Il me tournait le dos, il ne m’a pas vu arriver. Elle non plus, du reste. Je transpirais à grosses bassines. A leur hauteur :
___ Bonjour… Excusez-moi, heu, hum (raclements de gorge, expulsion d'une meute de chats noirs griffus grondants et ma voix hésitante… en la prenant...) je peux, heu,grum, grum, vous prendre, heu, votre salière s’il vous plait ?
Après un demi-tour impeccable, rougeoyant, suintant, je suis revenu à notre table.
___ Alors qu’est-ce qu’elle t’a dit ? Le type n’a pas bougé d’un poil ! Tu l’as flingué !
Qu’est-ce qu’elle t’a dit, bon sang ?
Moi, drapé dans une suffisance feinte et fragile:
___ OUI, elle a juste dit… OUI, qu'est-ce que tu crois !
5 commentaires:
Hé hé !
Pour avoir la bonne réponse, il faut poser la bonne question !
@Nathalie: Trouver LA bonne question à poser ou se poser n'est pas le plus facile!
J' approuve p'a. c' est genial.
"au trou des chaussettes du pied gauche"... que peut-on attendre d'un type qui met deux chaussettes trouées au même pied ?
Je fais du mauvais esprit moi ? non, je constate.
marie.
Bah il a dû habiller ses phrases un peu vite... l'émotion?
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