Voilà trois semaines que je suis consigné, assigné, surveillé en résidence dans ce mas magnifique, tout en larges restanques ombrées de cerisiers, d'oliviers, d'amandiers et je n'ai pas pondu UNE ligne…
Ah ça, des bains j’en ai pris et des cocktails, j’en ai descendu, mais des lignes, je n’en ai allongée aucune ou si peu. Enfin, aucune que je puisse décemment montrer à quiconque.
J’aurais dû savoir, j’aurais dû ne pas accepter quand j’ai vu le descriptif de cet ancien mas transformé en hôtel de luxe… Je suis incapable d’écrire avec une piscine à proximité. Trop faible. Je ne sais pas résister. Il n’y a qu’aux pages blanches que je sache faire. Et puis ces cigales qui n'arrêtent pas, quelle misère! C'est en Norvège qu'il faut faire les résidences, pas ici, pas en Provence.
Trois semaines et pas même un petit début de paragraphe acceptable à mes yeux. Je ne montre rien à personne. Je travaille, dis-je… Dans deux jours nous avons une lecture commune, il faudra bien leur donner quelques phrases à entendre si je ne veux pas être ridicule. Il y a là, la crème de la nouvelle littérature régionale. Ils ont eu l’idée de regrouper ce qui compte de petits talents dans une villa du coin pour un mois tout entier, celui de Juillet. Nous sommes une petite huitaine, trois garçons cinq filles et ils ne se sont pas moqués de nous. L’endroit est un vrai petit paradis. A flanc de colline avec vue sur les deux villages les plus huppés du coin, une piscine grande comme un océan, des chambres au confort douillet (non pas le judoka, l’autre…) Une cuisine à faire la sieste et du personnel agréable comme une brise de terre. Une liberté totale dans la journée, très peu de rendez vous de presse pendant le séjour et des collègues avec qui on partirait volontiers en vacances. Malheureusement, je ne peux rien vous dire des soirées passées jusqu’ici, une clause dans le contrat me l’interdit…
« Pêche à la ligne »
C’est ainsi qu’ils ont appelé l’opération. Une idée de génie d’une conseillère à la culture qui nous avait à la bonne, propriétaire d'un mas, pas loin. Depuis qu’il a été nommé, le nouveau Ministre de la Culture ne sait plus où donner de la tête pour se faire bien voir des intellectuels que son Président préféré aurait un tant soit peu chagrinés. Du moins c'est ce qui se murmure, moi, je suis comme une femme de ministre du budget, je ne fais pas de politique... Il s’empare de toutes les idées qui passent même les plus douteuses. Mais il y a des wagons dans lesquels il vaut mieux être. Même si on peut penser que c’est une formidable pub pour le complexe hôtelier qui vient à peine d’être inauguré. Des tas d’articles de presse, locale et régionale au début de l’affaire et ponctuellement, une ou deux émissions de radio et télé dans le milieu du séjour… Le fait que le frère du ministre de la culture soit le PDG de la chaîne n’a rien à voir dans le choix de cet hôtel. Enfin, c’est ce qu’on m’a dit.
« Pêche à la ligne »
C’est ainsi qu’ils ont appelé l’opération. Une idée de génie d’une conseillère à la culture qui nous avait à la bonne, propriétaire d'un mas, pas loin. Depuis qu’il a été nommé, le nouveau Ministre de la Culture ne sait plus où donner de la tête pour se faire bien voir des intellectuels que son Président préféré aurait un tant soit peu chagrinés. Du moins c'est ce qui se murmure, moi, je suis comme une femme de ministre du budget, je ne fais pas de politique... Il s’empare de toutes les idées qui passent même les plus douteuses. Mais il y a des wagons dans lesquels il vaut mieux être. Même si on peut penser que c’est une formidable pub pour le complexe hôtelier qui vient à peine d’être inauguré. Des tas d’articles de presse, locale et régionale au début de l’affaire et ponctuellement, une ou deux émissions de radio et télé dans le milieu du séjour… Le fait que le frère du ministre de la culture soit le PDG de la chaîne n’a rien à voir dans le choix de cet hôtel. Enfin, c’est ce qu’on m’a dit.
