15 septembre 2013

C'est après que le froid l'a pris.


                                 Il savait maintenant, que c’est au-dessus de Saumane qu’ils étaient allés marcher le lendemain de son arrivée. Il  le sait parce qu’à chaque fois qu’il  monte là-haut, même vingt sept ans après, quand il arrive sur l’esplanade toute proche de l’église et que le paysage s’ouvre d’un coup sur le Grand Lubéron à gauche,  les Alpilles au loin, et la montagne de Cavaillon un peu plus près, il a, très vite, le ventre qui se noue, la gorge qui se serre et les mains qui tremblent… Et, ça lui fait le même effet quand il y monte à jeun... Il est pourtant du genre de ces types qui ne se rappellent ni de rien, ni de rien. De ceux qui oublient tout ce qu’ils vivent, de ceux qui ne marquent pas, de ceux qui n’ont aucune cicatrice. Nulle part. Il a su aussi, longtemps après, qu’elle avait été heureuse qu'il vienne bien qu’elle n’en ait, durant ces jours là, rien laissé paraître. C’était de bonne guerre. Leur histoire était un peu compliquée pour qu’ils autorisent leurs émotions à simplement se montrer, De peur d'être très vite submergés. Pour avoir contenu, ils avaient contenu…
Là-haut, le village dépassé, le mistral jouait au lanceur de couteaux Inuits, il leur en balançait plein la figure dès qu’il le pouvait. Mais lui n’avait pas froid. C’était en plein  Février, la terre était tendue comme la peau d'un cheval apeuré mais il n’avait pas froid. Il gelait à roches fendre mais il n’avait pas froid. Ils sont allés s'asseoir sur une pierre plate face au paysage dégagé de ses nuages comme une nuque par une tondeuse folle. Le ciel était bleu électrique et ils ne ressentaient pas le  froid. Ils y ont croqué chacun dans une pomme et vidé une bouteille d’eau. Il lui arrive d’avoir encore en bouche le goût de la pomme… Pas celui de l'eau. Il était arrivé la veille au soir à la gare de la grande ville, déserte et bousculée par le vent  fou furieux qui ne supportait rien d’immobile. Tout ce qu’il pouvait faire voler il le faisait. Il s’attaquait même aux immeubles mais là, il pouvait toujours souffler. Papiers gras, feuilles plastiques, emballages, sourires, tout. Les rares humains encore aventurés n’y tenaient pas longtemps. Tous se dépêchaient de s’enfuir enfouis sous des épaisseurs de laine. Il n’y avait plus que son sac et lui d’à peu près vivants sur ces quais. Elle lui avait laissé faire seul et à pieds les deux ou trois cent mètres qui séparent le quai du premier bar encore ouvert, qu’il ne croit pas que tout soit acquis, qu’il ait le temps de bien mesurer la chance qu’il avait d’être là, la chance qu’il allait toucher de très près d’être attendu par quelqu’un comme elle.
Ça, c’est lui qui se le disait. Lui, il était simplement heureux d’y être mais en même temps, il ne pouvait pas ne pas penser à tout le reste et ça lui gâchait salement le plaisir. C’est qu’en partant, il avait laissé du monde sur le quai…
Ils  avaient pris un pot en ville comme un sas avant d’aller chez elle. Enfin chez elle… Chez sa mère, là où elle était venue en vacances pour une belle semaine. Une petite maison en pleine campagne à une vingtaine de kilomètres de la ville. Pas très loin de l'endroit où il habitait désormais. En sortant du bar, le temps de rejoindre la voiture ils avaient reçu encore quelques belles paires de claques. Mais ils n’avaient toujours pas eu froid.
Ils avaient été accueillis par une chaude chaleur humaine ET un feu de cheminée. Ils  s’étaient allongés devant elle et ils ont eu doucettement envie que ça dure un siècle ou deux. Ils ont choisi de passer la soirée à s’en dire mais de légères de peur d'alourdir… Ils ont aussi vidé une pleine théière bouillante et une boite entière de sablés au caramel et puis ils sont allés se coucher. Ils n’ont pas dormi de suite mais après, ils ont dormi intensément.
Le lendemain, ils se sont réveillés dans les bras l’un de l’autre, leurs corps étaient découverts mais ils n’avaient toujours pas froid… Le petit déjeuner pris, ils se sont couverts et ils sont allés marcher sur les hauteurs de Saumane . Ils ont posé la voiture sur le grand parking un peu au-dessus du château...

Deux jours plus tard, il reprendrait le train et là, bien que le mistral ait complètement calé, il se sentirait profondément gelé... 
Mais cette fois de l’intérieur…





4 commentaires:

M a dit…

Qu'y a-t-il de plus frileux qu'un cœur exsangue ?

chri a dit…

@ M La réponse est facile... Deux coeurs exsangues :-)

Anonyme a dit…

Du Chriscot et du meilleur !
Continue à fréquenter les gares et Saumane !
Tatie

chri a dit…

@ Tatie Merci Tatie! Signé Chri.

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