14 mai 2010

Une droite dure…

Quoi? Qu’a-t-il dit? Est ce que quelqu’un a entendu ce qu’il vient de dire? Personne? Il n’y en a pas un parmi vous qui est capable de me dire ce que ce type vient de dire? Vous l’avez quand même entendu, oui ou non? Ce n’est pas moi qui hallucine? Si? Je ne vous félicite pas! Écoutez moi, écoutez moi tous! Approchez vous! Silence!
On nous amène ce gars hier soir dans un état à peu près désespéré, on réussit dans la nuit à le garder en vie, on le plonge dans un coma profond après ses blessures. Il reste avec nous, il a la politesse de rester avec nous, alors, ce mec, on va le sauver, on va se battre avec lui! Qu’il soit boxeur, cardinal, ou chanteur de charme, peu importe! Aussi, la moindre des choses c’est de faire un peu gaffe à ce qui se passe, je sais bien que vous êtes tous crevés par cette nuit folle mais je vous demande encore un effort! S’il vous plait, s’il reparle à nouveau, que quelqu’un écoute ce qu’il marmonne, cela peut-être important! Prévoyez un bloc à côté de son lit pour noter tous les mots qu’il prononcera! Allez on y retourne! Courage à tous et vigilance!
Et toute l’équipe s’est à nouveau affairée autour du corps allongé. Une carcasse de viande de vingt huit ans, musclée comme un taureau de combat sauvage, tatoué comme un Gabin des bois... Maintenant, des tubes lui sortaient de partout. Pourtant, jusqu’à cette droite dure du quatrième round tout s’était à peu près bien passé pour lui. Il avait contenu les assauts fougueux et répétés de la teigne magyar qu'on lui avait désigné pour adversaire, il l’avait tenue à distance en ne se servant que de son gauche, il n’avait pratiquement pris aucun coup. A part la droite, là qui l’avait atteint à la tempe gauche. L’autre mauvais avait profité d’un dixième de seconde d’inattention, du seul moment du match où il avait jeté un œil dans les gradins du troisième rang, vers une jeune étoile montante du sport national à grosse montre… Et blam les étoiles, les gyrophares, les plafonniers des couloirs d’hôpital et puis, le noir. Noir.
Il avait marmonné une première phrase dans une sorte de demi sommeil vague. Il avait soif, très soif, il avait mal très mal.
Il a de nouveau ouvert la bouche, il a très bien vu, enfin très bien… Il a vu la blondeur de l’infirmière penchée sur lui son oreille près de sa bouche… Il a dit à l’oreille avec difficulté, en butant sur les mots, en retardant leur venue comme s’il avait, en bouche, un trop plein de purée mousline: “Quand les… poules avaleront… des couleuvres… les lan…ternes… auront… des dents”. Puis le silence.
La fille avait tout bien noté.
Vous êtes sûre, Françoise? Vous êtes certaine que c’est ce qu’il a dit? Dans cet ordre? Le grand ponte avait un peu de mal à la croire. La vache, il a fait. Et n’a rien ajouté. Comme il ne savait pas quoi penser de ce qui venait d’entendre, moins il en disait moins on verrait qu’il était perdu. Du moins c’est ce qu’il a cru. Mais tous autour du lit savaient à quoi s’en tenir: La droite dure avait fait des dégâts considérables dans le cerveau de ce pauvre type. Et, dans le même temps ce qu’il se mettait à dire était… amusant.
Sa bouche s’est à nouveau ouverte: “Qui se paye… sa tête... s'avachit...” Fermez le bal. Quelques sourires se sont pointés sur les visages de ceux qui étaient dans la pièce.
Le menton entre les mains, le ponte a laissé tomber: Ça ne s’arrange pas. On le perd, on le perd...
Une autre, une autre, quelqu’un a chantonné. Le boxeur, direct  a envoyé: “ Indien… vaut mieux que… Dieu, Tulle, l’aura.”
Là, plusieurs ont franchement ri et d’autres ont apprécié à haute voix: “Pas mal, celui-là! Bravo, il est en forme, malgré tout, le trépané!”
Il s’était à peine tu qu’il en a sorti une troisième: “On ne... presse qu'aux... friches”.
Ce sont des applaudissements qui ont salué cette sortie. Quelques uns ont même envoyé des SMS dans tout l’hôpital pour rameuter du public et le nombre des spectateurs s’est mis à grandir.  Un petit malin s'est amusé: "Continue, on va en faire un livre!". Ils ont ri de plus belle. Ils se serraient tous autour du lit en attendant la prochaine qui ne tarda pas: “Tant va… l'autruche ado… qu'à la fin elle… s'esclaffe...” Celle-là eut un succès fou, tonnerre d’applaudissements et rires en cascades, côtes tenues, larmes aux yeux.
L'ambiance joyeuse a dégringolé juste après la suivante. A peine prononcée, l’électrocardiogramme du gars est devenu aussi plat qu'une Beauce plate et c’est d'un bip prolongé dont on a entendu la stridence.
Malgré deux bonnes heures de tentatives de réanimation, l'équipe, en nage, a fini par recouvrir le corps d’un drap jaune de l’assistance publique sur lequel , en hommage ultime, le ponte a écrit au feutre noir  la dernière phrase prononcée:
“Pliera bien... qui pliera le... palmier… “
Une seule droite dure avait eu raison du champion.

7 commentaires:

Véronique a dit…

autant en rire ... tant qu'à faire !

chri a dit…

@Véronique: Une pelote tirée par hasard!

yvelinoise a dit…

Personne pour s'apercevoir que le protège dents de ce pauvre gars était tombé au cours du match et qu'il avait eu deux dents cassées ?

;-D

chri a dit…

@Yvelinoise: Ben non! Personne!

Nathalie a dit…

Bien vu Yvelinoise !

As-tu vu ces cartes postales humoristiques au marché de l'isle sur sorgue ? Ce sont des proverbes revisités :

- Un tiens vaut moins que deux, tiens !

- On a toujours besoin d'un plus petit que soi... pour lui péter la gueule

Pour les autres, aller voir sur place.

Anonyme a dit…

Tendance cynique en ce moment ... J'aime bien.
Après le musicos mort au chant d'horreur, l'hôpital qui fait sa corrida.
La plume affutée comme une feinte de coup droit dégagé.
slev

chri a dit…

@Slev Je vais travailler la feinte du coup droit engagé! Avec une jolie prise de faire!

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