L’autre soir, en rangeant des vieux papiers, je suis tombé sur deux pages à l’encre estompée, écrites à la main d'une très belle écriture. Là, ému, j'ai fini par reconnaître l’écriture de mon grand-père. Je me suis assis et j’ai lu :
A cette période, j’avais été très heureux de trouver un petit boulot dans un bar qui faisait aussi hôtel, rue du Faubourg Saint Honoré près des halles. J’y passais quatre à cinq heures par jour, au bar, à nettoyer les verres, les essuyer et le soir, en fin de journée, après la fermeture, vers les onze heures j’y revenais pour nettoyer le sol. Je n’avais pas trop besoin de diplôme, juste d’un peu de bon sens et d’huile de coude. Il arrivait qu’on me demande aussi de veiller la nuit quand le veilleur officiel était trop saoul pour arriver jusque là. Ainsi, tout le monde y trouvait son compte. Lui par ce qu’il restait dormir chez lui sans être viré, moi parce que je doublais ma journée. J’aimais bien ce boulot, on voyait du monde passer, on parlait un peu avec des tristesses. On entendait pas mal de conneries, aussi, mais certaines étaient à mourir de rire.
Et puis, une fois que tout se calmait, j’avais la nuit devant moi pour lire sans être dérangé. Je me calais dans un des fauteuils club du salon, je n’allumais que la petite lampe, je passais derrière le bar et je me servais un verre que je revenais siroter en plongeant dans mon livre en cours. Jamais de nouveautés, je profitais du calme de ces nuits pour relire des livres que j’avais aimé. Comme on réécoute une musique qui nous a bercé. Il m'arrivait d’interrompre ma lecture pour partager un autre verre avec un ou une qui rentrait à cheval sur une licorne, vaguement attaqué(e) ou bien stupidement défait. Il fallait à cet instant tenter de savoir si ça n’allait pas être le verre de trop et si l’on pensait que oui, plutôt convaincre de monter se coucher. Maintenant. Si, si je vous assure, c’est plus raisonnable, demain matin vous me remercierez… Allez vite filez, couchez vous et dormez…
Il était rare que ça se passe aussi bien. Très souvent, les gens se croient plus forts que l’alcool… S’ils savaient. Et comme la plupart du temps leur jugement est sévèrement entamé… Heureusement que j’étais assez costaud et que j’arrivais à les monter jusqu’à leurs chambres. Il m’est arrivé d’en coucher certains dans la baignoire, un oreiller sous la nuque…
Une nuit de Décembre, vers le plein milieu, vers deux ou trois heures du matin, c’est un jeune couple qui a sonné à l’entrée… Un tout jeune couple. Si jeune que j’ai failli leur demander leurs cartes d’identités et puis comme ils semblaient avoir froid et qu’ils avaient le prix d’une chambre en liquide, je les ai laissé entrer. Ils ne me voyaient pas, j’aurais pu être un ours qu’ils ne s’en seraient pas rendu compte. Ils se regardaient l’un l’autre comme aspirés. Ils se tenaient les mains ou plutôt ils s’enlaçaient les doigts et se les serraient si fort que les articulations en étaient devenues blanches… Je leur ai donné la vingt huit, bien qu’elle soit en attente de travaux de rénovation. Je me suis dit qu’ils se foutraient pas mal du papier jauni puisqu’ils se bouffaient des yeux… En même temps, un si grand bonheur c’était blessant pour les autres, pour ceux qui sont en attente, pour ceux qui espèrent, pour ceux qui ne voient rien venir, pour ceux qui sont seuls…
J’ai refermé la porte. Si j’avais su…
Et puis, on ne les a plus revu. Vivants, je veux dire. C’est trois jours après qu’on a attendu que les pompiers défoncent la porte. Derrière, on a trouvé que leurs deux corps encore habillés comme à leur arrivée, allongés sur le lit pas même défait, presque l’un dans l’autre et toute une ribambelle de cachets de couleurs à côté de la table de nuit renversée. Ils n’avaient pas tout avalé mais ce qu’ils avaient pris avaient suffi à les tuer...
On n'était pas très nombreux au carré des anonymes lors de l’enterrement. En tous les cas, il n'y avait personne de leurs familles, aucun ami, comme si ces deux là étaient seuls au monde.
Je repense à cette phrase lue: "Méfie-toi, toujours de ce qu'un apparent bonheur dissimule..." A chaque fois que je repense à eux, les larmes montent, montent.
Si j’avais su… Et en même temps, qu’y avait-il à faire ? En entrant, ils semblaient si profondément ensemble…
Quelques jours après la cérémonie, sur le palier du premier j’ai croisé ma voisine du dessus. J’ai pris un bon moment pour tout bien raconter à Madame Delécluse qui a eu l’air intéressé.
Elle, elle saura surement quoi en faire de cette histoire…
Tiens c’est vrai, maintenant que j'y repense, il ne m'a jamais dit si elle en avait fait quelque chose…
Edith Piaf
LES AMANTS D'UN JOURParoles: Claude Delécluse et Michèle Senlis, musique: Marguerite Monnot, enr. 8 février 1956
Moi, j'essuie les verres
Au fond du café
J'ai bien trop à faire
Pour pouvoir rêver
Et dans ce décor
Banal à pleurer
Il me semble encore
Les voir arriver...
