29 mai 2010

Les preux de l’amour.

"Essaye-moi si je m'enfuis, enfouis-moi si je t'essuie."
L'autre.
___Mais tu ne peux pas me demander ça, Mari-Pierre, tu le sais bien. Paul est mon ami, je ne peux donc pas coucher avec toi...
___Je ne te demande pas de coucher avec moi, tu ne m’as pas bien comprise, je te demande juste qu’on s’arrange pour qu’il le croit.
En plaisantant, j'ai répondu:
___ Tous les ennuis et aucune compensation, alors? C’est bien ça que tu me proposes ?
La soirée était bien avancée. Les deux autres étaient allés s’allonger, vaincus par la dernière goutte de vodka,  celle qui fait déborder les vases, brassés par un air lourd, chargé en iode, la journée passée à Grands Sables et, en fin de journée, le double au club de tennis des Folles Mouettes, Mari-Pierre et moi contre Virginy et Paul. (Ils nous avaient écrabouillés à plates coutures... De plus, ils s'appelaient vraiment comme ça, je n'allais pas changer leurs prénoms juste pour vous faire plaisir...). Entamés par ce qu’on avait descendu au cours du repas, aussi. Trois bouteilles de Sancerre blanc y étaient passées. Il ne restait plus que nous, assis dans des fauteuils mous, au bord de la piscine, vaguement inutile, puisque l’île regorgeait de plages toutes plus belles les unes que les autres. Parfois on pensait vivre dans le concours de la plus belle du monde. Nous avions mis un point d’honneur à aller nous baigner dans  toutes. Cela faisait deux ou trois jours que nous avions rejoint Mari-Pierre et Paul. Ils avaient loué quinze jours en amoureux pour se retrouver, la semaine précédent notre venue, faire le point, y voir plus clair etc. Bref, il y avait comme on dit vulgairement un peu d'eau dans le gaz.
Nous avions hésité pas mal avant de donner notre accord et puis nous nous étions dit que nous saurions profiter de tous les plaisirs qui s’offriraient à nous. Cela valait bien la perspective de quelques moments délicats et un peu pénibles où ces deux-là ne manqueraient pas, comme le font souvent les couples en crise, de prendre les autres à témoin lors d'un différend. Ils ne se sont pas trop gênés mais en gros, ils sont restés raisonnables. Il y a bien eu quelques escarmouches, quelques passes d’armes un peu musclées, quelques déballages de mauvaise foi à propos de la salière bouchée ou d'un verre manquant sur la table, mais le tout n’avait jamais dépassé l’insupportable.
___Ne me dis pas que tu pourrais être tenté ? Avait-elle envoyé en souriant bizarrement.
___Je ne voudrais pas te vexer, Mari-Pierre, mais tu sais bien que tu es jolie comme tout et désirable ; aussi, ne me laisse pas croire que tu ne remarques pas le manège d’à peu près tous les types qui sont dans un endroit où tu déboules… La beauté te va bien, et plaire, encore davantage, tu le sais, tu ne peux pas ne pas le savoir. Dis-moi le contraire… Mais je te le répète Paul est mon ami, et, accessoirement, je suis avec Virginy. Et même si ça fait un moment que ça dure, je n’ai pas envie de tout gâcher pour une histoire de fesses. Ce serait sordide. Surtout entre amis. Voilà, du reste, une définition acceptable de l'amitié: l'ami(e) c'est celui  (celle) avec qui on n'a pas couché et avec qui on ne couchera pas.
___ Justement, je te demande ça pour essayer de sauver notre couple, en rendant Paul jaloux. Je te le demande comme une marque d’amitié à notre égard.
                             L’ambiance était en papier glacé. Un souffle léger balançait quelques photophores de couleurs allumés, comme ceux des magazines de déco, ils pendaient dans les branches basses des pins et la table, devant laquelle nous étions, n’était éclairée, elle, que par la lueur tremblante d’une lampe tempête à pétrole. C’est dire que nous ne voyions pratiquement pas nos visages, seules nos voix nous parvenaient. J’avais noté que celle de Mari-Pierre s’était faite plus rauque. Parce qu’elle s’évertuait à parler bas ? Pour une toute autre raison? Je ne voyais d’elle que le bronze de ses cuisses dévoilées.  Elle était belle comme une Sara Baras. Je devinais sa position dans le grand fauteuil de jardin. Elle savait certainement que je la devinais et que j'y jetais un œil de temps à autre. J’étais fasciné par son tatouage en feuillage de lierre qui lui entourait la cheville.
