29 septembre 2011

Un siège vide.

Je ne l’ai pas remarquée de suite. 
C'est-à-dire qu’en premier, ce sont ses jambes qui m’ont, si je peux dire, sautées aux yeux. Elles étaient longues, fines, musclées et cuivrées. Et ses genoux intelligents. Les deux. N’essayez pas de me faire dire comment je peux savoir une chose pareille, je ne le dirai pas, mais je vous demande solennellement de me croire sur parole. Il faisait tellement chaud dans ce minuscule théâtre que la plupart des filles présentes faisaient prendre l’air à leurs cuisses et s’éventaient le visage avec le programme dans des gestes d’une élégance rare. Elle, elle faisait comme les autres. Et toutes ces mains agitées créaient un courant d’air magique qui, très vite après avoir un peu rafraîchi, échauffait un tantinet les sens.
Elle était entrée juste après le début du spectacle, à cet instant où le noir se fait et s’était assise à côté de moi. J’en avais été chagriné, un temps. A minuscule théâtre, place riquiqui. J’avais pensé, ronchon : Tant mieux, personne à côté, si je m’ennuie, je pourrais au moins me dégourdir au moins les jambes. Là, par elle, j’étais scotché. Enfin scotché… Tout est relatif ! Disons que j’étais bien figé!
En s’asseyant son genou gauche avait touché le mien. Elle m’avait, alors, pour s’excuser, décoché un sourire à faire trembler une île. J’avais, à partir de cet instant précis, rêvé devenir une limande sole… à cause des yeux sur le côté.
Puis, la pièce avait commencé. Un truc assez triste qui parlait de ce que tout le monde connaît plus ou moins, de rupture, de comment s’aimer encore quand on ne s’aime plus. C’était bien écrit, bien interprété, mais comment dire, je n’étais pas dans l’humeur. Ce genou, cette cuisse, maintenant, qui s’appuyait contre la mienne... Son geste pour rassembler ses cheveux et aérer un peu sa nuque, une bretelle fine de sa robe blanche en lin qui n’en faisait qu’à sa tête... la longueur de ses doigts agitant l’éventail improvisé... la joliesse de ses chaussures à talons, la finesse de ses attaches, la couleur de sa peau, son rire franc aux répliques cinglantes, sa présence, son incroyable présence, l'aimantante présence de... son épaule qui s’appuyait de temps en temps contre la mienne et tout juste après, son sourire irradiant se tournant vers moi… et je n'avais encore rien vu ses yeux... le vert leur allait bien.
Vers la fin de la représentation, dont finalement je n'ai pas suivi grand chose, je l’avais sentie plonger dans l’immense sac à main qu’elle avait posé à ses pieds, je l’avais devinée en sortir un stylo et je l’avais vue griffonner quelque chose sur le programme. Et puis, nous avions applaudi. Ils avaient salué, ils avaient présenté l’auteur, ils nous avaient dit des tas de gentilles choses, ils s’étaient félicités de notre présence et nous avaient fait savoir combien ils étaient ravis de l’accueil du spectacle et de quel miraculeux talent nous avions fait preuve dans cette fournaise. Et puis, la petite cinquantaine de personnes s’était levée et avait commencé à déguerpir poussée par une envie de dehors et d’un peu de frais sur un bout de trottoir.
Elle avait recouvert ses jambes de la blancheur de sa robe, s’était levée avant moi et avait déposé son programme sur son siège. En me levant, j’avais vu le bout de papier. J’avais pu voir un peu de son dos, aussi. Et de ses épaules qui étaient, à cet instant, aussi attirantes qu’un bain prolongé dans une rivière galopante. Assez larges, musclées, noueuses, sèches... Dieux du Ciel, ce port de tête, cette nuque longue, ce corps qui bouge, là, de cette façon là, cette fille était une danseuse, je m'en étais douté assez vite, mais je n'osais y croire. C'en était une... Loué soit ton nom, Destin... Une danseuse...
J'avais pris le papier "oublié", pensant lui rendre dans le hall du théâtre. A la lumière, j’ai vu ce qu’elle avait écrit… Les dix chiffres d'un numéro de portable et juste après : Appelez-moi, s'il vous plait, à partir de maintenant, j’attends... Comme un ordre indiscutable. Elle avait écrit : s'il vous plaît... Mon coeur a manqué de flancher. Je l'ai encouragé: Ce serait trop bête, pas maintenant, battez, mon coeur battez, fanfaronnez, tambourinez gaiement dans ma poitrine, Monsieur Mon Coeur, encore, un peu, ne me laissez pas tomber, pas là, pas maintenant, allez mon Cher Vieux Coeur glacé, Hardi mon triste Coeur Vertueux revenu de tout, que vous importe quelques milliers de douboum douboum supplémentaires, frappez, cognez, emballez vous Cher cœur endurci...
La soirée était bien avancée...
Si je voulais avoir, au moins une chance que quelque chose de ce désordre m’arrive, il ne me fallait plus trop tarder, maintenant, j'allais devoir me doucher, m'habiller, m'asperger d'eau de toilette, prendre la route de la ville, me garer, trouver un spectacle qui parlerait de déchirure, d'amour quand il n'y a plus d'amour, acheter une place et espérer qu’il n’y ait personne à celle d’à côté…
Vu l’heure tardive, ce n’était pas gagné… Mais j’étais joueur...


6 commentaires:

Michel Benoit a dit…

Un escalier sombre pourtant plein de lumière.

véronique a dit…

vous allez rire Chriscot, mais j'ai pas compris :o( ...
la fin !

je relis et relis mais ..

chri a dit…

@Véronique Alors c'est que je me suis mal débrouillé pour vous faire comprendre!
Le type se motive pour sortir c'est peut-être ce soir, s'il sort qu'il va rencontrer la femme de sa vie...

Tilia a dit…

Moi aussi j'ai eu un instant de flottement avant de comprendre la fin. Je m'attendais plutôt à ce que le type en question s'aperçoive qu'il avait oublié son portable. L'option motivation est bien trouvée ;-)

Veronique a dit…

Je suis désolée de ne pas avoir compris...et je suis comme Tilia, j'ai pensé à un problème de téléphone ... Maintenant que vous le dites, c'est mieux !

chri a dit…

@Véronique: Ouf! Quand on a la flemme de sortir toute motivation est bonne à prendre!

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