C'est
exactement comme ça que ça a commencé, voilà cinq mois, au tout début du
printemps quand les soirées ont commencé à s’allonger, que les plaques de neige
sale dans la cour, autour du vieux tilleul, ont laissé place, à leur tour, au vert
de l’herbe, qui depuis les premières chutes de Décembre avait disparu. Je
rentrais du bois, avant que la nuit tombe avec le froid du soir quand elle est
apparue, sortant de dessous le porche dans la pleine lumière tranchante de
cette fin d'après midi, elle était belle comme un jour d'Avril, elle s’est
avancée vers moi, le bas de son manteau de laine épaisse dansait encore autour
de ses jambes que d’une voix mal assurée, elle m’a seulement dit d'un trait :
Je cherche un toit pour la nuit, vous avez ça ? Je préfère vous le dire de
suite, comme ça nous serons débarrassés, ne vous faites aucune illusion, je ne
suis un cadeau de rien et je viens de tuer les deux hommes de ma vie…
***
Ah ça oui,
je sais maintenant, ce que j'aurais dû dire en entendant ça...
Au lieu de
ça, évidemment que je n’ai rien dit, j’ai balancé un ou deux derniers coups de
masse sur le coin déjà engagé ce qui à fait éclater la buche en trois. Un peu
comme son arrivée en avait fait avec ma vie. Après une jolie cabriole elles se
sont posées sur le tas déjà cogné gros comme une camionnette. Et puis, j’ai
lâché le manche luisant de la masse contre le demi tronc qui me servait
d’appui. Je me suis essuyé le front avec le revers de ma manche et là, comme un
idiot congénital, j’ai dit :
___ Restez
pas là, vous allez prendre froid. Entrez, mettez vous vite au chaud.
Voilà les
seuls mots qui me sont venus, voilà la seule phrase que j’ai trouvé à dire. Il
y en avait un bon million d’autres, préférables. N’importe quel imbécile un peu
bavard, même avec cinq cent mots de vocabulaire aurait trouvé autre chose d'un
peu brillant à lui envoyer à cette fille. Quelques mots bien tassés qui
l'auraient pétrifiée sur place, qui l'auraient terrassée, laminée et qui
auraient ainsi changé le cours de cette histoire... Au lieu de
ça, moi : Ne restez pas là, vous allez prendre froid. Entrez,
mettez vous vite au chaud… Quelle misère! C’est pourtant ce que j’ai dit, comme
le parfait crétin que je fus.
Elle, elle
ne s’est pas faite prier, elle a volé vers la porte d’entrée comme une mésange
gelée revient au nid, elle a poussé la porte et elle est entrée. Je suis à peu
près certain que si je n’avais rien dit, elle serait entrée quand même. Quand
on a un peu vécu, on sait les reconnaître au premier coup d’oeil, celles qui
n’ont pas besoin d’invitation pour se déchausser et poser leurs pieds sur les
tables basses des salons. Elle en faisait partie, mais il y avait si longtemps
qu’il n’en avait pas côtoyée. La dernière l’avait laissé au bord de la route,
exsangue, vidé de ses forces, desséché comme une vieille figue des années
passées. Il avait mis des mois entiers à reprendre un peu de muscles. Au moins
assez pour, à nouveau être capable de sortir de chez lui.
Je me suis
dit qu’il ne serait pas facile, le moment venu, s’il venait, de la faire
sortir et d’ici et de ma vie. Mais je me suis souvenu avec plaisir de cette
blague Carambar qui m'avait très souvent sorti de vilains mauvais pas quand
elle ne m'avait pas, carrément, sauvé la vie :
Ne lutte
pas contre ce que tu ne peux éviter, accompagne le...
Quoiqu’il
en soit, pour l’instant, elle était là, assise dans la cuisine, face à la
fenêtre, les deux mains croisées, posées sur la table. Elle attendait. Dehors,
la nuit avait fini par envahir la cour et tous les bâtiments. Elle s’attaquait
maintenant aux premières rangées des tuiles des toits. Elle n’avait à ses côtés
aucun sac, pas même un des ces trucs qu’elles trimballent partout, dans lequel
elles ne retrouvent jamais rien mais qu’elles ne lâcheraient pour rien au monde.
