Les impromptus de la semaine imposent de commencer le texte par:
“Quand je vis le menu…”
Quand je vis le menu, haussé sur ses talonnettes, qui me menaçait de ses deux poings ridicules j’ai éclaté de rire! Hey, petit bonhomme, que je lui ai lancé, méchamment exprès, pour le blesser ne va pas te faire mal en me frappant, ce serait trop bête ! Tu parles! C’est quand il s’est approché que j’ai vu que j’étais aussi grand que lui. Heu, de la même taille…
Seulement, nos points de vue avaient commencé à diverger très vite. Ce gars avait profité du bazar ambiant pour prendre les choses en main dès qu’il était entré dans le wagon. Il faut dire qu’il y en avait de partout, du bazar… On pourrait même, sans trop exagérer, pousser jusqu’à écrire: joyeux bordel. Immense bordel serait encore plus juste. Imaginez: une grève perlée, un départ de vacances et une panique générale à cause d’un volcan islandais qui avait cloué au sol tous les avions du monde, mélangez le tout et vous aurez une petite idée de la crise qui se tramait dans les parages. La terre entière voulait monter dans ce foutu train. Et ce n’était pas possible.
C’est là qu’il était entré en action le rehaussé. Contrairement aux évidences, il avait commencé par gueuler qu’il ne fallait pas désespérer, que tout était possible. Alors, crétins, on l’avait laissé faire. Il s’était mis diriger les flux de montée descente, puis, il avait assigné à tous des places, il avait fait éteindre les portables, il était monté sur les sièges pour diriger les manœuvres… Bref il s’était rendu indispensable et pire, au fur et à mesure, il s’était occupé de tous et de tout. On le voyait courir à l’avant, à l’arrière, ordonner ceci, réfuter cela, tancer celui-ci, encourager celui-là, taper du poing sur les dossiers, tenir les portes ouvertes, porter la valise de celle-là, l’enguirlander à cause de son poids, demander le silence aux enfants qui pleuraient, consoler les mamies qui avaient un coup de chaud, menacer ceux qui semblaient ne pas vouloir l’écouter. Dès qu’un se pointait, il le prenait en mains et ne le lâchait plus. Une vraie plaie… J’ai eu le malheur de dire dans un souffle : « Il va pas se calmer, le p’tit ? ». Il s’est tourné vers moi. Il n’a pas moufté, il n’a pas cillé, il est resté d’enclume, un peu comme ces types aux yeux tristes, recouverts d’or de la tête aux tongs, qu’on peut voir l’été à tous les coins de rue, debout pendant des heures et des heures sur des tabourets branlants.
Il n’a pas esquissé un seul geste, il n’a pas prononcé une seule parole… Je me suis même demandé si en plus d’être ras de la pelouse, il n’était pas, d’un coup, devenu muet. Il a juste glissé d’un pas vers moi et puis son bras a décrit comme une courbe silencieuse dans l’air du soir vacillant et son tout petit poing fermé est venu me cueillir à la base de la tempe gauche et là j’ai décollé. Je suis parti, enfin façon de parler parce qu’en vrai ce sont mes genoux qui ont fichu le camp les premiers et je me suis affalé sur la moquette rouge du couloir comme une bouse dans un pré limousin. Une flaque, une très jolie flaque d’humain, répandue sur le sol, absente à elle-même. Comme un Lucky Luke désabusé, le petit homme a déplié ses métacarpes, les a frotté contre la paume de son autre main, a répondu très gentiment a un quidam passant que non, il n’avait besoin de rien, son léger problème était réglé, tout s’était bien passé, sauf pour lui, là, par terre qui en aurait pour quelques jours de migraines… Ensuite, d’après ce que m’en ont dit des gens, il m’a relevé un peu, il m’a adossé au mur de la banque derrière nous, il m’a défroissé la veste et tapoté la joue en me disant à l’oreille ce dont j’étais intimement persuadé : “Je ne suis pas petit, petit, c’est le monde qui n’est pas assez grand pour moi…” Puis il est parti à l’autre bout du compartiment en sifflant un air que, dans un demi-sommeil comateux j’ai mis du temps à reconnaître… Sans qu’il puisse entendre, j’ai marmonné et j’en savais quelque chose : “Ce n’est pas de vouloir être grand qui est risible, c’est d’avoir tant de mal avec l’idée de ne pas l’être…”
Quand j’ai recouvré mes esprits, je me suis demandé si franchement, ce déchainement de violence pour une simple divergence de vue était bien raisonnable… Mais dans quel monde vivions nous ? Etait-ce cet univers là que nous allions laisser à nos enfants ? Quelle misère !
Le soir, au menu, j’avais du doliprane… en brouette!
Ah, l’air qu’il sifflait, ça y est, ça m’est revenu, c’était Short people de Randy Newman…
2 commentaires:
pour de vrai, vous savez que çà existe..
c'est comme les chiens, plus ils sont petits et plus ils sont hargneux !
dites moi, vous êtes revenu ?
belles votre photo.. mais ou sont les tulipes ? (non, je n'insiste pas :o) ...
@Véronique.. Les tulipes sont dans la note du dessous... Il y en a deux images...
A quoi ça sert qu'on se décarcasse?
A coups de Thalys et de TGV...
Enregistrer un commentaire