Ils sont arrivés
Se tenant par la main
L'air émerveillé
De deux chérubins
Portant le soleil
Ils ont demandé
D'une voix tranquille
Un toit pour s'aimer
Au coeur de la ville
Et je me rappelle
Qu'ils ont regardé
D'un air attendri
La chambre d'hôtel
Au papier jauni
Et quand j'ai fermé
La porte sur eux
Y avait tant de soleil
Au fond de leurs yeux
Que ça m'a fait mal,
Que ça m'a fait mal...
Moi, j'essuie les verres
Au fond du café
J'ai bien trop à faire
Pour pouvoir rêver
Et dans ce décor
Banal à pleurer
C'est corps contre corps
Qu'on les a trouvés...
On les a trouvés
Se tenant par la main
Les yeux refermés
Vers d'autres matins
Remplis de soleil
On les a couchés
Unis et tranquilles
Dans un lit creusé
Au coeur de la ville
Et je me rappelle
Avoir refermé
Dans le petit jour
La chambre d'hôtel
Des amants d'un jour
Mais ils m'ont planté
Tout au fond du coeur
Un goût de leur soleil
Et tant de couleurs
Que ça me fait mal,
Que ça me fait mal...
Moi, j'essuie les verres
Au fond du café
J'ai bien trop à faire
Pour pouvoir rêver
Et dans ce décor
Banal à pleurer
Y a toujours dehors...
La chambre à louer...
LES AMANTS D'UN JOURParoles: Claude Delécluse et Michèle Senlis, musique: Marguerite Monnot, enr. 8 février 1956
Moi, j'essuie les verres
Au fond du café
J'ai bien trop à faire
Pour pouvoir rêver
Et dans ce décor
Banal à pleurer
Il me semble encore
Les voir arriver...
Ils sont arrivés
Se tenant par la main
L'air émerveillé
De deux chérubins
Portant le soleil
Ils ont demandé
D'une voix tranquille
Un toit pour s'aimer
Au coeur de la ville
Et je me rappelle
Qu'ils ont regardé
D'un air attendri
La chambre d'hôtel
Au papier jauni
Et quand j'ai fermé
La porte sur eux
Y avait tant de soleil
Au fond de leurs yeux
Que ça m'a fait mal,
Que ça m'a fait mal...
Moi, j'essuie les verres
Au fond du café
J'ai bien trop à faire
Pour pouvoir rêver
Et dans ce décor
Banal à pleurer
C'est corps contre corps
Qu'on les a trouvés...
On les a trouvés
Se tenant par la main
Les yeux refermés
Vers d'autres matins
Remplis de soleil
On les a couchés
Unis et tranquilles
Dans un lit creusé
Au coeur de la ville
Et je me rappelle
Avoir refermé
Dans le petit jour
La chambre d'hôtel
Des amants d'un jour
Mais ils m'ont planté
Tout au fond du coeur
Un goût de leur soleil
Et tant de couleurs
Que ça me fait mal,
Que ça me fait mal...
Moi, j'essuie les verres
Au fond du café
J'ai bien trop à faire
Pour pouvoir rêver
Et dans ce décor
Banal à pleurer
Y a toujours dehors...
La chambre à louer...
16 commentaires:
histoire tragiquement banale, fort bien menée, contée, avec ce qu'il faut de sensibilité sans étallage
@Brigetoun: Merci à vous.
Quelle histoire... à la fois dramatique et belle , magnifiquement contée avec un grande sensibilité
@Brigitte: Merci à vous!
Si j'ai bien compris, c'est votre grand-père qui a fait tout le boulot (sauf la première et la dernière phrase) et c'est vous qui récoltez les lauriers, bravo !
@Tilia Hé oui... ou pas.
et puis Edith est passée par là...
@Lautreje C'est sans doute Mme Delécluse la responsable!
Si je n'avais pas lu le billet suivant avant celui-ci, je me serais dit ah, son talent de plume a des antécédents dans la famille.
Mais dis moi, ce grand-père, peut-être a-t-il laissé quelque malle dans le coin d'un grenier ?
Slev
Slev Je l'ai gaulée, j'y plonge à chaque fois! On dit que tout se joue avant six ans...
comme quoi ... votre grand père a de la chance ! il écrit comme vous !
c'est une histoire triste, sans aucun doute !
Mais ............. comme chaque année, nous attendons tous un joli conte de Noël Chriscot ! surtout ne pas faillir à la tradition !
Oulahlah cette année le conte de Noël... C'est la crise, Véronique! La crise!!!
Mondiale, la crise!
ah mais non ... çà ne marche pas comme çà Chriscot ! c'est trop facile çà ! pfffffftt
@Véronique... Galactique, la crise!
je veux pas le savoir Chriscot !
@ ベロニケ/:
Rôôôlala!
Enregistrer un commentaire