Elle arrivait déjà au pied de la grande cheminée. Poussé par le noir qui
s’épaississait à vue d’œil, je suis entré à mon tour. Sans lui lancer un seul
regard, je suis allé m’occuper du feu. En plus de la lumière et de la chaleur
ça me laisserait quelques minutes pour penser à ce que je lui dirais si
je me mettais à pouvoir lui adresser la parole ce qui jusqu’ici n’était pas
encore très net. Il y avait quand même un sacré décalage entre ce que j’avais
envie de lui dire vraiment et les deux trois phrases qui s’étaient pointées
jusqu’à présent. On y verrait sans doute un peu plus clair une fois que les
flammes crépiteraient, que la chaleur nous gagnerait, je me suis dit bêtement.
C’est que dans ce coin, le gros de l’hiver une fois passé on pouvait avoir l’impression
d’en être débarrassé mais il en va de lui comme des ennuis : une fois
accrochés à vos bas de pantalons, il faut plus d’une ruade pour s’en défaire.
Il pouvait faire de belles journées mais les nuits étaient encore d’un froid à
ne pas mettre un thermomètre dehors. Voilà pile ce dont il ne voulait pas
parler avec elle. La météo, le chaud, le froid, la pluie. Il fallait déjà être
assez intime avec quelqu’un pour échanger sur de telles banalités. Avec elle il
aurait aimé aller droit au but et lui demander :
Alors,
raconte ! Qu'est ce qui vous est arrivé? Qu'avez vous fait? Comment ça
s'est passé?
En
s’occupant de souffler sur les braises pour faire enfin démarrer ce foutu feu,
il en a profité pour la regarder du coin de l’œil. Elle, toujours immobile, sagement
assise les mains croisées. Il n’a remarqué aucune tâche brunâtre qu'on aurait
pu prendre pour du sang. Ni sur ses mains, ni dans ses cheveux, ni sur
ses vêtements :
Dieu Soit
Loué, si elle a fait ce qu’elle m'a dit, elle l’a fait proprement. C’est déjà
ça de gagné. Au moins, elle n’aura pas participé à un de ces épouvantables
carnages dont l'intérieur des journaux regorgeait. Au moins n'allait-on pas la
voir décrite dans quelques jours comme un monstre sanguinaire assoiffé
d'hémoglobine une lame entre les dents. Etait-elle, alors une fervente adepte
du travail soigné ? Une appliquée besogneuse? Mais pouvait-on, dans ce
sinistre cas, aller jusqu’au utiliser le mot travail ? Est ce que ce
n'était pas un poil exagéré? Déplacé?
Est ce que
ça n’était pas, là, pousser le bouchon un peu trop loin?
***
Il a dit:
___
Maintenant que le feu a pris, (il a pensé sans le dire: qu'il craque et crépite
comme un beau petit diable qui l'aurait aux fesses,) je vais aller préparer
votre chambre. J’en ai trois, là-haut, dont deux qui ne servent pas souvent…
Elle l’a interrompu :
___ Si ça
ne vous embête pas, et si elle est libre, j’aimerais dormir dans celle qui est
au fond du couloir, je la connais mieux que les autres, je m’y sentirais plus
en sécurité.
J'avais
failli la prendre quand je m'étais installé mais j'avais renoncé à cause de la
laideur du papier peint.
___
Comment ça vous la connaissez mieux que les autres ? Ainsi, vous
connaissez déjà la maison ? Vous y êtes déjà entrée?
Après un
long silence durant lequel les bûches se sont mises à crépiter comme des
chapelets de pétards chinois, elle a dit :
___ Si je
la connais ? J’y ai vécu plus longtemps que vous, vous savez...
Ça ne
devait pas être trop difficile, je n’allais y passer que mon troisième hiver, seulement.
