___ Tu ne dis rien ?
___ Parce qu’il faudrait que je dise quelque chose ?
___ Je suppose que tu as des choses à dire, non ?
___ Ecoute, ça part assez mal cette histoire… Tu supposes, tu supposes… mais tu te trompes ! Tu m’annonces de but en blanc, entre le fromage et la mousse que nous c’est fini… que nous allons nous quitter, enfin que TU vas me quitter… je veux croire que tu n’as pas pris cette décision sur un coup de tête, qu’elle est, comme on dit, mûrement réfléchie, que tu y as un peu pensé avant, que tu as, comme on dit «préparé ton coup», que tu ne changeras pas d’avis… C’est, il me semble, avant tout ça que nous aurions pu parler un peu. Là, j’entends ce que tu viens de me dire, je le reçois comme on reçoit un semi-remorque dans son salon... Hé bien, je n’en n’ai rien à dire. Que veux-tu que je dise du reste ?
___ Je ne sais pas, ce que tu ressens…
___ Tu voudrais donc qu’en plus d'encaisser cette gentille nouvelle je t’en dise quelque chose… Tu ne trouves pas que tu m’en demandes un peu trop ?
___ Tu ne ressens rien, alors ? Je le savais. Je m’en doutais. Je te quitte et ça t'est égal, calme plat, rien, le vide... Tu m'épouvantes, tu le sens ça?
___ Tu pousses un peu, là, si je peux me permettre. Que je n’ai rien à dire ne signifie pas que je n’en pense rien. Tu as de ces raccourcis… Tu aimerais, sans doute, me voir trépigner, me jeter à tes genoux, qui sait, recevoir une belle paire de gifles, une de celles qu’on sait mériter…
Tu aimerais que je m’emporte, que je hurle, que je proteste, que je t’insulte, que je pleure? Si ça se trouve? Ou bien souhaiterais-tu m’en vouloir pour quelque chose et ainsi ne pas me quitter pour rien, comme ça, dans un souffle parce que les choses ont changé, c’est ça que tu désires ? Je suis désolé mon bel amour, tu n’auras droit à aucun de ces plaisirs. Je ne t’offrirais aucun de ces bonheurs. Je ne t'accorderais aucune de ces grâces. Tu vas devoir affronter ça toute seule. Je ne t'aiderais pas. Du reste, j’en ai déjà trop dit.
___ Voilà tu te tais, finalement c’est ce que tu fais le mieux… Depuis toujours. Elle me cherchait vraiment querelle et je n’avais rien vu venir. J’étais si éloigné de ça… J'avais passé une bonne partie de l'après-midi à courir dans toute la ville pour trouver les meilleures tablettes... Elle venait de plonger sa petite cuillère dans le brun du ramequin de mousse au chocolat que j’avais préparé. Comme d'habitude, avec amour et un zeste de citron. J'avais cavalé partout pour trouver des gaufres de chez Meert (celles à la vanille de Madagascar). J'en ai dégoté chez un épicier arabe qui avait vécu vingt ans à Lille et qui s'était installé plus au Sud pour se rapprocher de chez lui. Encore à Lille mais sur la Sorgue... C’était son dessert préféré. Nous avions dîné sur le canapé devant la télé qui était restée éteinte, en attendant le film du soir, un truc en noir et blanc que nous avions vu plusieurs fois, nous avions juste posé un CD de Weather Report (Black Market, Joe était au plus mal et cela nous attristait) sur la platine, en attendant la bonne heure, la musique envahissait la pièce, elle avait bercé notre jeunesse et le repas. Elle m’avait seulement dit en posant les assiettes sur la table basse :
___ J’ai un truc à te dire…
___ Oui, quand tu veux.
___ Pas maintenant. Après le repas.
Et puis plus rien. Elle a englouti sa mousse avec des hummm et des hummm et une mine de chatte alanguie s’offrant à un doux soleil d’automne. Je la trouvais belle comme un rayon…
___ Je voulais juste te dire…
Comme pour retarder un peu l'échéance, repousser un poil ce que j'allais entendre, j'ai tenté un:
Comme pour retarder un peu l'échéance, repousser un poil ce que j'allais entendre, j'ai tenté un:
___ Quoi, elle n'est pas bonne? Tu avais l'air de te régaler, pourtant? Là, je me suis mis à transpirer doucettement, j’ai senti les gouttes se former, en haut, sur mon front… J'ai commencé à trembler de la jambe gauche (celle qui tremble toujours en premier en cas de trouble)...
Mes acouphènes se sont mis à me susurrer Ramona... Mes mains se sont enmoities, je les ai essuyées en douce sur le lin du canapé en me tordant la bouche. Elle a repris:
___ Je voulais juste te dire... Puis, après un siècle et demi de silence... Je suis bien avec toi. J'aimerais bien que ça dure...
Alors, vous comprendrez qu'après ça, j’ai tout bien nettoyé le saladier, avec tous les doigts, un sourire un peu stupide bretellé au visage, des pépites fondues collées au coin des lèvres et une petite musique joyeuse dans la cervelle…
Elle m’a tendu les mains, appelant un blotissage…
J’étais dans le creux de ses bras, enfoui dans son odeur, j'avais deux ans et demi, du chocolat sur le nez, j'étais repu. Je tutoyais le bonheur...
Repu ET pour un temps rassuré.
6 commentaires:
ouf... j'ai eu peur ! Un homme qui se met en quatre pour préparer une mousse à sa douce ne méritait pas qu'elle lui dise "allez ouste"
@Lautreje Moi aussi j'ai eu peur que ça se termine mal cette affaire et pour une fois ben... non!
ouf ! j'ai eu peur aussi ...
mais le chocolat ne fait il pas des merveilles ! il vous engourdit les neurones, vite fait .. mine de rien !
et puis votre mousse est dense ... je comprends mieux :o)
envie de plonger ma cuillère dans votre photo dites donc !
@Véronique La recette est celle de Michel Oliver... La première fois que je l'ai faite, je n'ai pas lu la dernière phrase de la recette qui disait: Mélangez très délicatement les oeufs en neige et le chocolat pour obtenir un mélange parfaitement homogène...
Dans mon saladier, j'avais juste du chocolat liquide sur des oeufs montés en neige...
Nous étions loin de la mousse...
Happy end ... pour une fois, l'amoureux ne se retrouve pas chocolat.
Slev
@Slev: Oui Slev c'est plutôt rare... Un effet de la mousse?
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