18 septembre 2011

Nos croisières immobiles.

Quand nous auront fait de vieux os, qu'ils  seront perclus et translucides, 
quand ils seront cassants comme des nuits de 9 novembre, 
quand notre triste cœur ne battra plus qu’à l’étouffée et que notre peau ne nous protègera plus ni du froid, ni du vent... Mince et chétive pelisse essoufflée…
Quand nos mains trembleront dans le vide, que nos yeux n’y verront que du noir, 
quand nos oreilles ne nous joueront plus aucune musique et que le monde ne nous apparaitra que dangereux à la chaleur d’un feu de pierre ou d’un jet de paille…
Quand nos peurs nous auront glacé les sangs et vidé de nos élans, 
quand les poules auront désormais nos dents et que les soupes du soir nous  seront versées à heures fixes, à petits bols, à petites gorgées, à petits slurps… Une serviette immaculée sur la poitrine…
Quand nos désirs ne donneront plus d’ordre, que nous resterons couchés la plupart des jours, quand nos pantoufles nous porteront, que nos mémoires se raidiront, qu'elles auront vidé les citernes où les souvenirs s’abreuvent... Que nos routes seront droites comme des doigts tendus, figés vers maintenant, là, de suite…
Quand nous ne conjuguerons plus que des imparfaits, que le monde ne nous sera plus guère souriant, quand vivre sera une croix et dormir un refuge, quand nous ne pourrons plus rire à cause de nos canines dévissées, étrangères, méconnues, envolées au bal des transfuges...
Quand nous ne pourrons plus hurler, gueuler dans le vent : « Sur le pont, tout le monde, nous allons virer de bord ! »
Alors, nous irons croiser avec nostalgie, dans des mers étales, aux houles longues,  sans ris dans les grand voiles, aux souquages mous, aux amarrages douteux, bref un temps où nous  n'aurons pas à lutter pour faire route sous aucun grain, où l'idée première sera d'avancer,  encore, un peu…
Alors, nous rêverons de croisières immobiles sur des lagons de faïence et, la nuit bienveillante, nous y bercera. 
Sur un pont de brume désormais vide, épousseté par le vent, nous réécrirons nos vies sur des pages presque blanches en nous épargnant, peut-être, de revivre tous les chagrins de nos guerres civiles, de celles qu’on se déclare au petit matin, les pieds dans la sciure, la goutte au nez, les cous aux creux des oreillers, en quelque sorte entre soie et…  soi.
Qu'ainsi, à l'instant de larguer les amarres vers nulle part nous soyons enfin sereins, si possible...



11 commentaires:

Michel Benoit a dit…

Je me serai peut-être flingué avant, si j'ai pu en avoir le courage ou l'aptitude.

Tilia a dit…

Croisière immobile, pagaie comme histoire.

nathalie (Avignon) a dit…

Trouver le calme avant de couler à pic. Ne pas voir le grand naufrage, se croire encore en barque sur le lac des cygnes, c'est ça ?
La vieillesse est un naufrage, disait le grand homme. Et si l'important était de ne pas s'en apercevoir ? Vagues aplanies, souvenirs douloureux étouffés par la mémoire sélective... A tout prendre, nul doute que je préfère ça à la vieillesse aigrie.

PS - Pourquoi les virgules dans
"et, la nuit bienveillante, nous y bercera" ?

chri a dit…

@Nathalie Les virgules, je les entends comme un temps de réflexion, comme quand on cherche, ce qu'on va, exprimer...

chri a dit…

@Nathalie Oh oui, pas d'aigreur!
Si possible...

véronique a dit…

Je sais, Chriscot, que c'est facile de reprendre comme çà les paroles d'un autre ... mais j'ai tout de suite pensé à cette tellement belle chanson de Jacques Brel ... alors je ne me retiens pas et la pose ici .. et puis je connais un bateau qui s'appelle Grand Jacques ! alors, deux raisons pour moi de me souvenir !

tout çà pour dire que moi aussi j'ai peur de vieillir ..... mal !

"Mourir en rougissant
Suivant la guerre qu'il fait
Du fait des Allemands
A cause des Anglais
Mourir baiseur intègre
Entre les seins d'une grosse
Contre les os d'une maigre
Dans un cul de basse-fosse
Mourir de frissonner
Mourir de se dissoudre
De se racrapoter
Mourir de se découdre
Ou terminer sa course
La nuit de ses cent ans
Vieillard tonitruant
Soulevé pas quelques femmes
Cloué à la Grande Ourse
Cracher sa dernière dent
En chantant "Amsterdam"
Mourir, cela n'est rien
Mourir, la belle affaire !

Mais vieillir… Oh ! vieillir

Mourir, mourir de rire
C'est possiblement vrai
D'ailleurs la preuve en est
Qu'ils n'osent plus trop rire
Mourir de faire le pitre
Pour dérider l' désert
Mourir face au cancer
Par arrêt de l'arbitre
Mourir sous le manteau
Tellement anonyme
Tellement incognito
Que meurt un synonyme
Ou terminer sa course
La nuit de ses cent ans
Vieillard tonitruant
Soulevé par quelques femmes
Cloué à la Grande Ourse
Cracher sa dernière dent
En chantant "Amsterdam"
Mourir, cela n'est rien
Mourir, la belle affaire !

Mais vieillir… Oh ! vieillir

Mourir couvert d'honneur
Et ruisselant d'argent
Asphyxié sous les fleurs
Mourir en monument
Mourir au bout d'une blonde
Là où rien ne se passe
Où le temps nous dépasse
Où le lit tombe en tombe
Mourir insignifiant
Au fond d'une tisane
Entre un médicament
Et un fruit qui se fane
Ou terminer sa course
La nuit de ses mille ans
Vieillard tonitruant
Soulevé par quelques femmes
Cloué à la Grande Ourse
Cracher sa dernière dent
En chantant "Amsterdam"
Mourir, cela n'est rien
Mourir, la belle affaire !

Mais vieillir… Oh ! vieillir"

Anonyme a dit…

J'ai un sacré retard à rattrapper, mais l'âge aidant, je vais prendre mon temps, surtout que ces bons moments là se dégustent.

Slev

chri a dit…

@Véronique En dehors de la maladie, je crois qu'il dépend, beaucoup de nous de vieillir... bien.
De toutes manières a-t-on le choix?

chri a dit…

@Véronique Bien sur, cette chanson... du Grand.

clo a dit…

un texte superbe ,vous m'avez mis les larmes aux yeux..heureusement que l'humour n'est jamais loin ,meme s'il est plutot sombre...et bien je vais vous dire,je suis contente de vieillir ,de savoir qu'un jour je vais enfin fermer les yeux sur ce monde si merveilleux et si degueulasse....ouf,une bonne chose a faire,le +tard possible , mais ,enfin libre..:o)

chri a dit…

@Clo Merci à vous... Mais on a un encore un ptit peu de temps devant nous, n'est-ce-pas?

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