J’avais débarqué ici par hasard. Alors que je faisais du Sud, un pneu avait
éclaté sur l’autoroute. Après avoir échappé de peu à l’accident, j’avais changé
la roue et pris la première sortie pour le faire réparer ailleurs que chez les
garagistes gangsters. Et pour me remettre de mes émotions. C’est comme ça que
j’avais connu le coin. Je devais y passer deux heures, j’y étais resté trois
jours, la première fois. C’est en me promenant dans les parages que j’avais vu
le panneau à vendre. Là où j’en étais, il y avait, ici, tout ce dont j’avais
besoin. Une colline, une vue à perte, des arbres, des oiseaux dans les arbres,
un ciel, des nuages l’habitant, des oiseaux y volant, une rivière en bas de la
colline, des étangs autour des champs, des routes larges comme UNE seule
voiture, des chemins truffés de ronces pour les mûres de fin Août, un silence
habité… Le temps qui s’y écoule autrement qu'en ville. D’après ce qu’il avait
pu voir, les saisons s’y comportent comme elles le doivent. Elles ont la bonne idée
d’être quatre, reconnaissables et le bordel climatique, irréversible et,
désormais, mondial ne serait apparemment pas encore arrivé jusqu’ici. On s’y
pèle en hiver, le Printemps y éclate et ainsi de suite...
Je crois
bien me souvenir que j’avais dit: je signe au type de l’agence sans même être
entré à l’intérieur. Je n’avais pas vraiment eu envie de voir la tête de ce
qu’il fallait rafraîchir ! Il y a un Bricarama à cinquante bornes
m’avait-il précisé gentiment. Je n’ai jamais su si c’était un encouragement ou
une tentative de dissuasion… Et puis, devant l’ampleur des travaux à
entreprendre, si je les avais vus, j’aurais sans doute fait demi-tour. A cette
période de ma vie, le seul chantier auquel j’entendais consacrer le peu
d’énergie qui coulait encore dans mes veines, était moi-même. Et il y avait un
sacré boulot. Il fallait pratiquement repartir de zéro. Tout était à revoir. Ce
n’était plus d’un rafraîchissement dont il était question mais d’une
reconstruction. Il ne s’agissait pas de descendre deux ou trois murs, d’en
remonter certains, de repeindre quelques pièces, de réajuster les tuiles, d'en
changer pas mal, d’isoler une toiture, de reprendre un circuit électrique, de
remettre toute une plomberie aux normes, de pouvoir se laver avec de l’eau chaude,
de reprendre tous les sols que le gel avait bousillés et les plafonds que la
flotte avait détrempés. Non, il y avait bien plus de travail que ça et ceux là
me permettraient, au moins de remettre ceux-ci à plus tard.
___ Moi,
je ne vous ai jamais vu dans les parages, j’ai dit.
___ On ne
vous a pas vu beaucoup dehors non plus ! Elle m’a répondu. Elle a
repris :
___ Depuis
trois ans que vous êtes là.
Ainsi
donc, elle ne venait pas de bien loin. Ainsi donc, elle connaissait
parfaitement le coin, ainsi donc elle avait habité cette baraque dans laquelle
j’habitais. Bientôt j’allais apprendre que c’était ma sœur, si ça se
trouve !
___ Dites
c’est vous qui aviez choisi les papiers dans les chambres ? J’ai demandé.
___ Non,
pourquoi ?
___ Pour
rien, mais tant mieux, je préfère…
Et je l’ai
laissée avec ça tandis que je montais l’escalier pour aller mettre une paire de
draps sur le lit de ma visiteuse surprise.
Quand je
suis entré dans la chambre, j’ai été saisi d’un sentiment troublant. J’allais
préparer la chambre de quelqu’une qui venait de débarquer, et avec quels soit
disant bagages… Une femme qui connaissait déjà la baraque, qui y avait déjà
habité et qui y revenait comme s’il s’était agi d’un gîte d’étape. Je n'avais
pas osé lui poser la moindre question sur ce qui l’amenait là. J’étais un gars
bizarre quand même. Tu le sais bien que tu es un garçon un peu étrange ?
Le sais-tu ? (J’avais, durant tous ces mois de solitude, pris l’habitude
de me parler tout haut. Quand je prenais une mesure, je me disais de bien la
retenir, quand j’avais un choix à faire, je pesais le pour et le contre à voix
haute pour bien entendre les différents arguments et, ma foi, jusque là, ça
n’avait pas trop mal fonctionné. Il serait dur de me défaire de ce travers
d'autant que je n’étais pas prêt à changer ma manière de fonctionner.)