Comme la fraîcheur commençait à tomber du ciel maintenant étoilé, j’étais entré dans la maison pour aller chercher de quoi couvrir nos épaules et prolonger un peu cette conversation qui commençait à me titiller. J’étais curieux de voir jusqu’où elle allait pousser. J’en avais profité pour rapporter deux petits verres et sortir la bouteille du congélateur.
Revenu dans le jardin, je ne l’ai plus vue sur le fauteuil qu’elle occupait. J’ai su où elle était allée se fourrer quand j’ai entendu, venant de la piscine, un vague clapotis. Puis sa voix flottant au- dessus de l'eau :
___ Tu devrais en profiter, avec le frais de la nuit … Elle est presque meilleure qu’en plein jour…
La température de l'ambiance était, d'un coup, montée de quelques degrés. Je n'ai pas mis ça sur les épaules du réchauffement climatique. Je me suis approché du bord, la bouteille et les deux verres à la main, je me suis assis sur les pierres encore chaudes du jour. Sa robe et plus loin un ridicule bout de tissu blanc penaud, vexé étaient posés sur un des bains de soleil, près du bleu. Elle y était. Dedans et nue. J’ai toussé, j'ai jeté un œil vers la maison puis je me suis servi un petit verre que j’ai avalé d’un trait.
Celui du condamné ?
___Je vais quand même te dire que je trouve ton idée... disons, un poil tordue, Mari-Pierre… Sans vouloir t'offenser.
Elle s'est approchée du bord en nageant à l'indienne. Sur le côté. Quand elle a accosté, elle a affirmé avec le plus grand sérieux:
___ Vois-le juste comme un mensonge, un mensonge de rien, puisque RIEN ne se sera passé… Un mensonge d'amitié, même.
___ Ce que je trouve tordu c’est de m’aguicher comme tu es en train de le faire pour que je cède à l’idée qu’il ne va rien se passer… mais que nous pourrions laisser croire qu’il se serait passé quelque chose. Ça oui, pour le coup, si je peux me permettre, je trouve ça alambiqué.
___ Ne me dis pas que tu ne serais pas prêt à tout pour ne pas perdre Virgy…
___ Prêt à tout, oui bien sûr, mais il y a des limites! Et puis, Virginy et moi n’en sommes pas là où vous en êtes, vous…
Les deux coudes posés sur la margelle, sa poitrine juste au niveau de l'eau, ses tétons guillerets  en émois, flirtant avec la surface de l'eau, ses cheveux collés en arrière, le visage ruisselant, à un mètre de moi, elle m'a dit, dans un souffle:
___ En es-tu bien certain ? Ne me dis pas que tu n’as pas remarqué leur petit manège à eux deux… Ne me dis pas que tu n’as pas vu qu’ils étaient complices comme cochons et qu’ils riaient comme deux enfants à chaque fois que l’un en sortait une bonne, ne me dis pas que tu n'as pas vu qu'ils se battaient pour aller faire les courses ensemble et, crois-moi quand un homme accompagne une femme pour des courses  au supermarché sans rechigner, ni même faire la tête, il y a anguille sous roche, ne me dis pas que tu ne t’es rendu compte de rien ? Paul était excité comme un gamin, à l’idée que vous alliez arriver tous les deux, j’ai fini par comprendre pourquoi en les regardant faire…
Dis- moi, où sont-ils là?
___ Mais... ils dorment...
___ Justement, si on saisissait l’occasion, toi et moi... Personne n'en saura rien...
Après un temps de réflexion, n'y tenant plus, tendu comme un trébuchet prêt à l'action, j’ai sauté dans la piscine tout habillé.
Ce sont les cris qu’elle a poussé quand j’ai tenté de l’étrangler en la noyant qui ont réveillé les deux autres…

Piscine gite Gard 1

8 commentaires:

amichel a dit…

à couper le souffle..quand le bain d'amie nuit !

chri a dit…

@Joli pitch Amichel!

Lautreje a dit…

Mais pourquoi l'étrangler, l'eau était trop froide ?
(ceci dit, j'ai adoré, c'est quand la suite ?)

véronique a dit…

la chute, bien sûr, la chute est parfaite ... je m'attendais à tout autre chose !
elle l'a bien cherché la Mari Pierre !
mais tout ce qu'elle dit est peut être vrai, allez savoir !
vous nous raconterez !

Anonyme a dit…

Du bain à la douche froide, elle l'a pris pour un sot.
Slev

chri a dit…

@Slev Certain(e)s ne manquent pas d'air!

Nathalie H.D. a dit…

Plus durs à noyer, les gens qui ont pied, ils arrivent à crier !

Quelle garce cette M.P. !

chri a dit…

@Nathalie: C'est exactement ça! Une garce!

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