07 septembre 2010

Congelée.

C’est au troisième appel en une demi-heure que  j’ai été débordé par une éruption de colère, un Krakatoa de rougne, un Stromboli de rage.
J'explique: Cette année, certains midis, je peux rentrer chez moi pour souffler entre deux demi-journées. Les années précédentes, j’étais obligé de rester sur place, d’aller m’offrir  un sale sandwich à l’hyper du coin et de me l’engouffrer dans la voiture, à même le parking… Je ne vous dis pas les désagréables sentiments qui ne manquaient pas de m’étreindre et de me serrer le coeur. A chaque fois. Heureusement, il y avait, à cette heure, à la radio, un humoriste qui m’ouvrait une porte sur un monde moins glauque et qui faisait passer gentiment la pilule. Evidemment, ils se sont débrouillés pour le virer et donc fini de rire le midi. Mais, en compensation, le destin m’a autorisé à rentrer chez moi.
J'y mets la musique à fond et je souffle comme on me l’a bien appris. En inspirant très fort et en soufflant très profondément. Surtout en me débarrassant des chaussures que je n’ai pas remises depuis deux mois et qui me boudinent les pieds comme une cagoule la tête  d'un soldat du GIGN. La musique dans le rouge, je me sers un verre d’eau minérale gazeuse glacée et un fruit allongé sur le canapé fait l’affaire. (Ce n’est pas le fruit qui s’allonge, bien sur).
Je me détends. Je récupère des forces éparpillées dans l’âpre bataille sans merci du matin.
J’avais oublié le téléphone fixe. J’avais oublié combien on peut être harcelé dès qu’on est chez soi. Comme je n’y étais jamais, je ne savais même pas que c’était possible d’être comment dire? Emmerdé à ce point?
Je sais bien, il faut que tout le monde mange et que chacun puisse bosser. Mais de là à faire chier les gens avec insistance, il y a une marge. Non?
Je me suis levé plusieurs fois comme la veille et l’avant veille. J’ai éconduit civilement, aimablement les personnes qui voulaient me fourguer à crédit, des baies vitrées révolutionnaires, un traitement anti-termites génial, un nouvel adoucisseur d’eau incroyable, une chaudière à gaz rêvée, et deux, trois autres trucs que je n’avais pas les moyens de payer mais on s’en fout, mon pauvre monsieur, on vous avance l’argent vous n’avez rien à faire, vous paierez plus tard… Je n’ai besoin de rien Madame, Monsieur, je vous jure… Si, un jour, par malheur, quelque chose me manque,  je penserais à vous, je vous appellerais en premier, promis, juré, allez au-revoir, sans rancune aucune…
A chaque fois, se lever, faire le trajet, se calmer, décrocher et répondre le plus sereinement possible en contenant l’humeur qui bout à l’intérieur.
Jusqu’à l’éruption due à la troisième sonnerie du jour.
J’étais en haut. J’ai cavalé comme pour les deux premières, j’ai manqué de me vautrer dans les escaliers. J’ai décroché. Un voix suave:
Bonjour Monsieur Collard, Sonia, de la société Agrigel, à l’appareil… Pourrais-je parler à Madame Collard s’il vous plait?
(Oh toi, Sonia, déjà tu me fais tout lâcher, mais en plus c'est pour ne PAS me parler? Je te déteste encore plus que tous  tes autres collègues!) Je laisse un long blanc. Elle reprend son baratin appris par cœur:
Monsieur Collard, Sonia de la Société Agrigel… Pourrais je parler à Madame Collard, s’il vous plait?
Ah là, là je la tenais, enfin, ma terrible vengeance, elle allait voir ce qu'elle allait entendre.  J'étais remonté comme un sherpa.
Je lui ai envoyé dans un souffle sépulcral:
Madame Collard ne pourra pas vous répondre… on l’enterre demain… elle est morte avant-hier. Vous comptez venir à la cérémonie, mademoiselle Agrigel?
J'ai laissé, alors planer un silence infini.
Puis: Sonia? Sonia? Où êtes vous? Le bec cloué, la Sonia. Elle fera p'têtre un peu moins sa maline avec mon numéro de téléphone Mam'selle Agrigel...

Villeneuve d'Aveyron 018

14 commentaires:

Tilia a dit…

Méchant !

Et la liste rouge vous y avez pensé ?
Du coup y'a plus que votre fournisseur d'accès qui vous sort de la sieste pour vous fourguer la totale, histoire de bien vous tenir par...
bon, je dérape là !

Moi non plus je n'aime pas le démarchage.

Enfin, faut croire qu"ils" trouvent des gogos pour acheter leurs trucs à la noix qui coûtent un rein, voire les deux. Là je suis restée polie, vous avez remarqué, hein ?

chri a dit…

@Tilia: C'est mon fond, ça la méchanceté!

Tilia a dit…

Mais au fond, c'est pas si grave, ça le serait plus si c'était en surface, le genre épineux ou tranchant.
Tranchant, tiens, ça rime avec méchant !

Anonyme a dit…

Moi qui suis fainéante et méchante, je leur passe mes fils pour qu'ils s'amusent.
Et ça donne "Bonjour madame sonia, chantez avec moi... Caaaaca caca caca..."
marie.

chri a dit…

@Marie: Ah oui, quand même...
Comme je n'ai pas ça à la maison, on peut en acheter où?

véronique a dit…

vous n'allez pas me croire Chriscot, mais je fais pareil ... ou alors, je dis que je suis en vacances très très loin et que je reviens je sais pas quand
ou alors que je sors de prison ... ou que je vais y aller
enfin dans ces cas là, c'est amusant mais j'ai beaucoup d'imagination

j'aime aussi le grand grand silence, même pas une respiration mais vrai faut quand même se lever et décrocher

autre technique, ne pas décrocher, et me dire que si l'on veut vraiment me joindre, on appellera sur mon portable

pas bête !

véronique a dit…

oublié de vous dire que j'ai ri bien sûr en vous lisant ! très imagé tout çà, les chaussures qui font mal, le canapé, la musique, les escaliers, votre fureur même ....sans oublié bien sûr la tête de la Sonia !

chri a dit…

@Véronique: La pauvre Sonia... J'aurais été bien incapable de lui faire un coup pareil!

Nathalie H.D. a dit…

Moi je mange chez moi tous les jours et personne ne m'appelle jamais. C'est quoi le truc ? Aucune idée.

Ton nom doit sonner bien. Ou alors c'est qu'ils en sont à la lettre C dans l'annuaire. Moi c'est D, j'ai encore quelques mois tranquilles devant moi avant la déferlante...

chri a dit…

@Nathalie: Je crois que tout simplement je suis dans l'annuaire!

Nathalie H.D. a dit…

Mais je crois bien que moi aussi !

chri a dit…

@Nathalie Pour toi, ils appellent quelqu'une qui habite rue des jacinthes à Orange!!!

Anonyme a dit…

Ici c'est beaucoup pour des volets roulants anticycloniques. La dernière fois, j'ai dit à Sonia que moi je vends des béliers pour défoncer les volets roulants, et que je viendrai d'abord tester les volets de sa boutique avant de me décider.
J'attends une contre proposition.

Slev

chri a dit…

àSlev: Les pauvres Sonia... Qu'est-ce qu'elles prennent! Un jour, une m'a rappelé et m'a engueulé parce que, me disait-elle, j'avais voté Sarkozy et qu'à cause de ça, elle était obligée de faire un boulot de merde... Je n'avais pas son n° sinon, je lui aurais bien donné!

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