Peut-être que, dans le fond, je m’en foutais royalement des raisons qui
l’avaient amenée là? Chacun ses emmerdes, après tout. Les siens ne sont pas les
miens. Elle me demande de l’aide, si je peux et là, je peux. Je lui en propose
et basta. On n’a pas vécu ensemble, elle et moi. Elle veut un toit, je la mets
sous le mien et c'est tout, il n’y a rien de plus à dire. J’ai fait le lit avec
les premiers draps que j’ai attrapés dans l’armoire. Comme d'habitude, je me
suis bien emmerdé avec l’enfilage de la couette dans la housse. On était au
vingt et unième siècle, on avait visité la lune, envoyé des tas de trucs sur
Mars ou aux confins de la galaxie et on n’était pas encore foutu d’avoir
inventé un système plus pratique que celui là pour couvrir une
malheureuse couette deux places. Voilà ce que je me disais, fourrant
l’enveloppe en pestant. Et puis, je suis redescendu, en nage. Elle s’était
assise près du feu, pour s’y réchauffer. Ce qui en soi n’était pas si bête.
___ Votre
chambre est prête, je lui ai dit. Mais vous avez peut-être faim ? Vous
voulez manger quelque chose ? Boire ?
___ Non,
je vous remercie, je n’ai besoin de rien sauf de dormir. Je vais monter.
___ Si
vous voulez vous doucher… J'ai ajouté en parfait hôte d’accueil.
Intérieurement,
je me maudissais de lui proposer la panoplie complète de la chambre d’hôtel. Et
pourquoi pas le room service, aussi?
Tu as
oublié les circonstances mon pauvre ami !
Elle s’est
levée, elle a attaqué l’escalier et sans se retourner elle m’a dit : Bonne
nuit. J'ai salué en silence et comme il le méritait son grand esprit d'à propos
et je me suis surtout efforcé de ne pas la regarder monter, je n’ai pas
voulu la voir de dos, je n’ai pas eu envie d’avoir, d’autre pensée que : Comment
vais-je me sortir de là ?
***
Elle, elle
n’était pas comme celui que j’avais allumé. Elle n’a pas fait long.
Je l’ai
entendue se coucher, je tendais si fort les deux oreilles que je l’ai même
entendue éteindre la lumière et, telle une buse en chasse, j’ai perçu sa
respiration devenir plus forte comme celle de quelqu’un qui dormirait. J’avais
vu juste, une dizaine de minutes après avoir fermé la porte ce sont les
paupières qu’elle a fermées et c’est dans un sommeil profond qu’elle a foutu le
camp. Un refuge ? En cas d’extrême tension, il arrive que le corps se
relâche au point de pratiquement s’affaler, s’évanouir comme s’il était ivre de
fatigue et que la seule solution qu’il trouve
soit de s’endormir comme une brouette, les jambes écartées. Pour moi,
c’était plutôt le contraire. J’étais dans un état d’énervement tel qu’il était
absolument inutile que j’envisage, même l’idée de me mettre au lit. Si c’est
pour tourner et me retourner comme un pois sauteur merci bien. Autant aller
descendre la dernière cloison qui me restait à déglinguer dans la buanderie
pour ouvrir le mur Ouest de la grange sur le paysage, et ainsi, dans quelques
mois, avec une large baie vitrée, qui restera à poser, je pourrais prendre un
bain avec vue sur la colline. Le luxe absolu.
Voilà des
semaines que je remettais à plus tard cette démolition, le Destin m’avait
trouvé, enfin le moment rêvé pour m’y
coller.
