02 septembre 2011

Le soir du feu.

Le jour n'était pas encore levé qu'il faisait déjà chaud. 
Nous avions passé une bonne partie de la nuit la bouche ouverte sous le robinet d’eau froide et pour certains sous le tuyau d’arrosage, nus, à même le jardin. Ces températures, par ici, ne surprenaient personne. Ce pays savait être gelé en hiver et brûlant comme un four de braises lors de quelques nuits de Juillet. Ici, dans les rivières, à la fin du Printemps, les truites avaient appris à nager sur le sable. Ici, dès Juin, on donnait aux vaches des noms de dromadaires. Ici, vers le quinze de Juillet, même les pierres avaient soif et transpiraient comme des coupables.
La veille, nous étions allés, en douce, acheter un nécessaire à feu. C’était la surprise. Personne n’était au courant, sauf ceux qui venaient depuis quelques années déjà. La tradition s’était assez facilement installée, le douze au soir, la nuit tombée, on tirait un feu. On avait choisi le douze pour éviter la concurrence avec ceux des villages alentour qui faisaient ça ou le treize ou le quatorze avant les bals des pompiers volontaires. On avait misé sur le douze pour qu’il soit tiré AVANT les autres, le notre étant évidemment moins prestigieux. Nous n’avions pas les moyens d’une mairie. Le notre était vu de nous, de nos voisins les plus proches et de certains habitants du hameau. Il faut ajouter à cette liste les deux ou trois familles qui vivaient dans les gîtes pour cette période. Ce qui finalement faisait un joli public.
Nous avions ramené du super de la ville la plus proche un kit de feu domestique qui comprenait une dizaine de fusées, cinq ou six feux de Bengale, deux fumigènes comme celles qu’on voit lors des arrivées de transat, quelques abeilles stridentes et vrombissantes, un paquet de pétards en rafales et cinq ou six autres trucs qui sentaient la poudre et la Chine à pleins nez. Le repas, nous l’avions pris comme d’habitude à l’abri du vent qui soufflait légèrement ce soir là, entre les deux maisons. Nous avions mangé des salades et des grillades arrosées d’un Rully frais. Les bouteilles s’étaient descendues gentiment toutes seules et, ma foi, en nombre pour les participants. Sur le liquide nous n’avions pas été raisonnables. Mais on s’en foutait, on n’avait plus à conduire. Juste à aller, dans le noir, s’installer avec nos chaises au bout du terrain, sous le massif de lilas vers la grande prairie. Et, ceux qui n’avaient plus l’envie ou la force de porter leurs chaises pouvaient y aller avec un seul coussin. Dès le fromage, un petit groupe avait filé installer les fusées dans les restes des bouteilles d’eau minérales en plastique alourdies de sable pour que le tout ait quand même un peu d’allure. On avait aussi acheté des briquets tempêtes pour ne pas tomber en panne de feu. Bref, malgré la modestie on essayait d’en faire un spectacle qui marque. On n’allait pas être déçu.
Un peu ivre, c’est une troupe vacillante qui est sortie de table ce soir là et s’est dirigée vers la Prairie. Patou avait embarqué la dernière bouteille dans laquelle il restait de quoi écluser quelques verres. C’est Marie qui s’est mise à chanter la première. Cathy a embrayé assez vite. Bernard, quant à lui, était passé dans la maison pour attraper une flasque de génepi qui restait de l'hiver dernier. Enfin, chacun à sa manière s’est préparé au feu.
Le ciel dans ce coin là était noir comme une chanson de Miossec que Marie s’était mise à brailler à tue-tête et personne ne lui disait: Moins fort! vu que, maintenant, tous les autres s’égosillaient avec elle. 
Au-dessus de leurs têtes qu'ils commençaient à perdre, des milliards d’étoiles s’étaient pointées au concert et certaines se détachaient pour venir, en pluies de lumière, dégringoler sur les têtes de cette bande d’hurluberlus vaguement souls, mais encore présentables. Ils se sont assis à même le frais de l’herbe. Au loin, on devinait les lueurs de Nierre, celles qui restaient allumées toutes les nuits à cause que les malfrats y commettent des méfaits comme le susurrait d’un air entendu cet imbécile fraîchement élu…
La première fusée à fait flop juste après le décollage. Ce qui les a tous pliés de rire. La deuxième est montée droit au noir, puis a éclaté. Elle est retombée en corolle rouge sous des exclamations béates et un peu forcées. C’est dès la troisième que ça a commencé à merder. En retombant, elle a foutu le feu à l'herbe sèche comme un Mojave sous chalumeau. L’incendie poussé par une brise légère a remonté vers la compagnie qui s’en est bien amusée, au départ… Quand les flammèches ont léché les premières tongs, ils ont levé le camp en catastrophe et ils sont remontés vers la maison en courant. Mais le feu les a poursuivi, dévorant tout ce qui se présentait. Les lilas avaient fini de fleurir… C’est Ber qui a eu l’idée de génie : il a enclenché l’arrosage automatique et a ordonné à tout le monde de plonger…
Quand les pompiers du coin se sont pointés, vaguement endormis, le feu était éteint depuis longtemps… mais, à cette heure de la nuit… Ils ont un peu rigolé quand ils ont vu tout le beau monde, encore habillé mais trempés, tenant à peine dans la petite  piscine de plastique bleu …

Dans leurs moustaches de bourguignons soldats du feu, ils se disaient : Savent plus quoi inventer pour se désennuyer, ces parisiens...



Malgré le feu...

7 commentaires:

véronique a dit…

Alors là, ce n'est pas la musique qui manque Chriscot, mais les images .... enfin, plutôt non, parce que justement elles défilent dans ma tête comme si j'étais au cinéma !
je vous verrai bien scénariste de films aussi, courts métrages pour commencer !

chri a dit…

@Véronique... Moi aussi! J'adorerais ça!

Tilia a dit…

La Provence, c'est bien l'hiver.
L'été, rien de vaut le Finistère.

Les prix des caméras numériques sont en baisse. Faire un court métrage va bientôt être à la portée de tout le monde. Suffit d'avoir un scénario, pas un problème pour vous ça, Chri !

clo a dit…

Merci pour ce petit moment sourire...:o)

chri a dit…

@Tilia J'aime bien votre proverbe!
@Clo: Je suis content de votre sourire!

nathalie (Avignon) a dit…

Un incendie qui s'éteint avec l'arrosage automatique et dont on se protège en plongeant dans la piscine des bébés, on en rêverait par ici ! En tout cas l'histoire est génialement racontée. D'accord avec les autres : ça ferait un scénario d'enfer.

chri a dit…

@Nathalie Merci, ce serait un très très très court métrage!

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