Et si je ne pondais rien ? Pas un mot ? Comme un acte ultime de résistance ? Comme une rébellion ? Comme un acte?
Qu’en penserait-on à Paris ? Voilà que je suis atteint, moi aussi ! On s’en foutrait à mort à Paris, il est là, le vrai. La triste et terrible vérité c’est que le monde s’en fout. Et puis je pas très envie de griller le filon, quand même, je ne suis pas absolument dingue!
Bon, je vais juste attraper le manuscrit du roman, "Aux bouts de l'Île" que je traîne depuis dix ans dans tous mes sacs et dont personne ne veut, allez savoir pourquoi… et je m'en vais recopier le premier paragraphe. Pour une première lecture, ça fera la rue Michel et m’assurera une semaine de répits. Pour la suite, il suffira de l'assaisonner avec un peu de thym, de lavande, d'huile d'olive, un poil d'accents, trois ou quatre roulements de mistral et ça collera bien à quelque chose d'ici...
Allez roule :
« La voiture s’engagea sur la place de la Concorde déserte. Elle venait droit de la rue de Rivoli.
La nuit faisait son boulot de nuit depuis plusieurs heures, déjà. L’immense espace désert n’était que rarement éclairé par les traces rouges et fugitives de taxis fatigués. La berline noire s’échoua en bordure de la place, du côté du fleuve auprès du Pont de la Concorde.
Ça tombait bien qu’il soit là celui-là, puisque c’est pour lui que les quatre types dans l’anglaise, perdaient leur nuit.
Ce soir, c’était celui de la Concorde, celui d’avant celui d’Austerlitz. Pas l’étage des voitures, celui des métros… Depuis qu’ils avaient débuté, ils les avaient presque tous presque parcouru au moins deux ou trois fois. Ils commençaient à en connaître chaque centimètre carré, chaque piège, chaque appui possible, chaque risque. Ils en étaient à ne plus les redouter. Il n’y avait plus qu’une chose qu’ils craignaient par-dessus tout, c’était la pluie. Elle rendait les choses encore plus difficiles, encore plus dangereuses, encore plus folles. Heureusement, bien que le ciel menace, les gouttes s’étaient tenues tranquilles ces derniers jours et si l’air était humide, le pont et ses à-bords, eux étaient secs. Les portières de la voiture en s’ouvrant lâchèrent un nuage bleu de fumée de blondes qui s’évapora dans le gris dense de la nuit... »
La crise? Quelle crise? On faisait quand même un boulot formidable! Il suffisait d'un bon carnet d'adresse... Quinze phrases pour huit jours supplémentaires au paradis, merde, c’était rudement bien payé !
12 commentaires:
je vous suggère d'aller à la pêche, rien de tel pour lancer des lignes. Et puis, vous raconterez l'attente, l'hameçon qui plonge, le poisson qui se défend ... vous pouvez tenir une semaine de plus avec un tel récit !
@Lautreje: Pêcher dans la piscine... Comment n'y ai-je pas pensé? Merci à vous.
Une planque en abyme, bravo !
@Tilia: Gosh! Je suis découvert!
le conte est bon
dans la piscine on ne se mouille pas on baigne !
Piscine ? Alors point de bouteille à la mer ! ;-)
@Lautreje: Nan, nan une bouteille ça ne se jette pas, ça se boit! :)
@Amichel Au pire, on y planche!
En récompense pour ce joli récit, huit jours supplémentaires dans notre joli midi. Est-ce assez bien payé ? :-)
Moi ça m'a bien plu, cette crise de la page blanche sur fond de bleu piscine. Pour moi ça fait ksss ksss ksss !!!
@Nathalie:
Merci à vous, je prends les huit jours!
Alors résumons
La bouteille fait la planche
Le pont d'austerlitz fait le zouave
Le carnet d'adresses fait le paradis
Le ministre fait de la pub
Et l'huile d'olive ça se boit
Ou alors
La femme de ministre nage dans la politique
Le hareng grillé baigne dans la piscine
L'écrivain plonge dans ses souvenirs
La bouteille s'enfonce dans les abymes
Les copains font la planque
La culture a perdu le nord
La critique fait tsss tsss tsss
@Nathalie: Voilà, c'est exactement ça ou bien.
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