Ca m’a
pris deux bonnes heures de temps et le peu qui me restait de forces. C’est les
bras tétanisés, les épaules en vrac que j’ai terminé la tâche. Il y avait un
mignon tas de gravats sous mes pieds qui, peu à peu apparaissait dans la poussière retombante comme le sommet
d’un volcan sort des brumes de l’enfer. Le boucan que j’avais pu faire n’avait
pas dû la déranger, on était à l’autre bout de la maison. Pour le déblayement,
je verrai plus tard. Rome ne s’est pas faite en un jour. Une bouteille d’eau
minérale gazeuse, une douche et au lit. J’étais, cette fois, comme mon
mur :mort. Avant d’éteindre la lumière, j’ai admiré encore une fois le tas
de briques brunes brisées, répandues sur le sol et je me suis laissé envahir,
c’était rare, par un sentiment de satisfaction. J’en étais venu à bout, enfin,
alors que voilà des mois que je retardais le combat prétextant que ça ne rimait
à rien, que je n’allais pas abattre toutes les cloisons de cette bicoque, que
j’en avais déjà dégagées pas mal, qu’un jour elle finirait par se venger, que
c’est sur ma tête qu’elle finirait par dégringoler, démolira bien qui démolira
le dernier… Avant de sortir de la pièce encore pleine des poussières rouges,
j’ai éteint la lumière. Je suis allé me refaire une propreté dans la salle de
bain du bas. Bon sang, ce que c’était froid, il faut dire que l’eau chaude
n’avait pas encore trouvé tous les tuyaux pour pouvoir arriver jusque là… Je
suis revenu devant la cheminée pour finir de me sécher. D’ordinaire, j’y venais
plutôt nu, mais ce soir là j’ai enfilé un tee-shirt et un vieux jean pour le
cas où ELLE se réveillerait et que lui prenne l’envie stupide de descendre. Ne
pas faire de bruit, être à l’écoute de ceux de l’étage, s’habiller avant de
venir se chauffer au feu, être obligé de prendre des précautions parce que
quelqu’un d’autre que lui était dans la maison lui a procuré une gène
désagréable. Il l’a vécu comme s’il s’était injecté un poison paralysant.
Depuis trois années, personne n’était entré dans ces murs, depuis trois années,
il ne prêtait attention qu’à lui. Ce soir, cette nuit, les choses avaient
changées et cette idée l’embarrassait. Il a commencé par éprouver de la colère
contre elle, et puis s’est vite repris : Elle n’y est pour rien tu n’avais
qu’à pas la laisser entrer et c’était réglé. S’il y a quelqu’un à qui en
vouloir c’est bien toi. Comme souvent tu as voulu faire le joli cœur, mon petit
bonhomme, te voilà épinglé dans la lumière des phares et tu te rends compte
combien c’est inconfortable.
Une fois
séché, je suis monté dans ma chambre et je me suis couché. A côté, bien que la
porte soit fermée, il y avait des signes qui montraient que ça dormait
profondément. Contrairement à elle, j’ai eu du mal à m’endormir. Cette présence
dans la maison comme si elle irradiait. Quand j’étais arrivé, ici, j’avais mené
une guerre sans merci aux fouines dans le grenier, puis aux chauves souris qui
trouvaient malin d’y passer leurs journées entières. Je m’étais toujours refusé
à ce qu’une autre personne que moi vive sous ce toit, j’avais très vite renoncé
à aller faire un tour à la SPA du coin, un chien me semblait un ennemi
redoutable. Je n’étais prêt à subir ni ses aboiements, ni ses crottes, ni son
odeur, ni ses poils semés partout, ni son attachement qui manquait
singulièrement de discernement. Je chassais les chats dès qu’ils pointaient
leurs moustaches à moins de cent mètres, je virais les pies quand elles
démarraient leurs colloques, j’engueulais les merles et leurs trilles du matin,
je boudais les mésanges… Il n’y a que les hirondelles que j’applaudissais.
Mais, pas quand elles revenaient, quand elles s’apprêtaient à mettre les
voiles. Et voilà qu’un autre être vivant dormait à moins de dix mètres…
C’est le
petit matin qui m’a réveillé. Dehors, les oiseaux avaient commencé leur bazar.
Le soleil n’avait pas encore frappé aux tuiles du toit. Cependant, il caressait
déjà le sommet des plus grands arbres.
Je me suis
levé en essayant de ne pas faire de bruit. Au moins prendre un café tranquille
sans avoir à répondre à rien. Je suis descendu après avoir essayé d’écouter ce
qui se passait dans la chambre d’à côté. Pas de bruit particulier. Elle en
avait en retard, je me suis dit.
Je me
sentais dans une forme éblouissante. Seules, mes épaules se sont rappelées à
moi. En bas, le feu était éteint mais son odeur flottait encore dans la pièce.
Pas si étonnant que ça puisque c’était du pin. En parlant de ça, je me suis
souvenu qu’il ne m’en restait plus un quignon. J’ai attrapé les clés de la
bagnole et j’ai pris la route du village le plus proche.
Ce matin, ce
sera pain frais.
Il suffit
qu’une femme se pointe et le pain frais se pétrit je me suis dit… Quelle jolie trompette tu
fais, mon garçon. J’étais d’humeur bienveillante à mon égard et ça c’est plutôt rare. Au
village, je suis entré dans le bar, boulangerie, épicerie, pharmacie, bureau de poste.
J’ai pris un journal local, je me suis approché du comptoir et j’ai commandé un
café. Les types qui étaient installés en sont restés comme des statues de
pierre. Et puis un a parlé :
___ N’y
voyez pas malice, mais c’est si rare de vous voir par ici, je crois que c’est
la première fois en trois ans qu’on vous voit et qu'on vous adresse la parole, alors on est surpris. Quelque
chose ne va pas ?
Je leur ai
répondu avec douceur, sans élever la voix.
___
J’avais du boulot dans la baraque, je m’y suis tenu mais là j’approche de la
fin, vous risquez de me voir plus souvent. M'en veuillez pas, je ne suis pas très liant, c'est vrai! Ils ont ri gentiment.
Et puis,
j’ai plongé dans les feuilles. Je cherchais évidemment les pages des faits
divers voir s’il n’y avait pas le récit d’un soir de folie, mais je n’ai rien
trouvé.
Si je
revenais un jour, ce ne serait pas pour le café qui était dégueulasse, mais je
tenterais bien le coup à boire un de ces quatre et puis leur accueil m’avait
touché. En plus, ils ne m’avaient posé aucune question. Ça oui j’avais aimé. Je
les ai salués, j’ai payé et j’ai pris le chemin du retour.
Arrivé
dans la cour, passé le porche sous lequel elle était apparue la veille au soir,
c’est le silence qui régnait en maître. Aucune trace de vie. Un beau silence
lourd, habituel.
Je suis
entré dans la maison. Le même. J’ai tendu l’oreille vers l’escalier. Rien. J’ai
posé les baguettes de pain frais sur la table et j’ai préparé un café. Un bon, cette fois.
De là haut, toujours aucun bruit.
J’en ai eu
marre. Je suis monté dans l’escalier, j’ai frappé à la porte avec la pliure de
l’index et comme rien ne se passait, j’ai ouvert la porte délicatement. Il n’y
avait personne dans le lit qui était rangé à quatre épingles, la fenêtre était
ouverte en grand, les volets, eux, avaient été laissés fermés. A moins qu’elle
apparaisse en bas, il fallait bien que je me rende à l’évidence, elle avait levé le camp. Je me suis souvenu en souriant de cette blague Carambar :
Le problème vient de celui qui croit au mensonge.
J’ai
descendu les marches. Je me suis installé à la table. Malgré sa disparition, j’avais l’appétit
d’une colonie d’ogres. J’ai dévoré la baguette entière que j’avais coupée en
deux dans le sens de la longueur et tartinée de confiture. En mâchant à
pleines dents, en mordant dans la croûte brune du pain frais, je me suis senti différent.
Assis
devant le bol de café, des miettes plein la table, tout autour du bol vide, dans
la maison redevenue paisible, m’en est revenue une autre :
Il ne faut pas grand chose pour changer le cœur d’un homme!
En
me dépêchant de poser le bol dans l’évier, j’ai encore souri en pensant :
sacré Carambar, impayable…
C’est
que j’avais une baie vitrée entière à
poser, moi.
Peut-être,
qui sait ? Un jour... je me suis dit. Maintenant qu'elle s'est souvenue du chemin…
Aussi, les cinq mois qui ont suivi je me suis attaché à finir tous les travaux. Bien sûr, j'ai laissé le grand portail toujours ouvert... Bien entendu, la chambre du fond s'est tenue prête.
Evidemment, jusqu'à aujourd'hui compris, j'ai attendu...
Aussi, les cinq mois qui ont suivi je me suis attaché à finir tous les travaux. Bien sûr, j'ai laissé le grand portail toujours ouvert... Bien entendu, la chambre du fond s'est tenue prête.
Evidemment, jusqu'à aujourd'hui compris, j'ai attendu...
18 commentaires:
En fin de conte c'était une sirène !
Elle vous a filé entre les doigts comme une anguille et l'histoire finit en queue de poisson :))
@ Tilia Disons ça!
Elle est partie à l'anglaise vers l' Italie. Elle reviendra avec un Dalmatien ou un dresseur d'oiseaux ou les deux.
Un seul être arrive et tout est chamboulé!
Papageno
@ Papageno Flute! C'est que ça doit chambouler, non?
Rêve réalité à force de vivre seul ,l'imagination travaille ...Est-elle vraiment venue ?
On ne le saura jamais !!! Un seul être vous manque te tout est dépeuplé (ça c'est pour faire écho au com juste au dessus )
Ton histoire me laisse sur ma faim tout de même ...
Bon lundi
Caramba ! Sapristi ! Saperlotte !
La présence de cette fantômette vous a donné des forces de buldozer pour abattre une cloison en deux heures en pleine nuit... Les insomniaques, c'est bien connu, ont des forces décuplées pour accomplir ce qu'ils repoussaient toujours, pour X bonnes raisons.
Dépêchez-vous de l'installer, cette baie vitrée : elle vous permettra de souffler en profitant du paysage et, en même temps, tiendra lieu de mirador pour LA voir (re)venir... "sortant de dessous le porche dans la pleine lumière"...
Si vous planifiez bien vos travaux sur une liste (à ne pas perdre !) par ordre d'urgence et de difficulté, le chantier va avancer à une allure que vous n'imaginez pas...
Au début, ça se passera sans paroles... Elle connaît la maison, les habitudes ; elle reviendra, sans billet de logement, montera directement l'escalier, sans un mot, ira se blottir sous la couette pour dormir, puis disparaîtra en douce, chaque fois, sans un bruit, au petit matin. Vous n'y prêterez même plus attention.
Quand elle aura fini de descendre tous les hommes de sa vie et qu'elle aura besoin, à son tour, de se défouler, vous verrez que, sans un mot, en pleine nuit, c'est elle qui prendra le marteau, la masse pour cogner dans les cloisons, la truelle, le rouleau ou le pinceau pour les finitions.
Et un beau matin, vous l'apercevrez, par la baie de la grange, se volatilisant, "belle comme un jour d'avril, le bas de son manteau de laine épaisse dansant autour de ses jambes"
Ne restera plus d'elle, dans la maison calme et pimpante, glissée sous la tasse à café au coin de la cheminée, que la longue liste, cochée d'une croix jusqu'à la dernière ligne, sans en sauter une.
Finis les travaux, les déblais, les gravats...
Finis les lumbagos, finies les sciatiques, finies les épaules en compote...
Enfin tout le temps pour passer à une autre histoire... :-)
Bonne rentrée à vous, pleine de bonnes "résolutions" !...
A chacun sa part de vacances. c'est mon tour :-)
@ Brigitte Sur ta faim... Pour l'instant!
@ Odile Vous les méritez mais profitez aussi, un peu, pour ceux qui y retournent!
@
A regret, je suis un peu obligé des les abandonner là où ils sont... Mais je reviendrais voir ce qu'ils deviennent, ce qui leur arrive, ce qui leur est arrivé, comment ils s'en sortent...
Mais, mais ... ça ne peut pas finir comme ça cette histoire ! Laisser le lecteur s'inventer toute la suite, ce n'est pas possible quand même !!! Dis, tu nous dis e qui arrive après ? :)))
@ Laurence C'est gentil de vous intéresser à eux! Mais c'est un peu compliqué et puis je ne peux pas m'occuper d'eux tout le temps! Ils vont se débrouiller un peu, je reviendrais les voir et vous donnerais de leurs nouvelles!
Moi je l'aime bien cette fin provisoire..a chacun d'y trouver une inspiration...
et puis je suis contente pour lui...
cette rencontre est comme une renaissance..
qu'importe le flacon...
Et si elle est partie ce n'est peut être pas plus mal...au final..:)
Merci d'avoir donné suite a nos envies...
Bonne rentrée littéraire a vous Mr Chri..
@ Clo Merci à vous!
et bien quelle histoire ... serait ce le début de la fin !
attachants comme toujours vos personnages Chriscot ..
vivement la suite
@ Véronique Oui, comme vous dites!
A vous lire, je me dis qu'un de ces jours, la rentrée littéraire verra apparaitre un nouveau nom (Certes il faut aimer la concurrence !).
@ M .......................... sans voix........................ Merci!!!
@ M A ce propos, j'ai lu le Djian et les lisières d'olivier Adam et ça m'a bien beaucoup plu.
Je les ai repérés aussi, dès que le calme s'installera un peu !
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